lundi 30 mars 2015

Défis

Pour moi, ce matin, se lever était déjà un défi. A la vérité, m'endormir en avait été un autre. Quand la gamberge de tout ce qu'il y aurait à faire durant le week-end se met en route, les moutons s'égaillent dans la forêt environnante. Plus moyen d'en voir sauter un. Et puis la douche, brûlante, fenêtre ouverte. J'aime bien sentir l'air du matin, me décaler du faisceau de la douche au zénith, avoir froid, puis me réchauffer à nouveau sous l'averse chaude. L'eau chaude réveille : vaso-dilatation, irrigation des moindres zones – eh oh, ça va, hein – réveil généralisé subséquent.



Je suis allé récupérer le courrier de la semaine abandonné dans la boîte. Il m'est devenu pénible d'ouvrir le courrier. Il faut dire que n'arrivent que des lettres contrariantes, des pubs, des factures. Nîmes Métropole m'écrit pour me dire que mon installation d'assainissement d'eau est non conforme. Que ça va me coûter entre sept et quinze mille euros. Très drôle. Depuis quinze ans ma fosse septique marche très bien, ne dégage pas d'odeur, remplit son rôle. Ils me disent que c'est pour la santé des voisins que je vais devoir agir. Je projette de leur chiader une lettre où je leur expliquerai sans équivoque que je les emmerde, la SPANC... et que je convoquerai plutôt la pompe à merde que la pompe à fric. Qu'ils se retournent contre le terrassier qui m'a équipé, et qu'il vienne réparer ce qu'il a mal foutu : je ne suis ni compétent ni responsable de son travail, moi. Si je vais manger dans un restaurant où les plats sont mauvais, je ne crois pas que l'inspection de l'hygiène m'oblige en tant que client et propriétaire de mon repas à nettoyer les cuisines et remplacer les vivres avariées, ou à cuisiner un autre plat, si ?



La première gorgée de mon café juste moulu – 85% Arabica, 15% Robusta – me réveille un peu mieux. J'aime le bruit du moulin qui broie les grains luisants, libérant l'arôme juste pour ma tasse. Avec délectation je pense à vos dosettes colorées qui propulsent le prix du café au kilo cinquante fois plus cher que son cours. A ce compte-là je rembourse ma machine à café deux fois l'an mais bon, continuez avec vos dosettes, c'est joli, ça plaît à madame, etc, ok, ok, chacun son jus.



Au troisième expresso je deviens plus sociable, le centre de la parole se remet en branle et je décrète que cette fougasse est vraiment excellente, grasse à souhait, son papier d'emballage tout maculé... une vraie pompe à huile. Il serait plus judicieux d'aller courir. Je pense qu'à l'heure où ferme le bureau de vote, je glisserai mon bulletin dans l'urne peu de temps avant que Fandino glisse sa première épée léthale. J'ai de gros doutes sur sa capacité à animer un seul contre six qui est un marathon tellement révélateur. Les premières infos ne sont pas en faveur d'un moment d'anthologie. Je viens d'envoyer un sms à un ami présent dans les tendidos de Las Ventas à qui j'ai demandé : Alors ? Fandiño ? Sur une échelle de un à dix ?

Pour le moment, trois. Me répond-il...



Je ne suis pas vraiment surpris mais quand j'ai moi le défi d'aller voter et de monter une table de jardin Ikea dans la journée, lui, ce jeune homme, se présente devant six toros de respect avec un chiffon et une épée. A Madrid. Chacun son destin. Ça y est, la confirmation est venue : il s'est lourdement planté. Il n'empêche, il garde tout mon respect, même si mon index écorché a saigné un peu, au montage de la table. Sa blessure à lui sera tellement profonde qu'il y a un danger qu'elle ne cicatrise jamais voire s'infecte et l'ampute d'une grande partie de cette si nécessaire conviction qu'il doit falloir pour se présenter à la tête d'un toro. 

