jeudi 20 mars 2014

Le Printemps est évident



Chant de guerre parisien


Le Printemps est évident, car
Du coeur des Propriétés vertes,
Le vol de Thiers et de Picard
Tient ses splendeurs grandes ouvertes !


Ô Mai ! quels délirants culs-nus !
Sèvres, Meudon, Bagneux, Asnières,
Ecoutez donc les bienvenus
Semer les choses printanières !


Ils ont shako, sabre et tam-tam,
Non la vieille boîte à bougies,
Et des yoles qui n’ont jam, jam…
Fendent le lac aux eaux rougies !


Plus que jamais nous bambochons
Quand arrivent sur nos tanières
Crouler les jaunes cabochons
Dans des aubes particulières !


Thiers et Picard sont des Eros,
Des enleveurs d’héliotropes ;
Au pétrole ils font des Corots :
Voici hannetonner leurs tropes…


Ils sont familiers du Grand Truc !…
Et couché dans les glaïeuls, Favre
Fait son cillement aqueduc,
Et ses reniflements à poivre !


La grand ville a le pavé chaud
Malgré vos douches de pétrole,
Et décidément, il nous faut
Vous secouer dans votre rôle…


Et les Ruraux qui se prélassent
Dans de longs accroupissements,
Entendront des rameaux qui cassent
Parmi les rouges froissements !


Arthur Rimbaud, Poésies

samedi 8 mars 2014

Aimer Pour Survivre

Le cinéma, c'est comme pour beaucoup d'autres choses : plus on y va, plus on a envie d'y aller. Me voici donc de retour en salle obscure. 

Dans la bible de Jarmush, Adam et Eve s'ils ont bien été chassés du jardin d'Eden, n'ont pas été rendus mortels par un impossible accès à l'arbre de vie ; ils sont vampires et doivent user de combines et stratagèmes pour trouver leur viatique, une coupe de sang frais, O négatif de préférence, qu'ils dégustent alors dans un verre à porto comme un grand cru, qui l'eût cuit ? Cela donne une incertitude et une insécurité permanente sur la pérennité de leur pourtant loooooongue vie, d'autant qu'avec ce foutu monde moderne il semble que l'on puisse tuer même un immortel, d'une traîtrise Fabusienne : du sang contaminé. Comme un doute qui plane et leur permet finalement à l'égal des mortels, d'apprécier parfois les bons moments de ce présent qui les transporte.

Adam est un musicos génial et pudique qui balance en rythme un blues oscillant entre la jouissance de l'immortalité et les velléités d'en finir enfin avec la vie. Fatigué, on le serait à moins, vivant depuis des millénaires à observer l'incurie des hommes. Adam, rocker romantique et taciturne qui se désole sur le monde des zombies, nous, qui ne manquons jamais de nous apercevoir de nos erreurs qu'une fois que nous sommes allés trop loin. Il ne vit finalement que lorsque Eve le rejoint, corroborant encore cet axiome largement partagé : la femme est l'avenir de l'homme. Pas de tous, toutefois, quand une vampirette égoïste et indisciplinée se permet de charmer un gentil zombie pour le boire goulûment.

Eve, elle, a la connaissance médiumnique du cosmos et de son homme qu'elle sait aimer et dont elle sait se faire aimer. Et il est beau de les voir s'aimer si bien, depuis des siècles : qui n'aurait pas envie de cette idée d'absolu une fois trouvée la bonne personne ? Qu'est-ce que la ''bonne personne'' ? Me demandez-vous... z'êtes marrant... chacun se débrouillera, le plus souvent très mal, pour la trouver. Et toc. Gaffe, votre femme lit par dessus votre épaule...

Ce film pourra en rebuter plus d'un par cette atmosphère poétique noire et décalée dans laquelle je me suis plongé hypnotiquement avec délice dès les premières images, dès les premières mesures de son envoûtante musique. Il y a là une signature forte, une couleur singulière, celle d'un auteur qui nous promène avec la fascination des quêtes nocturnes et intimistes, des ruelles fréquentées de Tanger aux boulevards désertés de Détroit, à la recherche de sang frais autant que d'une raison de vivre pour que le prochain lever de soleil ne soit pas que l'éblouissant problème de la vie qui s'arrête ou ne vaille vraiment pas la peine d'être vécue, sinon pour danser avec Eve, au plus près d'elle, contre sa peau, dans son odeur, couvé par son aura, lové contre son giron, car s'aimer est encore ce qu'il y a de moins déprimant sur terre, voire pour les plus optimistes, ce qu'il y a de plus exaltant, sur terre comme au ciel. 

Dieu d'ailleurs, malgré des traducteurs chagrins, n'inclinait pas à les accuser du pêché capital mais leur avait au contraire ordonné de se reproduire. Le premier couple selon Jarmush, lui, est d'accord pour se perpétuer, à sang pour sang. Il faut dire que ''Only Lovers Left Alive'' le titre, l'expliquait déjà. 

dimanche 2 mars 2014

Pressing affectif pour linge très sale


Un été à Osage County 

Dans les vapeurs caniculaires de l'été au cœur de l'Oklahoma, dans l'étuve d'une maison calfeutrée où couvent les non-dits, une femme que l'on dit lunatique et paranoïaque, surtout victime de la perception de sa vie qui la fuit irrémédiablement, se bat contre la vieillesse et la maladie qui l'affligent, la solitude qui la guette. Alors, sans précautions, en toute provocation, puisqu'il est grand temps, devant sa famille réunie, elle va tout mettre sur le tapis, enfin, pour voir...

Sauf que la mort d'un proche ne convoque pas le bluff mais allume au contraire toutes les mèches de ces bombes familiales, secrets bien gardés mais trop scandaleux et dérangeants pour qu'ils n'explosent jamais. Que l'un d'eux pose le pied sur une de ces mines anti-personnelle et la réaction en chaîne hallucinante s'ensuit. Ça pète fort dans tous les coins de la maison, et comme l'on ne s'est pas vu depuis un bail, les rancoeurs sont tenaces et les révélations nombreuses. Et moches... très moches, comme peuvent l'être celles des humains qui s'oublient. Et donc, intéressantes pour nous, spectateurs. Car enfin comment espérer soutenir notre intérêt deux heures durant, en nous racontant que tout le monde est gentil et heureux de vivre au pays du bonheur ? Mmmm ? Avouez... ils nous plaisent les problèmes des autres, pour amortir les nôtres...

Au cours d'un repas indigeste, on ira crescendo droit au clash, jusqu'au pugilat. Julia Roberts est bien là, mais oubliez la nunuche de ''Pretty Women'' ! Elle tient là un rôle très dur et sans concession pour donner la réplique à l'extraordinaire Meryl Streep, une actrice qui serait certainement apte à nous évoquer la zebrétude d'un zèbre, vêtue d'une robe léopard.

Ce film est l'adaptation par John Wells d'une pièce de théâtre de Tracy Letts et cette filiation est bien perceptible : une sorte de ''théâtre en extérieur'' où, au cœur de cette famille, les tragédies, les haines et les rancunes côtoient l'affection, l'humour, la compréhension. N'hésitez pas à aller déposer votre sensibilité sur le grill de l'été des règlements de compte à Osage County. Méfiez-vous quand même des balles perdues mais il y a de grandes chances qu'en quittant soulagé, la table de cette famille, la vôtre, qui l'eût cru, vous paraisse douce. Bonne thérapie, donc !