mercredi 30 janvier 2013

dimanche 27 janvier 2013

Vieille Recette

C'est une mamie immigrée de sa Bourgogne natale. J'y vais trois fois par semaine. On ne peut pas dire qu'elle ait de la chance, avec sa collection de pathologies. Les médicaux parlent en pareil cas de « chantier thérapeutique » ; mais bon, elle tient le coup et stabilise de sa présence dotée de bon sens, le reste de la famille qui accumule les conneries. Elle donne ses conseils, que les moins conscients finissent par suivre, souvent trop tard, quand le mal est fait, mais elle donne le ton, indique le cap, malgré les naufrages tout autour d'elle. Elle qui a veillé sur son mari soixante ans durant – ce qui peut aussi constituer un naufrage après tout...- prodigue d'élémentaires règles de base à sa voisine. Enfin essaye, vu que rien ne dit que cela puisse valoir pour une autre mais bon, en l'occurrence, face à l'anarchie totale, au cas où ça pourrait structurer un peu, elle tente.



La voisine, une femme ''seule'' avec quatre enfants, de quatre pères différents avec option ''mariage pour chacun'' à la queue leu leu. Je l'ai croisée tantôt, c'est une femme vulgaire au physique bien dessiné. Saluée à deux reprises, m'a déjà offert d'aller boire le café chez elle. Hospitalière, non ? Ses yeux disaient déjà que d'autres mignardises pouvaient le rendre moins amer. Non merci. Ses maris ? Tous fainéants, parait-il. Au lit jusqu'à midi. Quand y'a un tocard, il est pour moi, qu'elle dit, je les ramasse tous, paresseux, menteurs, lâches, c'est pour moi !



Tous les matins, au prétexte d'aérer sa chatte qu'elle surveille vaguement, elle guette mon arrivée, fumant sa clope sur le gazon devant l'immeuble et ne manque jamais de me sourire. Vieille recette. Un travailleur, pensez, ça la changerait. Felis silvestris catus, sa chatte, hein. A une dent en métal gris. À l'implacable lumière du matin, elle est super ridée, la quadragénaire, avec un teint de tabago-alcoolo, plutôt gris, avec des plaques rouges et les veines du cou saillantes. Elle me lance des vannes de mec bourré, idiotes ou salaces, censées établir une complicité avec moi. Tout ce que je déteste. Parce que ça, je peux le faire mieux qu'elle, moi, or c'est la différence qui m'attire. Homophobe que ça s'appelle, il paraît. Son rire est sarcastique et contraint, grossier. Elle est mal habillée, sexy de supermarché. Je crains le pire : qu'elle se pointe à mon cabinet avec une prescription pour se faire masser le bas du dos en gémissant...



La mamie, le lundi, me demande toujours qu'est-ce que j'ai fait de bon à manger. Elle sait que j'aime cuisiner et comme je n'y connais rien en broderie... Je veux bien qu'elle soit d'un milieu très modeste mais ce qu'elle me dit m'étonne : je croyais la Bourgogne région gastronomique. Si ? Alors elle est sûrement d'un milieu très très modeste. Depuis qu'elle est à Nîmes, elle n'en revient pas de tous ces beaux légumes colorés, ces aromates odoriférants, ces beaux poissons. N'avait jamais vu ça, la mamie.... Ah bon... Elle ne connaît du poisson que les filets congelés de l'Atlantique Nord-Est. Elle s'étonne que je les connaisse si mal : 
 

- Ah ben non, moi je vais chez Carmen, aux halles, acheter des vrais poissons, entiers, sauvages, du poisson, quoi. Je pêche parfois, vous savez, alors les pêcheurs, ils n'achètent pas des trucs carrés sous vide ou avec l'oeil enfoncé et triste... ils mangent du poisson... Mais je sais, ça devient un luxe...

- Oh oui, qu'elle renchérit, l'autre jour j'ai acheté de belles daurades grises, d'élevage, elles sont bonnes, et...

  • Non... elle ne sont pas bonnes... bouffent des granulés... peux pas acheter ça, moi....
  • Ah oui mais moi vous comprenez je ne peux pas me déplacer facilement et...
  • Oui, oui je comprends mais si on parle en ''valeur absolue'' là, comme si par exemple j'allais aux halles et que je vous ramène du poisson, quoi... je ne vous ramènerai pas du surimi, mais un joli poisson...
  • Ah oui mais c'est cher !
  • Pas forcément... tenez, le marbré par exemple, est beaucoup moins cher que la dorade royale et bien supérieur en goût et moins sec aussi, mais a plus d'arêtes alors les gens l'achètent moins... et puis mieux vaut en manger moins et bon, non ?
  • Ben, non, on peut pas toujours...
    -  Ok, pas toujours mais de temps en temps une belle sole ou un loup tout fringant, une lotte, mmm...
     - Ah ben chai pas... j'ai jamais mangé ces poissons-là moi... connais pas
  • - Quoi ? De toute votre vie, vous n'avez jamais mangé un loup ou un turbot, une lotte ???
    - Nooon, connais pas...
    - Mais qu'est-ce que vous achetiez en Bourgogne alors ?
    - Ben... du colin à bouillir, c'est tout...
    - Ouais d'accord, mais à part ça ? Vous n'avez jamais mangé une bourride de beaudroie, un loup en croûte de sel ou  flambé au pastis, un turbot au beurre blanc, chai pas, moi...
    - Connais pas qu'je vous dis...!
    - Ben mince alors... (or elle est obèse...)    

- Quand vous partirez, je vous montrerai ce que je suis en train de faire... ma grand-mère le faisait déjà...

  • D'accord...
  • Mais c'est du travail hein...
  • Pas grave, ce qui m'ennuierait le plus en cuisine ce serait de réchauffer un plat Picard au four... moi c'est le jeu de construction d'une recette, que j'aime
  • Vous êtes comme moi, dorrrrteur...
  • Monsieur...
  • Si vous voulez... alors vous mettez au fond d'un faitout en fonte, des bardes de lard
  • ça commence bien, j'ai justement acheté des bardes de lard gras de la vallée d'Ostriconi...
  • C'est quoi ?
  • En Corse, du bon cochon quoi...
  • Si vous voulez.... vous recouvrez d'une première couche – oh, lecteur, sors ton stylo c'est le moment pour la recette – de fines tranches de pommes de terre, puis d'oignon en rondelle avec du persil ciselé, sel, poivre, gruyère râpé
  • Ah bon ?
  • Oui... et puis en fait vous recommencez jusqu'en haut du faitout, puis vous mettez à très petit feu, couvert, longtemps, longtemps... c'est tout...
  • Combien de temps ?
  • Jusqu'à ce que ce soit cuit !
  • Ben, oui ! Chui bête... et c'est ancien ça ?
  • Oui... j'ai quatre-vingt ans et ma grand-mère me le faisait, alors... ça fait comme un gâteau...
  • Bon, ok, j'essaierais...

