
¡ VIVE TES COUILLES, PADILLA !
Ou comment l'aficion à l'écriture de la lumière, à la littérature et à la tauromachie peuvent essayer de se côtoyer pour potentialiser le plaisir d'en partager les attraits. C'est pompeux ? Tant pis, pour l'instant j'ai pas mieux...
Gina.
de Simone SALOMON
Je vais remonter à la fin des temps, il y a des siècles et des siècles. Je suis en effet de la génération qui a vu toréer Dominguin, Ordonez, Bienvenida, Litri et bien d’autres ! Et pourtant rien ne m’y prédisposait ou presque. Née à Paris, je ne connaissais, quand j’étais petite, que les arènes de Lutèce, où je ne vis que des ruines. Mais voilà, mon père alors qu’il était jeune étudiant en « lettres classiques », des années auparavant, avait eu, un été, une bourse d’études pour enseigner la littérature romantique française aux étudiants portugais de l’université de Porto, et il se prit d’attachement pour la péninsule. De loin ; parce qu’il resta fidèle au grec et au latin ; et très abstraitement ou intellectuellement, puisque c’est la fréquentation d’écrivains français, tel que Prosper Mérimée ( vous savez CARMEN ), dont il éditera plus tard, dans la collection de « La Pléiade » les oeuvres complètes, et George Sand ( Un Hiver à Majorque ) dont il restera un spécialiste toute sa vie durant, qui entretiendront cette petite flamme. Il ne revint en Espagne que sur la fin de sa vie, quelque cinquante ans plus tard, quand nous l’avons emmené avec nous y passer un mois de vacances.
Alors ? Alors, après la guerre, nous avons quitté Paris, et c’est dans une petite ville de l’Ouest que j’entrai en classe de 4ème, au lycée, et que se posa le problème : comme j’avais fait du latin depuis la sixième, allais-je faire du grec, comme papa ou une deuxième langue vivante, par exemple de l’allemand, toujours comme papa ? Ni l’un ni l’autre ne me tentaient ; et mon père me laissa choisir l’étude de l’espagnol, après trois mois de grec, quand même « pour voir ». J’ai tout de suite aimé l’espagnol, ses musiques, sa littérature, ses danses, ses costumes, ses coutumes, son soleil, ses saveurs, ses horizons, son histoire, et son mystère ; parce qu’a cette époque-là, la frontière était toujours fermée . C’était à la fin des années quarante. J’étais bonne élève. En classe de seconde, j’ai eu le prix d’excellence et presque tous les premiers prix. Mes parents voulurent me récompenser.
Depuis quelques temps, j’avais une correspondante à Pamplona, plus âgée que moi, d’une famille très francophile, mais antifranquiste. Comme la frontière venait de s’ouvrir, elle m’invitait à partager un mois avec ses parents, ses quatre sœurs et son frère, comme une enfant venue du pays des libertés. Après quelques semaines d’hésitations et devant mon insistance, mes parents décidèrent de me faire confiance : avec un passeport tout neuf en mains, mon billet de train et ma valise, me voici sur le quai de la gare, en route vers le sud. J’avais quinze ans.
Première étape la gare de Bordeaux, une nuit à attendre la correspondance, un peu angoissée. Au petit matin, je grimpe dans le train pour Hendaye, longue traversée des Landes, puis arrivée à la frontière, cérémonie des papiers d’identité, passeport, fouille de la valise, changement de train, et c’est le plongeon dans l’inconnu.
Au lycée, je n’avais jamais parlé qu’une langue scolaire, enseignée par une malheureuse qui n’avait jamais mis les pieds en Espagne, et je me retrouve de l’autre coté de la frontière, à la nuit tombante, dans un petit train, avec une plate forme centrale comme dans ceux des westerns, escaladant les montagnes du Pays basque et de Navarre, au milieu d’un de ces terribles orages de montagne qui obligeait le train à s'arrêter à chaque éclair, tandis que les femmes réunies au milieu du wagon, à genoux, priaient. En basque ! Dans cette langue dont je ne connaissais pas un traître mot, elles semblaient m’inviter à me joindre à elles : j’étais morte de peur.
