Elle a mis son tablier rouge barré d'un gros ''Thermomix'' ce qui lui a conféré au sein du groupe à peu près la même évidente autorité que la blouse blanche d'une profession médicale évoluant parmi ses patients. Puis, nous avons dû remplir un questionnaire. Au libellé des questions, on pouvait déjà subodorer l'argument commercial qui en découlerait. Il fallait cocher par ordre d'importance, un, deux, trois, quatre et cinq, ce que l'on privilégiait dans l'acte de cuisiner : La rapidité ? Le naturel ? L'économie ? La créativité ou encore la qualité. J'ai mis l'économie en cinq histoire de la snober sur le fait qu'en fin de démonstration, si je ne lui achetais pas son ''Blender cuisant'' cela n'était certainement pas parce que j'étais fauché. La seule motivation qui me concernait n'apparaissait pas : le fait que pour un homme qui aime cuisiner, ce truc est un super jouet. L'homme est joueur, c'est comme ça. Il s'en fout bien, l'homme, si ça fait des économies, salit moins de casseroles ou si c'est plus rapide... ce n'est pas son problème. Mais les femmes, et particulièrement les démonstratrices patentées en ''Thermomix'' ne connaissent rien à la psychologie masculine vu qu'elles se réfèrent aveuglément à la grille psycho-commerciale élaborée par Vorwerk. Jawhol, putain ! Deutsche technik !
A la case prénom, j'ai inscrit : Mr Delon. C'est vrai quoi, on n'a pas râpé les carottes ensemble que je sache, et j'ai horreur de cette mode à la noix qui voudrait qu'on soit d'emblée tous copains comme cochon parce que ça ferait plus cool et nous agrègerait de fait à une même famille d'opérateurs bavarois. Ce n'est pas parce que je suis là que je vais te l'acheter ton robot magique, ''Noëlle''. Quand elle a ramassé les copies, elle m'a demandé pourquoi je n'avais pas donné tous mes renseignements, adresse, téléphone, etc mais seulement mon email, j'avoue assez illisible.
- Parce que cela suffit pour me joindre et que je n'aime pas être sollicité, lui ai-je rétorqué.
Ce qui a instantanément jeté un froid, ce que n'est par contre, pas capable de générer ledit génial robot... Ce n'était pas de l'antipathie de ma part, pas du tout, c'était juste qu'en lui disant la vérité il me semblait que je la respectais plus. Elle a commencé par une pâte à pain et n'a pas attendu que l'assistance s'esbaudisse spontanément mais ponctuait d'un « c'est géant !» chaque victoire remportée par le malaxeur chauffant. Moi, des pains, j'avais déjà envie de lui en donner, à ce stade. Et voilà, en trois coups de pétrin électronique qui tanguait dangereusement sur le plan de travail, c'était géant, la pâte était faite.
- Marc, géant, non ?
J'étais le seul qui ne possédait pas encore le fameux pétrisseur calorigène, puisque c'était la soeur de mon amie qui l'acquérait et que les autres femmes étaient venues là parce qu'elles se seraient emmerdées chez elles vu qu'elles sont dépouvues de passions, hobbies ou autres amants de passage, en bonnes catéchistes bénévoles et mitonnantes qu'elles sont. C'était donc moi qu'il fallait séduire. Là, je lui ai dit que dans l'acte de corvée qui consistait à élaborer une pâte, le seul moment qui me plaisait, c'était d'y mettre la main. Déformation professionnelle sans doute. Que c'était agréable de pétrir la pâte dans la douceur moite et farineuse. Et que, comme tout homme, j'adorais quand ma femme pétrissait la pâte de la pizza à venir car c'était alors le meilleur moment pour pétrir ses seins sans qu'elle me repousse trop de façon réflexe - le danger de tout salir avec la farine ...- et que l'on pense tenir alors tout le bonheur du monde entre ses mains. Ce dont son robot mijoteur me priverait. Apparemment, soit j'étais le seul à éprouver ça, soit cela appartenait aux hypocrisies tues... ben merde, alors, moi qui croyais que c'était aussi naturel que de boire un coup lorsque l'on a soif... J'ai senti passer dans le regard de l'amie-hôtesse, toute la détresse de celle qui a compris qu'elle avait commis l'erreur fatale en m'invitant. Exactement comme si le fait d'émettre des réserves t'excluait automatiquement du cercle convenu des pétrisseurs sympathiques associés. Et finalement, en y réfléchissant, ce qui te rapproche le plus de la consistance d'un sein, c'est bien la pâte à pain... d'où, d'ailleurs, peut-être, l'intérêt de l'Italien pour le téton et la pizza, tandis que le Teuton qui n'aime que lui, est comme chacun sait, obsédé par sa bière et sa saucisse... enfin bref, je me suis quand même efforcé de ne pas les enfariner en développant plus avant ma théorie. - Alors, Marc, maintenant, on va faire un sorbet, vous aimez les desserts, bien sûr comme tout le m...- Non
- Pardon ? Vous n'aimez pas les desserts ?