Comment ça s'appelle, lecteur ? J'ai oublié... mais je la revois demain... si c'est bon ? Ben, ça cuit là...

samedi 26 janvier 2013

Info : Dossier Charlie-Hebdo sur la corrida

<< Dans ma famille, on adore enculer les chèvres. Aussi loin que je me souvienne, je revois mon grand-père dans le jardin le dimanche en train de gamahucher Marie-Françoise. La brave biquette essayait bien de se soustraire aux assauts de papy, mais le vieux faisait bien son quintal et ma grand-mère maintenait fermement Marie-Françoise par les cornes.>>

La suite ici :

mercredi 23 janvier 2013

Qu'est-ce que la corrida ? Mmm ?

 Alors ? Art ? Rite ? Sport ? Barbarie ? Théâtre cathartique ? Défouloir ? Cirque ? Addiction malsaine et morbide ? Snobisme avéré ? Sexe pour impuissant ? Pornographie de la mort ? Prétexte à joute verbale ? Verbieuse ? Révélateur d'ego ? Branlette aristotélicienne ? Alors ? Hein ? Wolff ? Quoi ? A voir ici :


Entretien parisien sur la corrida...

dimanche 20 janvier 2013

Marc et des fleurs pour les femmes

Voilà, le flamenco c'est fini. Ce matin, la douche ne m'a pas réveillé. Louise m'a porté mon café au lit. J'en profite, ça l'amuse encore : elle met plein de trucs inutiles comme des biscuits, des petits chocolats emballés, des papillotes qui restent de Noël... elle décore le plateau et n'oublie pas LE bédicabent. Elle est souvent enrhumée. Dehors, la terrasse est mouillée, des flaques luisent dans le soleil revenu. Mon fils aîné m'envoie une photo de sa fenêtre légendée "Rueil en Savoie" où tout est blanc. La cheminée du voisin fume. Lundi prochain on me livre cinq stères de charme. Il parait que ça brûle bien le charme. Sans fumée. Pourtant il y en a une qui m'a déjà expliqué le contraire, que tout le charme pouvait soudain partir en fumée. La vie n'est qu'une farce temporaire où valsent d'éternels egos. Il faudra ranger cinq stères de charme, corvée de plusieurs heures, le long du mur d'enceinte, face à l'entrée, puis faire des allers-retours salissants, froids, venteux, humides, pour nourrir l'âtre. Des stations quadrupédiques pour l'allumer, l'attiser, des discussions inconciliables car, face au feu, chacun a sa technique, et n'est pas incendié par la même allumette, surtout si une ex-Akela te prend encore pour un louveteau... Etonnant qu'elle puisse ensuite s'étonner de ta fascination pour une danseuse gitane sensuelle dont Maja Lola t'explique ci-dessous l'actuacion, en une resena simple, claire et exhaustive ce qui me conforte dans la flemme d'entreprendre la mienne... je te laisse donc avec elle, lecteur, en criant comme elle : Vive la flamme ! Euh... non, vive les femmes ! Ou bien la flamme pour une femme, je ne sais plus... Enfin bon, y'a un tri à faire, quand même... "Marc les Fleurs'', lui, en avait huit qui le boostaient hier soir, tu m'étonnes qu'il dansait bien !

Flores, Flores …. queremos Flores !



Heureuse, comblée et émerveillée par le spectacle de cette soirée … la dernière du festival pour moi mais un des meilleurs moments de qualité, maîtrise chorégraphique et émotion.

Marco Flores danse avec sensibilité et puissance. Sa technique est irréprochable et son corps svelte et nerveux est en osmose totale avec la musique … ce corps si musicalement expressif qu’il donne souvent l’impression d’être la baguette conductrice de la pièce musicale.

Tous les artistes de ce soir étaient exceptionnels … et je pèse mes mots.

Le danseur a rendu là un bien bel hommage à LA femme. Mercedes Cortés et Fabiola Pérez au chant, deux guitaristes féminines, Antonia Jiménez et Bettina Flater et trois talentueuses danseuses, Guadalupe Torres, Carmen Coy et Lidón Patiño, constituent cet extraordinaire cuadro que nous avons eu le privilège d’admirer ce soir. Tientos, tangos, soleá et une très belle nana dansés par trois femmes aux morphologies très différentes mais qui s’accordent parfaitement, chacune a su manera.

La mise en valeur de ces artistes par le maestro, le sourire complice, chaleureux, épanoui de ce dernier et la virtuosité de son art restent un point culminant de ce cru 2013.

Vive les femmes ! Vive Marco Flores !

Une ovation appuyée et bruyante et un jaleo final digne des meilleurs tablaos, et nous voilà déjà dans la frustration de l’attente d’une future prestation de ces artistes talentueux.


samedi 19 janvier 2013

Tomasito...

Une idée - incomplète - du farfelu ici, ça commence en 1986... :

Celui que les cameramens ont du mal à cadrer

Litote Popote Bobote

Boboterías



Fiesta y …. Fiesta . Le linge coloré sèche sur un fil. La « famille » au complet assise et serrée peut commencer la juerga flamenca.

Pas de fioritures créatives, ni d’académisme conventionnel … du rustique, de la gouaille, de l’éraillement, de la démesure dans la frénésie d’un groupe de vrais gitans.

Bobote, costume en taffetas orangé, palmero exceptionnel, nous offre un concert de palmas à 12 mains à la rythmique sans faille. Un ruedo de bastoneros en parfaite harmonie et voilà le spectacle en marche pour le voyage bobotero.

Le maestro règle son spectacle en chef de clan et l’on a vite compris que ce dernier est essentiellement masculin … Seule la solide Mari Vizarraga donne de la voix et invective l’audience avec une voix puissante qui ne souffre aucune contrariété.

Là nous sommes dans le pur jus de la rue, du quartier de Triana, de ce flamenco callejero tourné vers la fiesta et la patá. Populaire sans mépris. D’ailleurs, le titre du spectacle « De Triana a las Tres Mil » est explicite : las Tres Mil viviendas …. Cette cité dangereuse et infréquentable, construite dans les années soixante, qui pose d’énormes problèmes d’insécurité. Refuge de gitans fuyant les bidonvilles et repère de tous les dangers.