vendredi 27 mars 2015

Voler de ses propres ailes

Birdman de Alejandro Gonzalez Inarritu
 
 
Supposons :  vous êtes un torero d’opérette mondialement connu. Vous chantez agréablement dans les théâtres du monde entier. Votre costume de ‘’toréador’’ est très seyant et vous donne fière allure. Les femmes, notamment, pensent que vous portez beau. Vous vous déplacez avec la superbe du héraut de bon augure. Vous prenez des postures de héros. Votre muleta virevolte à chacun de vos demi-tours et vos effets de manche envoient jusqu’au fond de la salle le scintillement élégant de celui qu’on n’oubliera pas. Des années durant vous en avez profité, vous avez pu ouvrir les bras, bomber le torse et cambrer les reins, vous élancer et survoler le commun des mortels, ces blattes atterrées. Vous étiez ''Birdman’’. Icare n’était qu’un moineau désailé et vous faisiez vôtre cette devise << Peu importe à l’aiglon qui plane, le piaillement des oiseaux de basse-cour >>

C’est déjà pas mal, non ? Beaucoup s’en contenteraient, beaucoup considèreraient avoir atteint leur but. Seulement voilà, si le public vous adule, vos pairs, eux, ne sont pas dupes, pas plus que votre for intérieur face au miroir. Ce que vous aimeriez vous, c’est savoir enfin ce que vous valez. Vous confronter vraiment au métier. Faire sortir le toro de la vérité. Que le super ego chasse le super héros qui vous hante comme un démon personnel - alors les Amerlocks, on copie le gainsbard du Gainsbourg cinématographique ? Quitter les planches pour le sable de l’arène. Et encore, pas avec du Domecq précuit de festival pour empresa arrangeante. Non, avec du brut, du sauvage, de l’encorné farci de pièges, nu sur la plancha, pour claquer enfin la gueule du tendido siete, seul, et six fois de suite.  

Et donc en tant qu’acteur, là où l’exigence est la plus forte, Broadway à qui on ne la fait pas, qui en a tant vu, tant jugé, qui sait voir, déjouer faux-semblants et vérités. Qui sait de quoi on parle quand on met en scène  la nouvelle de Carver : What we talk about when we talk about love ?

Alors on suit ce film haletant qui se déroule en une même unité de temps et de lieu comme un plan séquence unique poursuivi jusqu’à son terme dans le suspens et l’investissement maximum d’un être qui veut savoir s’il a les qualités fondamentales pour être aimé dans la voie qu’il s’est choisie. Avec un casting qui a d'autant plus de sens quand on fait jouer le rôle titre par Michael Keaton qui sort ainsi d'une traversée du désert de plus de quinze ans.

mercredi 25 mars 2015

Tuons comme Léon

Un Homme Idéal de Yann Goslan




Aaaah l’écriture…. Le point de départ est la frustration intolérable d’une ambition déçue, de la souffrance d’un manque de reconnaissance. Imaginez : vous vous piquez d’écrire et unfortunately, les maisons d’édition restent hermétiques à votre ‘’génie’’… Ha, Ha Ha… ça rappelle des choses à quelqu’un ? Je veux les noms… vous serez publiés ! En tant que ratés s’entend. Allez zou, un petit coup de canif dans les entrailles, histoire de se rééduquer l’ego, non ? Vraiment pas ? Ils sont où les ratés du prix Hemingway par exemple, hein ? Les pas vainqueurs, les même pas finalistes, les bouffis-indignés qui écrivent à la direction pour s’indigner de pas avoir été choisis, hein ? Même pas honte ??? Non mais dis donc, espèce de gros raté pétri de ‘’GRANDECRIVISME’’ sors de ta bouffissure ! Tu veux que je te montre l’exemple ? Raté 1er : Delon ! Allez envoie ton nom GRANCOUILLONDEPROSATEUR… (et allez… encore un wagon d’ennemis sournois)