- Non...- Comment, c'est pas possible...- Pourquoi ?- Eh bien tout le monde aime les desserts...- Moi, non...- C'est vrai, confirme Laura, qui m'a souvent à sa table, Marc n'en prend pas en général...- Si, ça m'arrive, mais chaque fois, je le regrette. Je préfère emporter le goût du plat principal, un bon poisson ou une bonne viande que ce shoot de sucre qui va m'écoeurer tout l'après-midi...-Alors donc vous êtes salaud... heu... salé je veux dire... renchérit la démonstratrice qui par cette conclusion scientifique espère garder la main.- C'est ça, un salaud salé, que je lui fais...- Alors, Anne, venez, vous allez mettre vingt grammes de morceaux de sucre, contrôlez sur l'écran car il pèse et tare tout au fur et à mesure des ingrédients, ce qui est quand même géant et on met la vitesse trois. BrrrrrrrrGrrrrrrr fait le mixer rhénan... et hop qu'est-ce qu'on a maintenant, Marc ?- De la poudre !- Ouiiiiiiiiiii........... ! Du sucre en poudre, du sucre glace : gé-ant !- …. ?...- Alors maintenant, Marc va mettre cinq cents grammes de Reines-Claude sorties du congélateur et va programmer trois minutes à vitesse quatre...- Non, non, c'est bon, faites-le vous, je regarde... - C'est ce bouton, là...- Oui, oui je sais... et je sais appuyer sur un bouton, mais allez-y, travaillez un peu...GrrrrrrrrBrrrrrrrrreuhBzzzzzzzzzzsssslllllllluuurrpp fait le mélangeur turbotisé pas bégueule- Sorbet... géant ! Goûtez, allez-y... tout le monde à sa petite cuillère, goûtez ! ... hein ? Et si je veux une consistance à l'italienne maintenant : Brzzzzzzzzzerrtttreezez hop, gé-ant ! Forza Italia !- On pourrait avoir une boule ''Materazzi'' ?Fait Jean-François de l'autre côté de la paillasse. Je pouffe, pendant que la technicienne es-robot teutonné essaye de comprendre. Je reprends la main :- Moi je voudrais savoir quelques trucs : peut-on faire, de la tapenade, de la brandade de morue, de l'aïoli, de la daube et de la soupe de poisson ?- Bravoooo Marc...!
-… ?....- Quelles bonnes idées... mais oui, on peut faire tout ça avec le ''Thermomix'' car cet appareil est...- Géant ! Qu'on tonitrue de conserve spontanément, JF et moi...Sa femme le toise du regard, - la mienne n'est pas là, elle a déjà assisté à la démonstration et a décrété que cet appareil serait ''bien pour moi mais pas pour elle''. C'est une terrienne faut dire... elle, c'est pas l'aluminium et l'électronique qui la font fantasmer, ce sont les cuillères en bois, la fonte, les braises et tous les appareils ''huile de coude'', moulin à légumes, etc dont la rolls des robots projette de l'en priver... - sa femme le toise du regard donc, un regard qui lui dit : tu ne vas pas t'y mettre toi aussi ? déçue qu'il ait choisi de se marrer avec moi plutôt que d'écouter sagement la ''technicienne de mixage'' qui accuse le coup en silence. Persuadée que la démo marque les esprits, elle me défie soudain :- Alors Marc, qu'en pensez-vous, déjà ?- Ben... que pour le moment, je fais la même chose avec mon blender... qui vaut quinze fois moins cher...Là, la démonstratrice blêmit légèrement… elle n’avait pas fait tout ça pour que ce soit aussi ‘’Géant’’ que n’importe quel blender mal fagoté. Et alors que la spécialiste en pétrissage germain High-Tech offre la nuque, Pauline, jolie étudiante de vingt ans sort le descabello :
- Toi, on doit pas t’arnaquer facilement… !
Qu’elle me lance avec la spontanéité de sa jeunesse. Bonjour l’allusion que démonstratrice ou arnaqueuse c’est kif-kif… à tel point que, plaignant la travailleuse en mixage calorique progressiste, je formule un compliment à l’appareil magique, aide des grands chefs pour la préparation de leurs bases comme des nullités qui ont vraiment besoin d’un mode d’emploi pour cuire un steack. Car elle n’est pas méchante, cette représentante, elle me rappelle un peu, en beaucoup plus jeune, le public de ce grand fou de Franck Michael, cet improbable sex-symbol pour mamies salaces et autres veuves joyeuses en mal de vibrations non mécanisées.