Que deviennent ces Martinetes, Soleás, Tangos et Alegrías dans ces cités ?

Bobote démontre que tout est encore vivant et nous a fait passer une soirée festive, gaie et sans complexe.

Sans complexe en effet lorsqu’un « after » à l’Atria fait découvrir un Bobote en casquette colorée, sweet gris informe et tennis délavés … Au placard, le costume orangé !

Sous a verrière du patio, le spectacle était éloquent : un cercle d’environ 50 personnes (et pas une seule femme), prémisses d’une série d’espontaneos de cante par un jeune garçon d’environ 11 ans qui fait plus que promettre … c’est déjà un cantaor !

« Ils viennent tous de Marseille, ai-je entendu »

Le garçon est talentueux, a de l’avenir, et Bobote lui promet de l’aide … il sera son parrain là-bas, plus au sud, à Séville, dit-il en le serrant dans ses bras et le faisant assoir sur sa propre chaise.

Tel un jeune champion en devenir, toute la famille entoure et le protège l’enfant prodige.

Curieuse famille dont certains font littéralement barrage autour du trésor gitan au point de masquer la vue à l’assistance qui souhaite voir le spectacle. : bêtise grossière et crasse de la part d’un quidam, cro-magnon qui se reconnaîtrait dans ses lignes s’il savait lire et dont le comportement m’a laissée sur une touche désagréable en fin de soirée …. bien loin de la réunion flamenca qui se pratique dans les lieux où le partage généreux de la fête a encore un sens.

Dommage …. Les boboterías du spectacle m’avaient enchantée.

                                                                                       Maja Lola 


 
Pour nombre de parisiens s'enchaîne au quotidien le fameux métro-boulot-dodo tandis que pour certains festivaliers ce serait plutôt litote-popote-bobote. Sur fond de linge suspendu dont le drap sert d'écran à la projection d'un petit film de présentation où Bobote muy pequeno révèle déjà son talent de danseur, se réunissent dix lascars élevés au J and B et à la clope, autour d'une maîtresse femme dont la présence se révélera au fil de la soirée comme la seule et nécessaire concession à la construction de ce monde de machos. La photo d'illustration sera donc pour elle ! A cet éclairage on comprendra mieux son tempérament quand elle va se lever et fâchée, apostropher la planète entière. Une matrone, il fallait bien ça pour se faire une place au milieu d'eux, avec sa voix qui sort avec une facilité déconcertante, puissante et véloce. Une matrone du genre à ne pas traîner en route si elle t'envoie aux courses, au Corte Ingles du coin acheter son Agua de Sévilla à la fleur d'oranger.

Après, que du lourd, du très lourd, tant dans le cante que dans le baile. Des personnalités marquées, peut-être, allez savoir, plus ou moins bandits, mais habillés comme des beaux messieurs, avec des cravates faisant comme un cerclage de tonneau sur leur ventre épanoui, des qui n'ont plus besoin de faire, mais juste d'évoquer, pour que la suggestion opère tant ils le transpirent ce Flamenco distillé au goutte à goutte de l'alambic de leur âme. Des types différents, décalés, inclassables, qui sont ailleurs mais toujours de là-bas, dont les raisonnements à coucher dehors vous feraient frémir, ne feraient certainement pas avancer le monde, la vie en société, la tolérance, le progrès. Mais là est leur richesse, dans ce décalage même, même si on aurait préféré de la colonie exclusivement masculine – les femmes c'est bien connu doivent rester à la maison - de Marseille et des environs qui rejoignit le jaleo de l'Atria, qu'elle teinte de gitanité les quartiers nords plutôt qu'elle se dilue dans ces uniformes de supportes de l'OM aux blousons Adidas et casquettes maintenant les idées courtes ''près du bonnet''.

Du lourd comme ce danseur grizzly croisé Demis Roussos dont la danse agressive faisait craindre pour l'intégrité du théâtre (s'il avait pu le démonter et que l'année prochaine on soit à l'Odéon... trop top ! ) du très lourd, avec un autre à lunettes, plus âgé, embounigue à l'air, dont le zapateo rappelait Berlin sous le déluge bombardier des B52... C'est beau aussi la puissance. Avec Bobote, crevette instigatrice, singe savant ou parrain de la troupe c'est du lourd de jockey, agile et astucieux qui n'agit que par piqûre de rappel, touches légères de quintescence, on quitte l'Agua de Sévilla pour l'essence de Triana, et alors une seule goutte suffit à embaumer.

Et puis, après une halte en calories, changement de cap pour Tomasito à Paloma, vers un autre monde où une fille hurle au moment ou je rentre dans cette salle : tienne una calcetina muy sexy ! Du coup le sympathique chanteur encouragé tombe sa chemise déjà entrouverte pour révéler son physique de collégien anorexique pour mieux nous donner son curieux mélange de flamenco-rock improbable mâtiné de quelques fantaisies zapateotesques avant de quitter sa ceinture puis son pantalon épanouissant enfin la curiosité de sa groupie avec sa calcetina comme on n'en trouve vraisemblablement qu'en andalousie, très ''dalmatien'' rehaussé de filets rouges. Le type est très sympathique, clown almodovarien et chanteur passionné qui finira à quatre pattes zapateant comme un fou avec ces chaussures blanches aux mains : tordant ! Et musique pas mal du tout, relativement inclassable, je crois bien que je vais rechercher son CD...



Enfin, retour à l'Atria où se fera ''LA'' rencontre de la nuit, non pas le bourrin de service au regard moins éveillé que le bovin après le coup de matador au frontal, à qui Maja Lola faillit filer un coup de boule ou me faire tuer par la colonie c'est selon... mais la race d'un enfant, ma première expérience de voix flamenca avant la mue, toute la grâce d'un don céleste qui terrassa gentiment en comparaison immédiate les ténors bobotiens quasi aphones, inaudibles alors qu'on était à un mètre d'eux, plus rien sans sono, timbre évanoui, alors que pulsait clair et émouvant le filet pur de ce gisement non encore exploité, des pépites plein la gorge. Son nom ? Ben, c'est là qu'on voit qu'on n'est que des journalistes amateurs : abasourdis par la révélation nous n'avons pas eu le réflexe de le lui demander ! Devant lui sur la table, cinq cadavres de J and B et un épais brouillard de fumée, destinée tracée vers laquelle il se dirigera sans doute précocement tout droit, à la poursuite mimétique de glorieux aînés, seigneurs des tablaos qu'on continuera d'aimer irrationnellement en espérant qu'ils ne soient pas aussi décérébrés que certains membres de leur tribu. Ce qui écornerait salement le mythe et l'énorme crédit de bienveillance qu'on avait pour eux. 

vendredi 18 janvier 2013

Batucada de Javier Baron

Le rideau n'a pas encore fini de coulisser que déboule Javier Baron sur le tablao, une mitraillette Hotchkiss incontinente dans chaque cheville. Vous voyez Dustin Hoffman ? Avec l'accord de Christine Boutin vous le mariez à Roman Polansky, vous les faites se mélanger un peu et grâce au progrès sociétal qui inondera bientôt la planète, la PMA ou putain de maternité anti-naturelle, le rejeton qui en sortira c'est Baron craché. Les cheveux sont à peine un poil trop long pour être crédible en cadre dynamique embauché à la Défense, mais sinon, l'uniforme il l'a : costard gris sur camisa negra. 
 