Oh pardon... reprenons : Et donc comme tous les ratés, ou, soyons plus délicats, comme tous les pas encore révélés, Niney, alias Mathieu Vasseur, survit d’expédients, de petits boulots comme débarrasseur de caves et de greniers et un jour lui tombe dans les mains du haut d’une armoire, un manuscrit : le journal d’un appelé en Algérie. C’est percutant dès la première phrase :
<< Ce matin, j’ai tué un homme >>
et Mathieu, piètre écrivain mais bon lecteur, identifie que ce journal peut faire mouche. C’est pour lui une révélation, ça peut être comme ça la littérature, pas besoin de mots savants dont quatre-vingts pour cent de la population ignorent le sens. Ca peut être simple, direct, à l’os, impressionnant de vérité, la preuve, il est le premier fasciné. Alors, cette maison à vider ayant été déclarée appartenir à un homme seul dont la dépouille n’a pas été réclamée, il s’approprie l’œuvre, la recopie, la signe, l’envoie et … bingo, prix Renaudot ! Fortune, Amour, Gloire, Ray-ban, BMW, etc.

Mais quand on initie une procédure à l’envers, on ne se rend pas toujours compte des conséquences à venir. Rétropédalage assuré. Il faut par exemple réaliser en urgence, au moment même où l’éditeur vous annonce qu’il veut vous publier, qu’il va falloir tout savoir de cette guerre d’Algérie pour justifier ne serait-ce que le travail de documentation supposé. Il faut apprendre les postures et tirades de l’Ecrivain, soutenir les interviews, bref, apparaître crédible par rapport à la qualité de son œuvre. Ne pas décevoir, mais, si donner le change est possible dans le temps béni de la séduction, dans la durée, les inévitables complications rappliquent plus vite qu’une charge de fellaghas déchaînés. Alors, quand l’étau se resserre, pour ne rien perdre, dans cette urgence absolue, si tuer permet de fuir dignement la réalité, tuons. Comme Léon Vauban le fit en Algérie entre deux paragraphes de son journal.
Le type d'engrenage traité aussi, on s'en souvient, par Woody Allen dans Match Point

Mais ici, la fin éminemment plus cruelle et spectaculaire, n’a pu sortir que du cerveau malade d’un de ces écrivains au cerveau persillé de ce truc appelé talent, car... non, je ne vous explique pas. Il vous faudra donc vous déplacer pour la connaître. D'autant que, pour tout vous dire lecteurs, je n'ai pas que ça à f... on soupire dans la salle d'attente... Allez-y, je vous y encourage car << ça vaut le voyage >> comme ils disent chez Michelin.

lundi 23 mars 2015

Fumette Story

Inherent vice de Paul Thomas Anderson

Alors là... j'avoue, je n'ai pas tout compris... c'est peut-être pour ça que j'ai aimé.
Enfin, aimé, c'est peut-être un peu fort. Disons que je n'ai pas détesté me faire enfumer deux heures et demie durant, par ce ''power flower thriller'' jointé et déjanté, par sympathique réminiscence nostalgique des Seventies. Eh ouais, je suis assez vieux pour les avoir traversées.
Tout en ayant ressenti la déception d'une musique de film pas à la hauteur alors que l'époque avait pourtant produit du choix psychédélique à la bonne fragrance de marijuana.
Joaquim Phoenix alias Doc Sportello plante un détective halluciné sous permanente inhalation herbeuse exotique. C'est comme un Puzzle géant, un labyrinthe incompréhensible, une jungle inextricable. Et au bout de... pas longtemps, on est aussi perdus que le Doc, à croire que la fumée de ses pétards traverse l'écran. On balance en danger de quitter prématurément la salle entre l'envie du décrochage et l'intérêt de l'image mais au fil des tafs tirées par une loco Sportello à faire pâlir celle de la ligne Anduze-Saint-Jean du Gard, et une fois admise l'idée qu'on restera enfumé par l'énigme brumeuse, on perd la force de s'en aller et on laisse, dépité, planer le planant scénario que chaque information supplémentaire devrait contribuer à dénouer – c'est notre vœu de spectateur – mais complique encore un peu plus. Or, si le Doc vaporetto fume pour oublier, nous, à qui cela pourrait faire passer le temps, on se rappelle que désormais tout est interdit. Des fois qu'il y aurait un détecteur de fumée brumisateur de mousse apyre au-dessus de nos têtes...
Bref, faut pas y aller avec un esprit sain et rationnel, un raisonnement logique ou une quête impatiente de vérité : passez d'abord à la Bodeguita écluser trois Mojitos, rejoignez, titubant, la salle obscure en tirant sur votre puro négligemment écrasé d'une rotation pointée de l'avant pied sur le trottoir du Sémaphore sous le regard horrifié-répprobateur des enseignants socialistes de la Rome française et de la Madrid languedocienne, faites-vous tancer par le caissier de ce haut lieu de la culture nîmois pour lui avoir demandé s'il restait encore des places au fond alors qu'il en a vendu quatre... calez-vous dans votre fauteuil de la rangée du fond, donc, et, jambes allongées, yeux mi-clos, c'est parti pour la fumette embrumée du tendre Doc Sportello qui a comme nous tous, gardé dans un coin de sa tête un souvenir ému de son premier émoi, un vice propre à l'amour, qui l'amènera à s'enfoncer dans ce pétrin glauque et fumant.

