Fiesta y ….
Fiesta . Le linge coloré sèche sur un fil. La « famille »
au complet assise et serrée peut commencer la juerga
flamenca.
Pas de
fioritures créatives, ni d’académisme conventionnel … du
rustique, de la gouaille, de l’éraillement, de la démesure dans
la frénésie d’un groupe de vrais gitans.
Bobote,
costume en taffetas orangé, palmero
exceptionnel, nous offre un concert de palmas à 12 mains à la
rythmique sans faille. Un ruedo de bastoneros
en parfaite harmonie et voilà le spectacle en marche pour le voyage
bobotero.
Le maestro
règle son spectacle en chef de clan et l’on a vite compris que ce
dernier est essentiellement masculin … Seule la solide Mari
Vizarraga donne de la voix et invective l’audience avec une voix
puissante qui ne souffre aucune contrariété.
Là nous
sommes dans le pur jus de la rue, du quartier de Triana, de ce
flamenco callejero
tourné vers la fiesta et la patá.
Populaire sans mépris. D’ailleurs, le titre du spectacle « De
Triana a las Tres Mil » est explicite :
las Tres Mil viviendas …. Cette cité dangereuse et infréquentable,
construite dans les années soixante, qui pose d’énormes problèmes
d’insécurité. Refuge de gitans fuyant les bidonvilles et repère
de tous les dangers.
Que
deviennent ces Martinetes, Soleás, Tangos et Alegrías dans ces
cités ?
Bobote
démontre que tout est encore vivant et nous a fait passer une
soirée festive, gaie et sans complexe.
Sans
complexe en effet lorsqu’un « after » à l’Atria
fait découvrir un Bobote en casquette colorée, sweet gris informe
et tennis délavés … Au placard, le costume orangé !
Sous a
verrière du patio, le spectacle était éloquent : un cercle
d’environ 50 personnes (et pas une seule femme), prémisses d’une
série d’espontaneos
de cante par un jeune
garçon d’environ 11 ans qui fait plus que promettre … c’est
déjà un cantaor !
« Ils
viennent tous de Marseille, ai-je entendu »
Le garçon
est talentueux, a de l’avenir, et Bobote lui promet de l’aide …
il sera son parrain là-bas, plus au sud, à Séville, dit-il en le
serrant dans ses bras et le faisant assoir sur sa propre chaise.
Tel un
jeune champion en devenir, toute la famille entoure et le protège
l’enfant prodige.
Curieuse
famille dont certains font littéralement barrage autour du trésor
gitan au point de masquer la vue à l’assistance qui souhaite voir
le spectacle. : bêtise grossière et crasse de la part d’un
quidam, cro-magnon qui se reconnaîtrait dans ses lignes s’il
savait lire et dont le comportement m’a laissée sur une touche
désagréable en fin de soirée …. bien loin de la réunion
flamenca qui se pratique dans les lieux où le partage généreux de
la fête a encore un sens.
Dommage ….
Les boboterías du
spectacle m’avaient enchantée.
Maja Lola
Pour
nombre de parisiens s'enchaîne au quotidien le fameux
métro-boulot-dodo tandis que pour certains festivaliers ce serait
plutôt litote-popote-bobote. Sur fond de linge suspendu dont le drap
sert d'écran à la projection d'un petit film de présentation où
Bobote muy pequeno révèle déjà son talent de danseur, se
réunissent dix lascars élevés au J and B et à la clope, autour
d'une maîtresse femme dont la présence se révélera au fil de la
soirée comme la seule et nécessaire concession à la construction
de ce monde de machos. La photo d'illustration sera donc pour elle ! A cet éclairage on comprendra mieux son
tempérament quand elle va se lever et fâchée, apostropher la
planète entière. Une matrone, il fallait bien ça pour se faire une
place au milieu d'eux, avec sa voix qui sort avec une facilité
déconcertante, puissante et véloce. Une matrone du genre à ne pas
traîner en route si elle t'envoie aux courses, au Corte Ingles du
coin acheter son Agua de Sévilla à la fleur d'oranger.
Après,
que du lourd, du très lourd, tant dans le cante que dans le baile.