Mais je l’avais voulu ce voyage et je fis « de tripas corrazon », comme on m’avait appris, contre mauvaise fortune bon cœur en quelque sorte. Heureusement les éclairs se calmèrent, le train reprit une allure plus régulière, mais c’est brisée de fatigue et d’émotions, sale, fière de moi pourtant, que j’arrivai en gare de Pamplona.
Presque tout de suite, dans la foule, mes amis me reconnurent, d'après les photos que je leur avais envoyées, m’entourèrent et me conduisirent aussitôt à la maison. Il y avait quarante huit heures que je voyageais, et j’étais rompue de fatigue ; je pensais, après les présentations prendre un bon bain et profiter d’un sommeil bien mérité. Pourtant une nouvelle épreuve m’attendait.
Les filles, Carmen, Marite, Luisa et Josefina m’installèrent en face d’un miroir, tandis qu’elles retouchaient leur maquillage ; « prépare-toi, dépêche toi on sort ! » il était prés de minuit, on était le sept juillet . Je me suis donc retrouvée dans la rue, noire de monde - si je puis dire ! - parce que tous les garçons étaient de blanc vêtus, avec le béret rouge, le foulard rouge, la ceinture et les espadrilles de même couleur, chantant, dansant au son du xistu, buvant à leur gourde en peau de chèvre, le vin de Navarre. Les femmes, un oeillet dans les cheveux étaient aussi élégantes que sur les catalogues de mode, jupe étroite et talons hauts, et les bébés dans les landaus dormaient enfouis dans les dentelles, malgré le vacarme assourdissant des bandas. Et moi plus grande que la majorité des filles, avec mes longs cheveux raides, ma robe vichy à carreaux et mes espadrilles, je fus vite engloutie dans ce tourbillon, présentée à Untel, à Machin, à Chose, au novio, à la novia, au cousin, à la belle sœur, à la nena, au primo : « la francesita, la francesita »
J’avais chaud, on me donna à boire, on me fit passer par ici, puis par-là, prendre mon premier bocadillo, encore un peu à boire et, c’est ivre de fatigue qu’avec les quatre sœurs, je rentrai enfin me coucher, toutes les quatre avec nos chaussures à la main, pour ne pas risquer de réveiller Miguelcho, le fils de la maison, qui courrait l’encierro le matin même. Je dormis très peu cette première nuit. Et je ne vis pas Miguelcho courir ce matin là. Les filles avaient d’autres projets : il fallait me rendre, comment dire ? Présentable. Je fis donc l’objet d’une séance de coiffeuse, qui s’évertua, la pauvre, à boucler et à coiffer ma crinière raide afin d’y faire tenir un oeillet rouge, juste derrière l’oreille gauche. On me fit sortir mon plus beau chemisier, ma jupe la plus élégante ( ? ) Et, après avoir en hâte avalé quelques sardines frites et un flan au caramel, il fallut se précipiter au premier « paseo » de la journée, Plaza del Castillo.
Et j'apprit le rite d’alors : les groupes de filles, dans leur plus belle tenues, croisaient les groupes de garçons, interminablement, dans une sorte de parade traditionnelle où s'échangeaient rires, propos, clins d’oeil complices, jusqu’à ce qu’un jour un garçon se décide à aborder franchement une fille et que commencent ainsi ces éternelles fiançailles qui pouvaient durer dix ans, mais donnaient le droit de sortir à deux, les parents faisant confiance au novio, chargé de la bonne conduite du couple.
Je les ai enviées, toutes ces filles, de vivre avec ce que je croyais alors être une forme de liberté : la vie m’a prouvé le contraire. Peu à peu les groupes s’éclaircirent, on se donna rendez-vous pour plus tard. Parce que l’heure arrivait : cinq heures du soir.