vendredi 6 mars 2015

Gina sous mission : lire Michel

Soumission de Michel Houellebecq (chez Flammarion)
En posant le livre, je crois qu’on est déçu justement parce qu’il y est question de soumission. Pourtant, on lit un roman intéressant ancré dans notre vie d’aujourd’hui (bien que l’histoire débute en 2017), qui intègre au cœur de la narration des réflexions sur la littérature, l’existence humaine, la foi, les religions, et surtout  l’islam et la politique.
En 2017, François, le héros-narrateur et porte-parole de Houellebecq, est un professeur d’université, intellectuellement et professionnellement satisfait après la brillante production de sa thèse sur Huysmans. D’emblée, le roman baigne dans une atmosphère religieuse, occasion pour le narrateur d’évoquer des catholiques convertis  du XIX°S tels que Léon Bloy, Charles Péguy (avec quelques beaux quatrains à la gloire d’une France disparue),  Bernanos, Claudel, mais aussi des insoumis : Barbey D’Aurévilly,   Jean Lorrain (l’enfilanthrope !), Nietzsche « avec son flair de vieille pétasse » et Sartre et Camus, « les Guignols de l’engagement ».
Pendant la période préélectorale où on se borne à éliminer le front national, des crimes sont commis : ils sont passés sous silence. François observe à l’université des jeunes femmes voilées, des barbus qui les accompagnent et surveillent, des enseignants proches de mouvements identitaires mais, dans cette atmosphère bizarre,  le narrateur insiste sur le laisser-faire, l’aveuglement, le silence, la passivité et finalement la complicité des politiques et des médias…  Pour ne pas donner prise au racisme, on refuse d’évoquer les méfaits commis par des voyous se revendiquant de l’islam, on tait les écrits de jeunesse de Ben Abbes,  le deuxième personnage important du roman, beaucoup moins conciliant avec la culture judéo-chrétienne de la France que  ce que ses discours de façade le laisseraient supposer… Les services secrets à travers la voix d’un ex-cadre de la DGSI, ami du narrateur,  semaine après semaine, constatent l’évolution des banlieues et plus généralement du pays entier, mais les membres sont muselés et les agents invités à prendre leur retraite.
 Dans cette atmosphère, le héros se débat avec ses idées noires de « vieux quadragénaire » qui n’a plus le droit d’enseigner. Il doit s’isoler en province d’autant plus que sa seule vraie petite amie juive, Myriam, part se mettre à l’abri en Israël et,  peu à peu l’oublie. Il s’occupe au restaurant ; par chance il apprécie les livres, l’art, la beauté des lieux, du patrimoine (allusion bienveillante à Stéphane Bern),  puis la religion dans laquelle il se réfugie en tâchant de régler sa quête personnelle de la foi sur les traces de Huysmans, son seul allié. Il croit en un Dieu créateur mais même si, de passage à Rocamadour, ’il se prosterne chaque jour devant la Vierge noire ou si,  comme Huysmans, il séjourne dans un monastère,  il retourne vite à l’angoisse existentielle qui le torture en examinant l’absurdité de sa vie, avec la pensée de la mort, de la déchéance, de la solitude du célibataire après la mort des parents. L’alcool, les bons repas traditionnels, les prostituées n’y changent rien.