C'est tonique, impétueux, viril, carré. Ça ne rigole plus, ça assure. Au service de quoi ? Rien... c'est ça le problème... rigueur ok, technique ok, mais pour... ? Pas assez grand pour être élégant, pas assez petit pour être explosif, chez Baron tout est moyen, sauf la technique, la sensibilité, la précision, l'élégance, dixit le cartelito de présentation chargé de t'influencer et sponsorisé par la MAIF. La prestation avec le gilet et le foulard ? Très moyenne et peu spectaculaire. ça se comprend d'ailleurs : on ne peut pas être au taquet tout le temps, spectateur avachi dans ton fauteuil de théâtre en velours fines côtes, rouge !



Sinon, comment que je me suis fait queni ce soir ? Vous voulez que je vous raconte ? Ah, je me suis bien fait queni ! Vous me connaissez, la moitié de la population me prend pour un fou et l'autre n'a pas confiance en moi... et donc ce soir, je n'ai trouvé personne au débotté pour m'accompagner après que celle qui devait se dévouer m'ait posé un lagomorphe. J'ai donc essayé de revendre ma place... vingt au lieu de vingt-neuf, sympa non ? Impossible et la sonnerie du théâtre qui retentissait... voyant tout à coup entrer une charmante jeune femme, je lui demande si elle vient acheter une place : oui-da ! Qu'elle me précise en somme... N'en faites rien chère amie, je vous l'offre, je ne veux pas la laisser perdre et vous en fait volontiers profiter ! Encore plus sympa, non ? Seul ''ennui'' lui précisè-je dans la foulée, vous serez assise à côté de moi... lui sussurre-je dans un sourire carnassier que 007 himself n'aurait pas renié dans les moments les plus ''hot''. Non, non, c'est très bien, me rétorque la belle enfant polie dans un gentil sourire entendu... (Saaaaalope!) et je tourne les talons comme si de sa présence peu me cherrait... (fuit l'amour il te suit, fuit l'amour il te suit... c'est la base...) je m'installe dans mon fauteuil contemplant celui de gauche, vide, avec une satisfaction certaine en pensant au joli minois qui allait le garnir et bientôt me donner de doux coups d'olécrane.



Et puis de loin, j'ai aperçu une rombière qui regardait dans ma direction, louchant sur ce fauteuil... Non, elle ne m'a quand même pas... eh bien si ! Lecteur compulsif jubilant de ma mésaventure ! Elle avait refilé ma place à la vieille ! Et s'il le faut la lui a vendu même !!! Doublement queni ! La vieille rombière obèse comme il se doit sentait fort, respirait fort et applaudissait fort, mais à part ça, rien qui puisse constituer une croustillante anecdote dont vous êtes si friands que vous préférez dès potron-jacquet courir allumer votre PC plutôt que d'aller faire un café à votre moitié qui certes, ne le mérite plus depuis longtemps. mais bon, vous vous gaussiez quand on vous disait : si vous vous aimez, ne vous mariez pas ! Eh bien maintenant c'est café à part, ordi à part et chambre à part !



Le spectacle ? Quelques remplissages en forme de solo de cajon ou guitare pour que souffle javier, un fameux baron de la danse pour la danse. 

 
Hombre !



Barón ou … Varón ? On ne se pose pas la question longtemps tant la virilité de la « faena » dépouillée, sobre et dense de Javier Barón a pris possession, dès l’entrée, de la scène du théâtre.

Masculin jusqu’à bout de ses tacones qu’il martyrise tantôt en leur infligeant des vitesses de zapateo proches de MACH2, tantôt par des effleurements nerveux, secs et rapides du bois de scène, donnant parfois l’impression de glisser et de produire à l’oreille comme un roulement de grosses billes jetées brusquement au sol. De fulgurants talons-pointes permettent à peine à l’œil de les distinguer.

Torero via des passes évoquées par d’amples torsions cambrées, muleta imaginaire tenue au bout du bras, postures castizas, bras déployées en corbeille dessinant ainsi, en ombre chinoise sur le cercle de lumière central, les cornes d’un bicho (le balcon donne parfois des angles de vue intéressants …)

Bailaor ayant toute la maîtrise d’un zapateo inventif scandant, tel un quatrième instrument, la guitare de Juan Campello, le chant d’El Galli et les percussions de José Carrasco.

Jaleo spontané à la fin …. chaleureux, souriant, festif. Tous ont fait leur patá, sauf le timide et longiligne percussionniste. 
                                   
                                                                              Maja Lola 



 

mercredi 16 janvier 2013

Une Vedette peut en cacher une autre...

Ce théâtre convient très bien pour les récitals... de variétoche... Parce que bon, madame Carmen Linares a beau être une grande chanteuse, une grande dame de la chanson vraisemblablement, a eu beau recruter des textes d'Alberti, Garcia Lorca, elle nous a produit un gentil récital auquel « Flamenco » en tant qu'adjectif ne sied guère. Et dans le genre, j'aurais préféré Luz Casal alors... Une très bonne chanteuse en tout cas, la preuve, à la première berceuse je me suis endormi. Comme un bébé. C'est que toutes ces danseuses qui virevoltent sous mon nez, là, depuis dix jours, ça me file un de ces tournis... et encore ne parlè-je pas de la frustration de ne pas virevolter de concert, tandis que Lola, elle, comme toute femme, est au moins aussi épanouie dans l'idée que dans l'action, faut voir la pêche qu'elle a en ce moment, d'admirer ces jeunes caballeros se trémousser gaillardement sur scène ! Madouée... ! Elle vole, la Lola, overboostée par les chorégraphies castizas... elle gère même les abonos de ses amis, les rendez-vous mondains, les accointances passagères, me présente à une foultitude de gens venus d'on ne sait où, trinque à la pleine lune, avec modération bien sûr, distinguée en toutes circonstances, me rédige ses resenas au cordeau que d'autres bloggueurs m'envient – non, j'ai l'exclu pour Lola ! - , c'est une véritable plaque tournante du festival ! In-con-tour-nable ! C'est l'Espagnole type, plus ça bouge, plus elle est contente... elle est dans son élément, quoi... Z'avez pas un problème de charges salariales à régler à l'organisation du festival ? Si ? Ben, si vous embauchez Lola, à mon avis vous pouvez licencier le régisseur, l'attaché de presse, les guichetières, les ouvreuses, j'en passe et des plus débordés. Bon plan. Elle peut même aller en Andalousie négocier les prochains contrats... et qu'elle me ramène ''mon'' Capullo de Jerez... et bien sûr me nomme masseur attitré de toutes les danseuses, normal.