Des personnalités marquées, peut-être, allez savoir, plus ou moins
bandits, mais habillés comme des beaux messieurs, avec des cravates
faisant comme un cerclage de tonneau sur leur ventre épanoui, des
qui n'ont plus besoin de faire, mais juste d'évoquer, pour que la
suggestion opère tant ils le transpirent ce Flamenco distillé au
goutte à goutte de l'alambic de leur âme. Des types différents,
décalés, inclassables, qui sont ailleurs mais toujours de là-bas,
dont les raisonnements à coucher dehors vous feraient frémir, ne
feraient certainement pas avancer le monde, la vie en société, la
tolérance, le progrès. Mais là est leur richesse, dans ce décalage
même, même si on aurait préféré de la colonie exclusivement
masculine – les femmes c'est bien connu doivent rester à la maison
- de Marseille et des environs qui rejoignit le jaleo de l'Atria,
qu'elle teinte de gitanité les quartiers nords plutôt qu'elle se
dilue dans ces uniformes de supportes de l'OM aux blousons Adidas et
casquettes maintenant les idées courtes ''près du bonnet''.
Du
lourd comme ce danseur grizzly croisé Demis Roussos dont la danse
agressive faisait craindre pour l'intégrité du théâtre (s'il
avait pu le démonter et que l'année prochaine on soit à l'Odéon...
trop top ! ) du très lourd, avec un autre à lunettes, plus
âgé, embounigue à l'air, dont le zapateo rappelait Berlin sous le
déluge bombardier des B52... C'est beau aussi la puissance. Avec
Bobote, crevette instigatrice, singe savant ou parrain de la troupe
c'est du lourd de jockey, agile et astucieux qui n'agit que par
piqûre de rappel, touches légères de quintescence, on quitte
l'Agua de Sévilla pour l'essence de Triana, et alors une seule
goutte suffit à embaumer.
Et
puis, après une halte en calories, changement de cap pour Tomasito à
Paloma, vers un autre monde où une fille hurle au moment ou je
rentre dans cette salle : tienne una calcetina muy sexy !
Du coup le sympathique chanteur encouragé tombe sa chemise déjà
entrouverte pour révéler son physique de collégien anorexique pour
mieux nous donner son curieux mélange de flamenco-rock improbable
mâtiné de quelques fantaisies zapateotesques avant de quitter sa
ceinture puis son pantalon épanouissant enfin la curiosité de sa
groupie avec sa calcetina comme on n'en trouve vraisemblablement
qu'en andalousie, très ''dalmatien'' rehaussé de filets rouges. Le
type est très sympathique, clown almodovarien et chanteur passionné
qui finira à quatre pattes zapateant comme un fou avec ces
chaussures blanches aux mains : tordant ! Et musique pas mal du
tout, relativement inclassable, je crois bien que je vais rechercher
son CD...
Enfin,
retour à l'Atria où se fera ''LA'' rencontre de la nuit, non pas le
bourrin de service au regard moins éveillé que le bovin après le
coup de matador au frontal, à qui Maja Lola faillit filer un coup de
boule ou me faire tuer par la colonie c'est selon... mais la race
d'un enfant, ma première expérience de voix flamenca avant la mue,
toute la grâce d'un don céleste qui terrassa gentiment en
comparaison immédiate les ténors bobotiens quasi aphones,
inaudibles alors qu'on était à un mètre d'eux, plus rien sans
sono, timbre évanoui, alors que pulsait clair et émouvant le filet
pur de ce gisement non encore exploité, des pépites plein la gorge.
Son nom ? Ben, c'est là qu'on voit qu'on n'est que des
journalistes amateurs : abasourdis par la révélation nous
n'avons pas eu le réflexe de le lui demander ! Devant lui sur
la table, cinq cadavres de J and B et un épais brouillard de fumée,
destinée tracée vers laquelle il se dirigera sans doute
précocement tout droit, à la poursuite mimétique de glorieux
aînés, seigneurs des tablaos qu'on continuera d'aimer
irrationnellement en espérant qu'ils ne soient pas aussi décérébrés
que certains membres de leur tribu. Ce qui écornerait salement le mythe et l'énorme crédit de bienveillance qu'on avait pour eux.