 Au printemps 2022, le protagoniste dessine un  nouveau  tableau. François Hollande achève son second mandat. Bien qu’il l’ait emporté cinq ans plus tôt contre Marine Le Pen, il est déconsidéré, détesté et ne parvient pas à empêcher la montée en puissance de la Fraternité musulmane, qui, sous la férule du charismatique, intelligent et cultivé Mohamed Ben Abbes, rallie de plus en plus de suffrages. Le second tour de la présidentielle oppose ce nouveau venu à la candidate du FN. Les partis traditionnels de gouvernement (UMP, PS, UDI) se rallient à ce « visage présentable de l’islam ». Et le tour est joué.
 Commence alors la véritable provocation du livre : la société française semble se satisfaire de ce nouvel ordre des choses. Avachie dans le confort émollient de la démocratie et biberonné à un État providence qui pourvoit à tout, elle  glisse presque naturellement vers cette charia douce.  Et voilà comment, démocratiquement, avec l’assentiment de nos élites vivement égratignés par le narrateur, (Pujadas, Christophe Barbier avec «son écharpe en berne », Jean-François Copé et surtout Bayrou, premier ministre qui « est vraiment un crétin, un animal politique sans consistance, tout juste bon à prendre des postures avantageuses dans les medias »,  notre démocratie craque de toute part ; « heureusement, c’est en pratique Ben Abbes qui a tout le pouvoir ».
Alors, c’est la soumission : le protagoniste peut réintégrer la Sorbonne qui impose désormais la conversion à ses professeurs au terme d’un processus qui ne prend que quelques heures. En plus, le narrateur pourra avoir plusieurs femmes (des jeunes pour le lit, des mûres pour la cuisine), et un salaire triplé. Les femmes, elles, sont interdites  de jupes et d’emplois publics,  ce qui permet ainsi l’embauche de centaines de milliers d’hommes et une baisse spectaculaire du chômage. Du côté féminin, nul besoin d’épiloguer sur le mépris de l’auteur qui ne les voit utiles qu’à l’intérieur d’un vieux  couple ; officiellement à la charge de leurs maris, elles seront délivrées de la malédiction du travail et de l’enfer de l’émancipation !
 La dernière phrase, « Je n’aurais rien à regretter. » est, par la  résignation qu’elle exprime, celle que l’on ressent avec le plus d’émotion et à laquelle on a du mal à croire car partout domine une forte  tristesse sous-jacente, même s’il y a des personnages comiques de temps à autre. «  Si l’islam n’est pas politique, il n’est rien » dit cependant  en exergue de la dernière partie, cette phrase provocante  qui semble annoncer  la fin de notre civilisation européenne, de sa culture et de sa démocratie.
Tout est dit avec  « une espèce d’honnêteté anormale »,  dans «  des articles brefs, incisifs, brillants » ou dans le style « clair et synthétique avec parfois une pointe d’humour », que Houellebecq  exige d’un bon écrivain.

lundi 2 mars 2015

AMERICAN SNIPER


Sharpshooter

C’est comme la nuit et le jour, le cauchemar et le bonheur.  Sauf que là, il faut passer à l’un en pleine conscience de l’autre. Et que ça nuit, forcément, à la santé mentale, ce genre de ping-pong psychotique extrême. Rester sur le qui-vive au front, s’avérant moins difficile que rester zen dans son living-room. C’est un peu l’histoire de deux mondes irréconciliables, chacun très loin d’espérer concevoir l’autre. Comment jouer avec son fils quand on a dû abattre un enfant du même âge deux jours plus tôt ? Quelle serait la réaction de la mère de votre propre fils, si elle savait ça ? Pourrait-elle reconnaître celui qu’elle aimait ? Laisserait-elle encore ces mains ensanglantées de tueur impitoyable caresser sa peau blanche et douce ?