C’est alors le père de famille qui me prit en charge. Il me présenta, chemin faisant à ses vieux amis, qu’il retrouvait le soir au casino, là où seuls les hommes étaient admis. C’est avec lui, donc, que j’entrai dans les arènes, pour la première fois, saisie comme dans un frisson par la multitude de couleurs, d’odeurs, de cris, de chants, suffoquée par la chaleur, la poussière, entraînée par les clameurs qui annonçaient l’entrée du paseillo. Et soudain, les larmes aux yeux devant l’or des costumes, la robe noire du toro et l’enjeu du combat, je fus prise si fort par le drame que le premier sang du toro ne me fit même pas détourner la tête : la tragédie classique en parlait tellement de sang versé, je savais ce que c’était en imagination. Et cette fois j’étais au cœur de la tragédie. Ce fut le moment le plus intense que j’avais vécu jusqu’alors. Jusqu’au moment de vérité.
Voilà comment j’eus la « révélation » à l’âge de quinze ans, pendant les San Fermines, à la fin des années quarante. Pendant ma vie, j’ai essayé de transmettre un peu de cette expérience singulière. J’en ai fait ma culture , j’ai appris et enseigné la langue de Cervantes , j’ai fait réciter le « Llanto a la muerte de Ignacio Sanchez Mejias » de Garcia Lorca .Chez moi, j’ai une oreille de toro toute desséchée et une vielle banderille toute fanée ; je ne sais toujours pas si je suis « torista » ou « torerista «, je sais seulement ce qu’est l’aficion.
Tout cela parce qu’un jour de San Fermin , Josefina et son novio Javier attachèrent un oeillet rouge dans mes cheveux , pour que don Miguel , le père , soit fier d’emmener la francesita au tendido sombra voir sa première Corrida . Merci.
Plusieurs années de suite, mes parents me permirent de refaire le voyage : merci. Car c’est ainsi que naît la passion d’une vie.
Merci enfin à tous les acteurs de la Fiesta brava, du plus manso au plus sincère, merci de m’avoir appris ce qu’est la magie du "duende", qu’il faut donner du temps au temps et que le meilleur est toujours à venir, jusqu’au dernier soir du dernier jour, où dans le dernier souffle, il ne reste plus qu’à soupirer :
« ! Pobre de Mi ! »
CLEMENT d'Alexandrie
v.150-v.215
Nimeno s'est pendu chez lui, dans son garage. Il s'est tué comme un agriculteur usé qui décide que les choses doivent s'arrêter là. Avec le même désespoir, solide comme un bloc de pierre, de ceux qui vous entrainent vers le fond. Malgré l'amour des autres, sa femme médecin, ses deux enfants, et Alain, l'ancien torero, son frêre ainé, son semblable, son double ; malgré la fidélité de ses amis, l'admiration de son public et la pudeur de Nîmes, sa ville d'adoption. Ces derniers temps, Nimeno était devenu sourd et aveugle au monde extérieur, il vivait reclus, ne voyait plus personne, s'enfermait dans son monde, silencieux et discret, encore plus qu'à l'accoutumée, comme s'il se préparait à s'effacer complètement. Il était malade, malade d'un amour qu'il vivait comme une passion, quand elle n'embrasse plus rien et qu'elle n'est que douleur et souffrance. Le torero avait besoin des toros. C'était sa vie, il le disait simplement. En lui enlevant les toros, on lui a enlevé la vie. Son corps est mort à Arles, un jour de septembre 1989 quand un toro de Miura l'a cassé en deux. Il s'appelait "Panolero", pesait 549 kgs et ses cornes pouvaient couper un bonheur en deux. Il s'est contenté de jeter l'idole vers le ciel et de laisser retomber, sur le sable, un handicapé aux vertèbres cervicales brisées. Nimeno n'en a jamais voulu au taureau, il n'en a jamais voulu à personne d'ailleurs, il n'avait pas de revanche à prendre, il disait simplement qu'il "faut toujours aller jusqu'au bout de sa passion". Il est resté 44 jours dans l'obscurité d'une unité de réanimation, son coeur et sa respiration se sont arrétés deux fois ; on le disait perdu, il a survécu et lutté des mois en réeducation pour réveiller ce corps-momie. Quand le miraculé a retrouvé l'usage du bras droit et de ses jambes, quand il a recommencé à parler, à marcher, à se laver, à écrire... Alors, Christian Montcouquiol, dit