Bon enfin, madame Linares a dit au revoir puis est revenue avec la brunette qui dansait et là, oui, là, enfin, il s'est passé quelque chose : la brunette a tout donné et disant cela je n'exclus pas son joli corsage tout fripé qui balconnait si bien. Et là, alors, oui, après le Clang ! final du dernier coup de talon, les applaudissements crépitaient beaucoup moins mollement et on pouvait aller se coucher, exténués, pour tenter de rattraper le déficit de sommeil qui nous accable. Enfin... quand je dis ''nous'' je parle de moi... car pour avoir la resena de Lola faudra attendre, hein... parce que pour elle, la soirée commençait à peine et elle se cherchait un restaurant pour commencer sa nuit à se sustenter... Demain huit heures, elle sera au boulot fraîche comme un gardon... resena écrite... tandis que mon visage se creuse et que je ressemble à Lendl au tie-break du cinquième set, question cernes... 
Mais elle, c'est une Espagnole, on peut pas comprendre... En plus, s'il le faut, allez savoir, elle chante ?!?



Carmen Linares et le talent salvateur


Carmen Linares est certes un monument. La expectación était au programme mais la decepción en a été le remate.

Dès le premier chant, « La Luz que a mí me alumbraba », sa voix paraît voilée, en souffrance technique (et non émotionnelle) étouffée littéralement par des instruments trop nombreux et hauts en sonorité … deux guitares, un cajón et un piano.

Vient aussitôt l’idée d’un hypothétique problème vocal. Puis, au fil des chansons, il apparaît qu’avec un accompagnement instrumental plus modeste, sa voix se pose mieux sur le registre chanté, recouvre sa limpidité et sa maîtrise.

« Mis hojos sin tus ojos », de Miguel Hernandez qui m’ont émue aux larmes, « Moguer », de Juan Ramón Jiménez , les « Bulerías lorquianas », de Garcia Lorca et le « Se equivocó la paloma » de Rafael Alberti, restent les moments exceptionnels de ce récital.

Hélas, tout le spectacle de Carmen Linares n’a été qu’une suite inégale de prestation de voix.

Non, il ne suffit pas de chanter des poèmes d’Alberti, Hernandez, Garcia Lorca. Encore faut-il que l’interprétation les porte et les magnifie … cela n’a pas été le cas ce soir. Même le « Anda Jaleo » final de GL manquait de nervosité et d’allant et s’approchait plus de la sage comptine que du fougueux chant de mort de la paloma.

Tout le respect envers cette grande dame reste cependant intact … fière et droite appuyée au piano, elle a su malgré tout nous laisser entrevoir des instants fugaces de poésie et d’émotion.

Mais ce soir, le spectacle a été « sauvé » par un bel instrument singulier et exceptionnel …. la bailaora Belén Maya.

Un maniement sans faute de bata de cola et une ventilation au mantón plus loin, la danseuse a été exceptionnelle d’inventivité gestuelle, de technique, de grâce, de sourire, de générosité.

Du pur bonheur de voir ces deux femmes d’âges si opposés et de qualités artistiques si différentes, former une pareja émouvante en se démontrant, devant le public ravi, une affection presque filiale.

                                                                            Maja Lola

Danse avec les fauves

Au théâtre, enfin, à ce noun di diou de théâtre guindé empêcheur de flamenquer en rond, déjà qu'on a du mal à admettre comme beaucoup que le flamenco soit un spectacle, c'était relâche, hier. Et donc nous nous déplaçâmes jusqu'à la salle de l'Atria où se donnaient deux films, l'un de Jacques Maigne sur le parcours d'Antonio Moya et son expérience avec les Bacan, les lieux historiques d'où naquit la chose, tous en andalousie comme chacun ne le sait peut-être pas, un balayage des espoirs tocaores ou autres exilés Jerezanos parce que c'est là qu'il faut être pour respirer ça, ainsi que le toujours astucieux Diego Carrasco qui renvoyait l'ascenseur en essayant de nous persuader que Nîmes était une place importante sur la planète flamenca ce qui donnait un petit relent de promo à ce film. Casas nous avait déjà fait le coup de la « Madrid Française » et voilà-t-y pas qu'on sentait s'approcher la Jerez gallo-romaine... On serait pas un peu prétentieux dans le coin ? Bref, très sympa le témoignage sur les personnages du mundillo à Port de Bouc, pour finir. Ça donnait envie d'aller y traîner pour une série photographique. C'est là que Louise m'a demandé si on allait voir « El Caramelo » cet affreux petit bonhomme qui ressemble à Claude François en ''moins deux jours avant électrocution...''

Là, y'a que ceuss qui regardent ''La France a un incroyable talent'' qui peuvent suivre...



À l'hygiéniste lozérienne écolo-infirmière diplômée d'état qui pour une fois s'était fendue d'un accompagnement compassionnel pour assister incrédule à une de ces manifestations inutiles (l'Art...) dans lesquels je la précipite parfois, l'y commettant de force pour tenter de corroder l'inébranlable pragmatisme qu'elle a en commun avec toutes les personnes de première nécessité incapables de se perdre en conjectures esthétiques vaseuses et abstraites, j'ai posé ensuite cette question :

- Alors, ces flamencos, comment tu les as trouvés ?


Espérant pouvoir partager quelques considérations superfétatoires certes, mais néanmoins pittoresques, elle ne m'a lâché qu'un implacable, objectif et laconique :

- Obèses, alcooliques et tabagiques. 