Bien sûr, cette autre mère qui charge son petit d’une grenade destinée à l’ennemi, le tue tout autant que la balle de ce sharpshooter, bien sûr. Mais dans une guerre dont la légitimité est contestée, qu’on a déclenchée sur la base de fausses affirmations, se sentira-t-on au final héros ou salaud ?

Au goal average, Chris Kyle l’emporte haut la main : 160 à 0. C’est son score personnel. Kyle, qui a existé, soldat des Navy Seals, a vraiment dégommé dans la vraie vie – si on peut appeler une guerre, une vie – cent soixante personnes, femmes et enfants compris qui en voulaient à la sécurité des Marine’s qu’il était employé à protéger. Good Job.

Tout ça, pour une fois fusil raccroché, être abattu par un vétéran de sa propre armée. Comme quoi les hommes aux destins extraordinaires n’ont pas de fin ordinaire.
Peut-on s’emparer de la réalité pour faire un roman ou un film ? Pour Eastwood, la réponse est clairement oui. Il a apparemment raison puisqu'il vient de détrôner le recordman des recettes des films de guerre, le ''Il faut sauver le soldat Ryan'' de Spielberg.
Le procès de son assassin se tient justement maintenant, en pleine sortie du film : good shot clint…tu as toujours bien su tirer, toi aussi. Et puis quelle gueule, Clint, mordant comme un serpent, quel beau sniper tu aurais fait... autre chose que ce barbu-joufflu de Bradley Cooper. 

dimanche 1 mars 2015

Tic-Tac...

J'ai raté ma vie. Plus de cinquante ans et pas de Rollex au poignet. Ni aucun des must-have qui vous classent un type. Il est l'heure de l'admettre. De ceux que les Bimbos rangent dans leur boîte à critères pour leurs speed-dating à footballeurs.

J'avoue que cela a parfois contrarié mon hédonisme larvé : j'ai tellement regardé tourner ma Jaguar sur mon ''Circuit 24 '' quand j'étais petit, accroupi, seul, sur le parquet de ma chambre. Des heures durant elle m'a hypnotisé, avalant, obstinée, les tours de circuits en empoussiérant ses patins métalliques que je changeais de temps à autre. Je la connaissais pas cœur. Elle était survireuse ma type E, avec son gros cul vert anglais. Une fan de la centrifugation arrière, une vraie propulsion. Mais il suffisait d'un léger relâchement de mon pouce sur la poignée à l'entrée du virage pour qu'elle ne déraille pas.
Tous les copains de passage voulaient la Porsche, étincelante dans sa livrée argent, plus basse, plus rapide mais... toujours battue malgré le handicap car je connaissais tellement bien le circuit et la Jaguar... Ne jamais tenter le dépassement en courbe, attendre son heure, la faute, ou, plus pernicieux encore, attendre la chicane pour percuter la teutonne de trois quart arrière et la faire gicler du rail.
Aujourd'hui pourtant, je ne cracherais pas sur une Porsche, moderne et fiable même si la connotation ''coiffeur italien'' ou pire ''vieux beau sur le retour'' est gênante. Mais quand même, tu ne dois plus avoir envie d'autoroutes mais de belles épingles à cheveux à enchaîner bien à plat, comme ses cylindres, dans une musicalité envoûtante et des coups de pied au cul fantastiques à chaque effleurage d'accélérateur... Du plaisir brut, quoi... mais non, j'en n'ai pas... c'est tellement vulgaire en plus... tandis qu'Aston-Martin c'est le fantasme total... bon, ben, oublie Marcus... t'as raté ta vie, t'as raté ta vie.