Avez-vous assisté à la retransmission d’un concert de cet énergumène ? Je veux bien qu’il sache parler aux femmes – Toutes, toutes les femmes sont belles… un refrain qui ne mange pas de pain - et que la séduction relève d’une alchimie mystérieuse… mais quand même… y’a des limites à la compréhension des phénomènes paranormaux… si Franck Michael est un sex-symbol, Mélenchon est un Chippendale et François Hollande le Dieu Apollon… quant à Martine Aubry et Eva Joly… de quasi-bombasses atomiques à fission libidineuse défragmentée et frissons polysensoriels parcourant la surface de leur enveloppe charnelle brûlante et tétanisée tandis que Ségolène, elle, s’apparenterait à une gogo-danseuse militarisée sous le feu vaginal dévorant d’une ambition Miterrandienne… Vous en voulez de l’autre côté pour qu’il n’y ait pas de jaloux et que tout le monde puisse se gargariser de sa petite catharsis ? Allons-y : Si Franck Michael est un sex-symbol, Roselyne Bachelot est une statuaire Baoulé érotomaniaque pour danse rituelle de guerriers tropicaux frustrés en rut, et Christine Boutin une sérial-partouzeuse judéo-sodomique pour cégétistes athées en grève. Au minimum. Ça va mieux, lecteurs de gauche ?
Franck Michael sex-symbol, c’est l’oxymore suprême, une injure à l’intelligence, à la beauté de la nature, une injure à la vie, à l’épanouissement sexuel, une insulte à l’orgasme, c’est avoir les couteaux inoxydables du Thermomix en lieu et place du clitoris, le thermostat bloqué sur dix et le Vapoma en volute, c’est vouloir mourir plus tôt, mais c’est pourtant ce que des milliers de vieilles femmes pensent, preuve incontestable de la dégénérescence esthétique, culturelle, philosophique et libidineuse de notre beau pays. Les avez-vous vues, aux premiers rangs, agiter par cohortes du beau linge brodé à bout de bras comme les jeunes des briquets dans la pénombre ? Et elles sont où, à ce moment-là, les arthroses scapulo-humérales invalidantes avec lesquelles on ne peut même pas tendre sa carte vitale à son kiné préféré pour le payer enfin chichement, hein ? Salopes ! Brandissent-elles des culottes en dentelle de Cambrai, comme autant de bêtises éponymes ? Que nenni ! Car le summum de l’érotisme, mesdames et messieurs, quand la libido a été salement moulinée par la sénilité crasse avec dépression neuronale aconnassée systémique, le grand frisson, l’acmé de l’excitation gériatrique remarquez-le bien, c’est quand le chanteur-aïeul maxi-poudré, et over-prothésé vous prive subrepticement de ce mouchoir pour éponger la sueur de son front d’ex-bête de sexe, aussi ridé qu’un coing abandonné sous la branche d’où il chut, un front ou son vestige, qui peine à soutenir la moumoute jaunie papier maïs que Maurice son ringard de coiffeur lui a concédé d’occasion après que Raoul ait cassé sa pipe. Et bien c’est celui-là même, pour qui le giron qui vous enfanta, vibre, à votre grande honte. Comme je vous comprends.
Sur ce, elle nous quitta en laissant le magic-robot nous préparer simultanément du riz Basmati et sa sauce, une julienne de légumes que Jean-François qualifia de « ragoût d’épluchures » et des filets de ce poisson obèse nourri avec des croquettes éhontément appelé ''saumon'', le tout à la vapeur – essayez d’en faire autant avec une seule casserole et en 15’ 38’’ - en me promettant de venir chez moi me concocter la recette couchée sur ma fiche : La Marmite du Pêcheur.
- Oui ben on verra, hein… « tu » as mon mail…..
Le lendemain dimanche, en fin d'après-midi – car je te rappelle lecteur largué que le post s’intitule ''Week-end d’Automne''- j’ai voulu emmener Louise voir un film rigolo… Un film qui cartonne…un film tellement démago qu’il serait impossible de le critiquer sous peine de passer pour un gros salaud… un intouchable, quoi… Quand je pense à la déception qui m’étreignit pour « Bienvenue chez les Ch’tis » quand je le vis enfin à la télé, ça fout la trouille… les films cultes… cucultes, oui… par rapport à ''Easy Rider'' ou à ''2001 Odyssée de l'Espace''... Avez-vous remarqué que le mécanisme est toujours le même ? Si c’est de l’amour il faut qu’ils se détestent bien au début, que tout les oppose, qu’ils ne se supportent pas… Ou bien le mec du Sud avec celui du Nord, donc… ou ''pire'' : le lascar noir de banlieue bien costaud et vertical face à l’aristo friqué, blanc, malingre, handicapé et horizontal… évidemment le premier est super sympa et spirituel et la famille de l’aristo craint un max. Evidemment. Et bien sûr l’art contemporain et la culture sont raillés tandis que le fric et la Maserati sont encensés. Et la maréchaussée bernée. Bien sûr. Sinon le cocktail ne serait pas très populaire et n'engendrerait pas les entrées escomptées. Tout ça faisait que j’avais moyennement envie de me déplacer. Quand on s’est présenté devant la caisse avec Louise, il n’y avait plus que trois places isolées, on ne pouvait être ensemble. Alors, le visage de Louise qui avait repéré les affiches s’est soudain éclairé : le Chat Potté papa s’il te plait… avec des Pop-Corns ! Tout ce que j’aime, quoi… mais comment dire non à sa gentille petite fifille enfantée dans la douleur - celle de ne pouvoir rien faire pour aider, la pire...- qui toujours sut d’instinct vous toréer par le bas avec tant de naturel ? Il n'y a qu'elle pour me faire obéir comme ça.