Nimeno II, s'est remis à parler d'avenir, à rêver de toros et, pour la première fois, à sourire. A Nîmes, on s'est remis à espérer. On l'aimait. Ce n'était pas un héros même s'il avait un courage fou, ce n'était pas une force de la nature bien qu'il se soit fait un corps d'athlète. Il avait le visage long, grave, les yeux cernés de sombre, un visage de passion qui se muait en masque de cire griffé par la peur du vide au moment de s'avancer dans l'arène. Il était mince et fragile, comme un adolescent qui vit son amour mais ne sait pas en parler. Aux autres les discours, les analyses et les envolées ; lui vivait le mythe taurin, brut et sans recul. On l'aimait, parce qu'il était celui qui portait le rêve. Lui, petit français et grand torero, avait réussi à s'imposer parmi les tous premiers, à faire taire les impitoyables critiques espagnols, à imposer le respect au monde terrible de la tauromachie. On s'inclinait devant son absolue sincérité, cette intégrité presque rigide dans le rituel, cette façon de se mettre face aux cornes, à la mort, quelque soit l'enjeu, quelque soit le lieu. Huit cent toros combattus, dix huit ans de carrière, trente cinq corridas par an, sa statue plantée à l'entrée des arènes de Cancun au Mexique... Il impressionnait. Nîmes, les aficionados français, les jeunes toreros qui voulaient marcher sur ses traces, et les anciens, Simon Casas et Alain, le frêre, dit Nimeno I, ceux qui avaient ouvert la voie avant de s'arrêter le souffle coupé par leur propre audace, tous regardaient cet homme fragile et silencieux qui semblait dire : "c'est possible". Il était celui qui justifiait le romantisme des autres, leurs fantasmes, leurs plongées dans l'univers magique de la corrida, comme un mythe sans fond. "Ce qui rendrait l'équilibre à mon frêre," disait Alain son double, "ce serait de rejouer sa vie devant les toros..." On espérait son retour, c'était fou et absurde. A 37 ans, Nimeno était perdu pour les toros. Sa main gauche, celle qui trace les naturelles, restait figée, immobile. C'était fini. Nimeno avait fini par le comprendre. Il avait fait mine de se faire une raison. Puis il s'était retiré du monde des vivants. Il savait qu'il ne pourrait plus jamais se planter au soleil, les deux pieds dans le sable d'une arène, étendre la main gauche devant lui, accueillir le toro et regarder la mort défiler devant lui. Alors il a préféré partir avec elle.
Anonyme
A LA CINCO DE LA TARDE + 6
de G. MOSCHINI
En attendant, une mouche s’est posée sur le « programme officiel » de l’après-midi. Officieusement, l’odeur de la mort a délégué ses pouvoirs.
En face, Les piques sont accrochés au mur comme les espaliers de chez mon kiné… et les castorenos n’ont pas la queue plate.
En attendant Le Calejon grouille comme les galeries étroites d’une fourmilière. Une reine blonde, mal à l’aise, s’est planquée derrière le Burladero gris, derrière les Burladeros rouges…
…en tauromachie, tout passage est étroit.
En face
Ce toril noir entrouvert d’où pointe la rosée perlée des habits de lumière, évoque « l’origine du monde ».
En attendant
Je me retourne souvent faisant mine de regarder le ciel.
En vérité
Ma voisine du dessus m’invite sans le savoir à mater ses dessous noirs plutôt échancrés.
A cet instant accroché, je me fous pas mal des bas roses des matadors… Olé !
Fresques en déplacement
Fresques pour tenter de déjouer la mort
Arabesques pour entrer dans la danse
Vérité suspendue qui nous accorde,
Un cours instant, à passer de l’un à l’autre
Ici, le désir semble plus léger que la mort
Le Torero avance (en guise d’offrande au public invité)
Ses doutes et ses incertitudes
Il écrit avec sa plume d’or l’aléatoire trempé
Dans l’encre rouge de la tête noire meurtrie
Comme la page blanche
Tout en la niant, il essaye de s’approprier l’écriture
Epreuve de vérité, danse du pouvoir et de la Mort
Les deux pieds dans le sable mouvant de l’arène,
Il cherche à ancrer nos errances jusqu’au bout
Et l’épée de notre désespoir
Il emprunte au passage la retombée du reste.
jean-Claude Van Damme non je déconne... Arthur Koestler
Woody Allen