Oh putain... en voilà une qui n'est pas prête à capter grand chose de l'âme espagnole... pour la punir, je l'y emmène en mai prochain, à Jerez, tiens, ça lui apprendra ! Au passage, j'ai frémis à l'idée que pouvait avoir sa famille – et même elle...- de moi... ! Et pourtant je ne suis qu'un bon père de famille incapable de plaquer le moindre accord de ''guitarramanuel'' ou d'étrangler la moindre syllabe en convoquant le vibrato intrinsèque de mes cordes vocales, un qui fait rien qu'à bosser comme un con alors qu'il y aurait tant de choses fantastiques à faire sur Terre.... comme traîner dans les ruelles de Jerez entre deux écuelles de gambitas al ajillo et surprendre parfois un chant profond éructé d'une fenêtre (qui vient avec moi?) Et Dieu sait pourtant, si j'en aurais des douleurs à chanter. M'enfin, bon, tu comprends lecteur, le week-end dernier, là où je faisais le revistero flamenco avec ma cop's Lola, elle faisait la toilette mortuaire d'un de ses patients dont elle avait accompagné les derniers instants... c'est pas le même monde, t'sais... Quoique... j'ai pas eu l'énergie et le génie de lui expliquer qu'en ce bas monde tout se tenait et qu'il y avait de nombreux liens entre les deux, pour sûr ! Mais le problème, c'est qu'elle s'en fout, comme de son premier pansement compressif, si tu veux mon avis... Elle n'a pas le temps de douter, elle... elle se doit d'être efficace...



S'ensuivit – je reviens au pestacle - une présentation inutile et longuissime d'un distingué monsieur qui entreprit de nous brieffer sur les séquences extraites d'une émission tv des seventies qu'il réalisa, si j'ai bien compris, avec de magnifiques passages de gens exceptionnels. Le seul témoignage chanté de Anna Cruz (de mémoire, hein...) la mère de Camaron, des juergas familiales ou des prestations intimes comme ce vieux monsieur qui pleurait en entendant sa femme aveugle chanter ''oscuritas'' (bon... de mémoire hein...) ou encore cet extraordinaire et beau guitariste qu'est Paco de Lucia.

Il y a parait-il, 115 émissions de cet acabit et si on ne nous en montre qu'une par an, je vous le prédis, on ne les verra pas toutes ! Mais allez, puisque c'est vous, on vous donnera un lien pour vous y attacher.



Ce soir, toujours au fameux théâtre de mes... aficionados al cante, Olga Pericet ! De loin, on aurait dit un petit santon, ou une figurine playmobil. En tout cas, une jolie poupée espagnole. La petite silhouette ne déplace pas des mètres cubes d'air et ne défonce pas les planches mais pourtant habite bien la scène. Propre sur elle et dans son tempo, ses remates enlevés et précis soulèvent l'enthousiasme. Ce petit bout de femme qui sait allonger sa silhouette fine en se juchant sur des talons et prolongeant sa coiffe d'un graaaaand peigne, connait son affaire et assure avec une certaine élégance bien servie par un ''chauve qui pouvait'' la faire virevolter autour de lui, toute maniable qu'elle est. Quelle chance a son camarade de jeux.
 

J'ai remarqué aussi le magnétisme animal d'un grand type blond soit pas vraiment le type même de l'andalou des années cinquante qui remit en ébullition starting-blockée la libido dormante de la mamie à ma droite qui l'applaudissait à chaque occasion les mains au-dessus de sa tête ignorant tout à coup les affres d'ordinaire insurmontables chez le rhumatologue, de son arthrose scapulo-humérale et miaulant à qui mieux-mieux de suaves interjections borborygmées sous l'oeil catastrophé du papi qui feignait d'être assis là par hasard sans aucun lien avec sa passionaria. Pour l'occasion, elle s'était vêtue d'un pantalon moulant (de ses déformations dues au grand âge et à l'atrophie musculaire) de cuir noir et d'une mauvaise imitation certes respectable eu égard à la sauvegarde de l'espèce, de fourrure de guépard du Serengueti... Que je sois contraint d'aller produire un zapateo honteux sur la scène du putain de grand théâtre impersonnel qui se la pète contemporain, si je perds le pari qu'elle n'a jamais exercé la profession d'infirmière.


 
Rosa Metal Ceniza

Il est parfois déroutant de découvrir la création chorégraphique autour du flamenco, et les puristes s’en irritent ou s’en détournent.
Le spectacle de ce soir a dû faire consensus tant la virtuosité de la danse qui investissait la scène tenait le spectateur captif, du début à la fin.
La formation de danse classique d’Olga Pericet transparaît bien mais la réussite de son art sur scène est de lier jusqu’à la créativité flamenca toute la gestuelle des deux approches chorégraphiques.

La Rose, le Métal et la Cendre en fil conducteur du déroulement des tableaux dévoile d’autres symboliques que chaque spectateur a liberté de percevoir.
Une poupée volanté crème chantilly posée dans une posture désarticulée sur une chaise se laisse réveiller par un lugubre danseur en noir qui l’anime et l’entraîne jusqu’à la faire exécuter une danse dont la contemporanéité se transforme, au final, par des sauts évoquant les boleras. Fraîcheur de l’enfance.
La « période » Rose donne ensuite à la danseuse une autre dimension. Robe moulante fuschia, mantón de manila aux broderies chargées et peineta art déco plantée dans des cheveux d’ébène, ses attitudes (plantes sur scène appuyés) rappellent souvent les femmes des tableaux de Julio Romero de Torres. Premier moment fort, tant ce petit bout de femme gracile donne avec force, maîtrise et virtuosité une danse époustouflante d’esthétisme et d’émotion. Son jeu de châle est une merveille visuelle.
Pour rester dans les « périodes », le tableau suivant nous la livre Femme, fougue et douleur. Robe flammée, courte et fendue, tout son art explose. Séduction, trahison, séparation donnent des instants de danse (pas de deux avec l’homme en noir) d’un esthétisme incroyable ….. jusqu’à la scène finale où un homme-ouragan fuse de l’obscurité et l’arrache littéralement des bras de l’aimé, l’emportant vers les ténèbres (extraordinaire jeu de scène et bravo à la virtuosité de l’éclairagiste !)
Au final, la danseuse paraît moulée dans une bata de cola noire et brillante. Un travail de bata avec l’homme en noir revêtu d’une longue redingote donne une solennité élégante qui n’est pas sans rappeler une fin (d’amour ? de vie ?) … Zapateos maîtrisés, déplacements et braceos …. Les enroulements de corps des danseurs rappellent parfois ceux de la poupée désarticulée du début du spectacle.
Chants, guitares, palmas … tout était en harmonie et en fusion avec ce beau spectacle de danse dont il serait impossible de taire le solo de danse de Jesús Fernandez qui a littéralement tétanisé et subjugué la salle !
Belle mise en scène, beaux effets spéciaux (« respiration-souffle » de la forge –allusion au métal-, lumière du « rapt » …) beau vestuario de la danseuse, un moment fort de ce festival. Bravo.
                                                                                  Maja Lola