L'heure ? Par le portable le plus souvent, ou bien encore par cette conscience aigüe du temps que t'as donné, le temps lui-même, précisément, qui à force de son écoulement te découpe l'expérience en tranches si fines que lorsque ta compagne te demande dans un de ces moments où le rythme s'est englué : il est quelle heure tu crois ? À n'importe quel moment de la nuit, à une heure où cela n'a d'ailleurs aucune importance, tu as cette quasi-effrayante capacité à répondre : 3 h 48 en te trompant de plus ou moins cinq minutes seulement.

Là, tu comprends le pouvoir de ce qui te décoche de la réalité, comme l'écriture qui te sors de l'espace temps. Tu penses n'avoir écris qu'une heure et il est l'aube déjà. Sauf que ça, c'est quand tu étais malheureux, que tu voulais t'échapper de ta vie. Maintenant, malgré les idées qui te traversent, tu dors comme un ouvrier, serein comme un maçon éreinté, forge ralentie, comme un type qui ne s'interroge plus, comme un type qui a enfin choisi.

Posséder une Porsche pour posséder une Porsche ? Aucun intérêt, c'est comme lire l'heure sur une Rollex. Mais pour goûter aux sensations que donne une voiture de sport, oui. Si seulement tu es allé apprendre à piloter sur terre pour en comprendre le comportement, apprendre à redresser un dérapage, à passer la puissance. Savoir et aimer la minutie d'une mécanique de précision.

Rollex pour se gargariser de lire du nom propre évocateur d'or et de Rolls ?
Mais une mécanique de prestige dans un boîtier pas huppé, c'est sympa aussi, surtout si on ''t'offre'' (à prix d'or) une série limitée dont le graphisme irrévérencieux vient contrarier la bourgeoisie de l'objet en te rappelant ta jeunesse et les caves humides ou tu te prenais pour un musicos. Tiens, comme cette Zénit animée par un mouvement ''El Primero'' siglée de la langue Stones. Ah bon ? J'ai un goût de chiottes ? Moi je trouve ça bien : modestie de la marque, classe d'un mouvement de grande précision et insolence rock. Et puis oh, ce ne serait que pour mon poignet.

Eh bien lecteur, j'en ai trouvé une d'occase sur The good corner : 9500 écus ! Ha, Ha, très drôle... c'est pas pour les kinés dis donc... encore un plaisir raté... mais qu'il est con ce Seguela !

C'est comme le sauna à trois mille mètres d'altitude de Cortina d'Ampezzo vu l'autre jour sur France 2 : si tu l'as raté lecteur va le repêcher sur pluzz, tu y verras de la coucougnette de trentenaire privilégié épilé, ça vaut la recherche (et donne-nous le lien par la même occasion, j'ai pas le temps...) le type sort plonger tout nu dans ce qu'il croit être de la poudreuse et se ramasse sur une plaque dure offrant la vue de ses... enfin, vas-y jeune fille, c'est pas tous les jours qu'on rigole.

Alors bien sûr, il y a la sophistication virtuose du trois étoiles Michelin pour ton assiette. Faut y aller pour savoir. Entre ridicule et admiration. Moindre plaisir que de sucer la tête d'une gambas de roche. Et moi, j'ai de la chance, je suis heureux avec rien. Enfin, si ''rien'' est par exemple la Méditerranée au crépuscule – plage de Maguelonne - quand le ciel et l'eau peinent à se différencier, avec une pêche miraculeuse mangée avec les doigts, grillée au feu du bois ramassé sur place, entre trouffions évadés de la caserne austère. La vie quand elle échappe à la contrainte. L'instant magique, des flammes, des galets, du bois flotté, le miroir de l'eau, le lever de lune, l'effluve qui nourrit, les doigts qui brûlent, la chair blanche qui fond, les étoiles, le bruit du ressac, des coquilles nacrées, rien que des merveilles simples et gratuites. La conscience de vivre. L'âme vagabonde, le sentiment fragile. Une étoffe qui se dérobe, douce et lente, sans désemparer, devant la sauvagerie brute. Presque rien. Un temps particulier qu'aucune montre ne sait mesurer. Toutes les secondes ne se valent pas.