Elle qui venait de me donner tant d'amour. Il faisait très beau en ce début d'après-midi dominical. Je prenais le café sur la terrasse, la tête renversée dans le soleil éclatant. Avec un peu d'imagination et grâce à cet éblouissement on avait l'impression d'être à la terrasse d'un de ces restaurants d'altitude qui parsèment les pistes de ski. Elle était encore scotchée devant la télévision et l'écran d'une console sous les yeux. Je suis allé la chercher, lui intimant l'ordre de sortir dans le jardin, éteignant tous les écrans. Boudeuse, elle a traversé la terrasse, slalomé entre les piquets de tomate et s'est dirigée droit vers sa cabane dans le fond du jardin derrière le feuillage sombre des lauriers thym et sous les micocouliers qui saupoudraient le clapas de leurs petites feuilles mordorées. Elle est revenue cinq minutes après, pâle et le cheveu en bataille, pantalon déchiré et mine renfrognée. Elle avait mal au genou. Je lui ai fais quitter son pantalon et quand elle a vu le trou rouge et le sang sur sa rotule, elle s'est mise à pleurer. Très fort, avec ces mimiques désespérées qu'ont les gros bébés pour nous inquiéter, toute rouge et grimaçante avec des filets de salive sur les lèvres. J'ai joué du pschit-pschitt désinfectant en me moquant gentiment d'elle pour dédramatiser et bombardé le feu de la plaie en mode ''Canadair'' et déjà les hoquets du rire se mêlaient aux sanglots. Je l'ai rhabillée, réchauffée, elle m'a chevauché pour s'allonger sur moi, ses petites mains encore potelées accrochées à mes épaules et sa bouche dans mon cou. Et nous sommes restés là, longtemps, sans dire un mot, son poids tout chaud soulevé par ma respiration. Quand une de mes mains glissait, elle la rattrapait et la replaçait sur elle. Elle voulait mes mains chaudes sur son dos. Nous étions prolongés l'un dans l'autre et repus de nos odeurs. Venu jusqu'à nous de l'aérodrome de Courbessac, un petit monomoteur vrombissant est passé au zénith, je l'ai suivi des yeux me disant dans l'état d'hyper réceptivité affective où je me trouvais, cette connerie : que c'était peut-être l'âme de ma mère qui venait nous voir. Combien ces deux-là se seraient aimées... Quel gâchis insondable d'amour perdu, qu'elles ne se soient pas connues... Quel préjudice immense pour elles deux. C'est comme ça, c'est trop tard et on n'y peut rien sauf à contrôler le picotement des yeux. Maintenant, plus qu'un tout petit point luisant là-haut dans le soleil, le monomoteur. Comme un tout petit oiseau d'aluminium brillant qui s'attaquerait, prétentieux, à la résolution du mystère de la vie. A l'acceptation de la grande roue qui nous centrifuge toujours un peu plus vers la sortie, jour après jour. Un éclair très vif et fugace, le petit avion, qui bourdonne encore mais va disparaître dans quelques secondes, un peu comme les souvenirs de maman traversent mon esprit au fil du temps. Un peu comme si j'essayais parfois de lui offrir sa petite fille à voir. Louise ne pleure plus, ne renifle plus, elle est bien, elle est relâchée sur moi, empreinte dans mon torse qui peine maintenant à prendre ses inspirations. C'est une gêne agréable. Je sais que le seul véritable amour est celui-là. Qu'elle seule peut l'inspirer comme l'ont fait avant elle mes fils. Pur, gratuit, sans espoir de récompense, désintéressé. Je goûte intensément chacune de ces secondes devenues si rares avant que Louise ne se reprenne enfin et d'un bond quitte mon étreinte pour s'en aller à nouveau rejoindre sa cabane où règne un autre monde dans lequel elle ne m'invite pas.