lundi 14 janvier 2013

Flamenco de Bellota

Hélas, à peine aviez-vous repris goût aux resenas en double aveugle de votre pareja chroniqueuse flamenca préférée, que celle-ci avait fait l'impasse, et sans s'être concertée, sur la cousinade organisée par le nîmois Antonio Moya d'Utrera... qui pour ce qu'on en a rencontré, généra des appréciations aussi diverses que variées. Unetelle déclara que « voilà, le flamenco que j'aime c'est ça, sans chichi, simple et authentique, comme il est pratiqué entre eux quand il n'y a pas de public » tandis qu'un autre nous déclara « qu'à part Moya et un autre, le reste de la troupe ne motivait pas le déplacement » débrouillez-vous avec ça et vos canaux informatifs payants habituels dûment corrompus par le système.



Ce soir, nous avons fait le déplacement. En se concertant. Avec la parfaite, la distinguée, la fine, la délicate, l'incomparable Maja qu'est Lola. Alors qui ai-je vu ? Ah oui, le territorio flamenco de l'Extremadure, avec tout d'abord l'entrée tonitruante d'une immense silhouette, tranchante comme une lame et sèche comme une trique, mixte entre Averel Dalton et un ténor de la NBA pour un baile de grande amplitude : tu m'étonnes, avec ses 2m08 au bas mot, victime de son morphotype, qu'il était. Et encore quand on dit bas... Un physique à tourner dans le ''Django Unchained'' du dernier Tarantino que je vais m'empresser d'aller voir because i love westerns movies y Tarantino tambiem. Bref, sous le grill des sunlights, aucun mosquito dans l'espace aérien personnel du cow-boy qui défouraillait d'impressionnants moulinets dans le vent, à tout va, sans recharger. Une sorte de Don Quichotte de la plancha, quoi... (pas mécontent de ma trouvaille... ben si, les moulinets sous le grill... non ? Laisse tomber...) Suivit une jeune fille -dix huit ans parait-il- strictement vêtue comme une anabaptiste Amish, chanteuse déjà bien talentueuse qui saura nous émouvoir dès qu'elle aura perdu deux ou trois êtres chers, vécu des amours malheureuses et se sera colletée à une misère encore plus noire que celle, commune, de l'Extremadure abandonnée, son austère patrie.



Entra ensuite un cantaor distingué vêtu comme Franck Sinatra en récital au Carnegie Hall qui dilata illico la pupille de Lola qu'est Maja, éminente recruteuse à qui on ne l'a fait pas question repérage instinctif de représentant avantagé du genre masculin : la preuve, elle était assise à côté de moi... (Oaah ça va... on peut déconner, non ?) L'élégant, qui doit aller sur Madrid acheter ses costumes ajustés – ouais parce que je les ai faites les vitrines de Caceres et Trujillo, moi...- tient bien la note, est un virtuose de l'expiration forcée, vibrée, modulée, jusqu'à s'étouffer, mais todo perfecto. A séduit mes deux oreilles que j'aurais pu lui attribuer en trophée si je n'étais pas si attaché à tous mes appendices, quels qu'ils soient.



Puis, « Django déchained'' revint, redistribuant des beignes imaginaires à de virtuels adversaires qui inspirèrent peut-être à ma voisine de droite les coups de coudes qu'elle me refila dans le flanc, le corps agité de soubresauts que seul Peterhansel connut dans les dunes du désert d'Atacama. Vérification faite, elle réprimait à grand peine de puissants éternuements puis cherchait des kleenex récupérateurs d'humeurs dans toutes les poches impraticables de son blue jean slim destroy.



Al final, la troupe s'emballa, tous ensemble tous, pour un final à la Coppé, décomplexé, lâchant enfin cette retenue à la Fillon pour faire de la scène une sympathique auberge espagnole enfin flamenca, dans ce putain de théâtre qui s'y prête si peu, où les spectateurs bien rangés sur leurs tendidos auraient la fâcheuse tendance bien franchouillarde à vivre le moindre « Olé ! » fusant dans l'obscurité comme une incongruité.



Mon errance solitaire pendant l'entracte alors que Lola cédait à ses nombreuses obligations mondaines, me conduisit devant une table où l'Extremadure pas bégueule et opportuniste faisait découvrir son jamon de bellota qu'un trancheur professionnel en livrée n'avait pas le temps de découper devant une rangée de poules que leur ligne aurait pourtant dû préoccuper, qui le picoraient frénétiquement sans laisser à l'assiette le loisir de s'emplir. N'écoutant alors que ma mauvaise éducation, je réussissais dans la mêlée à m'emparer d'un retaillon dudit jamon, audace que je ne devais pas regretter tant la viande était fondante et le gras exhausteur de ce fameux goût inimitable de ''beurre rance de noisetier'', le rang serré des poules picoreuses se reconstituant immédiatement en décochant ses regards réprobateurs oblitérant toute chance de récidive. Buenas noches. 
                                   


 
EXTREMADURA, TERRITORIO FLAMENCO



Belle surprise que cette soirée de flamenco puro et dépouillé grâce à ces artistes extremeños talentueux et généreux …

Du haut de ses 18 printemps, Celia Romero, entourée d’un cuadro dont la jeunesse ne nuit à la maîtrise de leur art, nous ont servi une première partie toute en sobriété dans un crescendo rythmique des palos que la jeune chanteuse annonçait avec fraîcheur et (presque) timidité.

Soleá, Alegría, Malagueña, Tango et Bulería. Oui, ces jeunes prometteurs et talentueux sont une pépinière de futurs grands triomphateurs de tablaos. Deux palmeros, Pilar Garcia et Félix Romero, Francis Pinto à la guitare et la voix pure de Celia Romero qui, dans une Alegría, prenait des timbres rappelant Mayte Martín … et voilà une mise en bouche qui nous conduit vers l’intensité de la seconde partie …



(D’aucuns m’ont avoué avoir dégusté un délicieux « pata negra » d’Extremadura servi à l’entracte : je ne puis, hélas, vous dire si la bellota l’avait suffisamment parfumé …. !)



Pedro Cintas, élégant et racé de mise, nous affranchit bien vite : le ramage est encore plus brillant que le plumage. Sa voix est forte, sans voile, bien posée et capable de sortir toutes les nuances (matices) de quejíos longs, profonds, douloureux, qui captent l’écoute et l’émotion.

Tango et Bulería offrent au danseur Jesús Ortega champ libre pour exprimer tout son art. Coiffé d’un moño à la Joaquin Cortés, il se lance dans des zapateos puissants et secs, au compás maîtrisé, et des glissements latéraux rapides des pieds qui paraissent peu habituels, dans un braceo tout en hauteur (il doit mesurer 2 m !).

Généreusement, le final en groupe de tous les artistes, classique dans le genre jaleo, offrent une patá à digne des bons tablaos … mais tout en sobriété, moins bruyants … différents des autres régions flamencas plus agitanás mais pas moins méritants : une autre forme d’art, plus en harmonie avec la région rurale, rude et secrète qu’est l’Extremadura.

Belle soirée …. n’étaient les « ouais …. » ….. « vas-y …. » d’un quidam qui hurlait deux rangs derrière, persuadé qu’il était de suivre un match de foot au Stade des Costières !
                                                                                           Maja Lola


 

dimanche 13 janvier 2013

La Pensée du jour :


 Echangerais volontiers Brigitte Bardot en fourrure contre trois Pussy Riots à poil.

                                                                                                                                     Marc DELON

samedi 12 janvier 2013

TERRE ! Cria la Yerbabuena...

Est-ce le fait d'avoir récemment donné la vie qui fait partir la Yerbabuena en quête de ses racines pour analyser le terreau, le terroir d'où vient son enfant ? De cette terre dont elle se macule pour mieux en sentir les particules élémentaires ? La terre d'un pays en guerre civile, d'une nation qui se fracture, l'appétit d'orgueil des uns face à la soif de liberté des autres, d'un peuple qui se déchire, de familles qui se divisent, d'amis qui s'entre-tuent sauvagement sur cette terre éclaboussée de soleil qui se nourrit soudain de haine fratricide et s'abreuve du sang de ses fils ?



Que façonne-t-elle au tour de potier ? Une urne funéraire pour les cendres des morts, un vase pour les fleurs des champs putrides jonchés de cadavres ou une jatte pour garder le riz nourricier pour éviter une deuxième mort aux rescapés ? Je reconnais qu'il est assez difficile de le savoir et aurais-je seulement pensé qu'elle évoquait la guerre d'Espagne si je n'avais pas lu un article de présentation ? Se dévêt-elle de cette hispani de danseuse qui lui colle au corps, quand elle quitte ses robes pour n'être plus que dans le simple appareil d'une femme révoltée, triste, d'où sourt l'incompréhension face à tant de violence ?



On l'imagine sous la douche pour la récupération d'un aspect moins badigeonné d'argile quand apparaît le gominé de service au physique d'étalon fougueux, aussi pimenté qu'un chorizo fuerte, apte à faire frémir la ménagère de plus de cinquante ans d'un seul coup de talon rageur, venu crânement centrifuger son Pento sur son copain chanteur... Nature oblige, et fervent du mariage pour personne, j'ai plus goûté la fantaisie de sa partenaire, menue ingénue, ses exquises mimiques espiègles et ses postures ''craquantes''.

J'ai goûté aussi le combat de coqs de ces danseurs revenus torses nus et bermudas zoulous emplu-déplumés, grelots aux chevilles ou poignets, qui s'affrontèrent stylistiquement, si cambrés que tous les kinés de la salle avaient mal en L4-L5 et rétroversaient machinalement le bassin sur leur fauteuil, tandis que les ménagères en surchauffe déglutissaient de plus belle. (l'aile ou la cuisse?)



La prestation de la Yerbabuena ne m'a par contre pas paru spécialement ébouriffante même si elle esquissa avec son châle, une ''Serpentina'' digne des plus belles heures de Paco Ojeda... Mais j'avoue là mes limites, le spectaculaire n'étant pas toujours gage de supériorité... Un spectacle très applaudi au final qui ne restera toutefois pas dans mes personnelles annales, avec une danseuse moyennement tellurique et pas assez saignante pour l'évocation d'une telle guerre. Je rappelle pour la troisième année consécutive qu'il ne s'agit là que de l'avis d'un spectateur et pas d'un connaisseur. Mais quand je l'aurai dit dix fois je le serai peut-être devenu ? La Maja Lola qui complète habituellement la pareja de choc, improbable, viendra-t-elle à la rescousse ? Vous le saurez dans les prochaines heures... PHOTO DUZERT


 
Pas de « trip» avec la Yerbabuena



Le sujet, ambitieux, d’évoquer la guerre n’a pas été une réussite. Une scène plongée dans l’ombre où la lumière se brise sur les dos de trois hommes à genoux, deux femmes en pleurs et souffrance traversant la scène puis le claquement des fusils et la chute des corps ….

Voilà pour une entrée en matière tout à fait cohérente. Malheureusement, la suite du spectacle tombe dans un curieux mélange de styles.

Seule la Feria donne une jolie touche colorée avec notamment un Eduardo Guerrero et un Moisés Navarro époustouflants de force, de virtuosité et d’émotion, bien servis par une Mercedes de Cordoba en charmante « aguicheuse » courtement volantée fuschia almodovaresque qui ne démérite pas dans le zapateo et la grâce flamenca.

Le combat à mort entre les deux danseurs est sans nul doute le point culminant de ce spectacle. Toute mon émotion s’est cristallisée là.

Mais la grande désillusion de la soirée est …. La Yerbabuena. Si son zapateo est sans faute, sa danse est loin de donner le « pellizco » et encore moins l’émotion. Une gestuelle pauvre où un entêtant moulinet du poignet droit répétitif devient vite désagréable, un lever de bras asynchrone, sec et métronomique , et un vestuario morne et triste (elle avait même emprunté le fond de robe de sa grand’mère) ne sont pas à la hauteur des espérances de virtuosité.

Reste que certains tableaux rappelaient d’autres tableaux …. ceux de Goya et la guerre napoléonienne : le « Tres de Mayo », le Carnaval avec ses danseurs fous, un san-benito et des « peleles » au bout de piques guerrières qui ont dû certainement inspirer la mise en scène.

Quant à la musique, l’éclectisme était aussi de mise : j’ai reconnu un fond de comptine enfantine chantée souvent par les tunas, il y avait de la copla période franquiste costa del sol, de la rumba catalane ….

Restera de la soirée l’originalité du bain de boue de la Yerba qui m’a donné beaucoup d’inquiétudes quant aux moyens mis en œuvre par le technicien de surface pour le nettoyage des projections terreuses ….
                                                                               Maja Lola