Le toreo, l’exercice du seul
contre six notamment, c’est comme le
tennis ou le golf : c’est d’abord contre toi que tu te bats. Sauf que,
pour mettre les choses à plat, si tu risques l’épicondylite ou le lumbago avec
les baballes, c’est ta vie que tu peux déposer aux sabots des toros. Ce ne sont
pas que des mots, l’actualité vient de nous le rappeler. Donc, de toutes
façons, respect et bravo.
Seulement voilà, le
spectacle est cruel car à celui bien à l’abri sur son tendido, les lacunes sautent
aux yeux. Il était louable de choisir des Albasserada très bien présentés mais
ceux-ci se sont avérés peu bagarreurs et sans l’inlassable pugnacité du sang
Domecq, eh oui, enfin de la portion d'entre-eux capables d’étaler toute ''la race
de leur colère''.
En préalable, pour situer,
on était en toreo 2.0 encore dit ''moderne'' : de profil, d’assez loin,
jambe de sortie effacée.
‘’Baratero’’ le premier,
sortit de la première pique à genoux et la seconde fut seulement mimée ce qui
ne l’empêcha pas de s’écrouler dès la deuxième série prudente. Dans l’interview
donnée dans le canard local, le maestro souhaitait un bon premier toro pour, d’emblée,
convaincre, lancer le solo vers la gloire. Sans doute que dans la bouche d’un
torero, un bon toro est un toro doux, de grande toréabilité ou un truc de ce
genre. Un truc à rééduquer gentiment. Privés d’émotion et de suspens on
attendait donc qu’il en termine avec ses séries accrochées dans le vent
convoqué pour épousseter le ciel.
Ce qu’il fit avec une
deuxième demi-épée molle comme une montre de Dali et deux descabellos : un
toro pour rien.
‘’Carpintero’’ c’était, plus
veleto que moi tu meurs. C’est bien simple, quand son museau était face au
lycée Daudet, les pointes de ses cornes regardaient l’Esplanade. Aucun
risque de vuelta de campana et pour encorner quelqu’un il aurait fallu qu’il
lèche d’abord le sable. Par contre, encorné, il était difficile de s’imaginer
pouvoir s’en décrocher un jour… Toujours rien au capote comme tout au long de la
course. Six fois rien. Rien de marquant ou d’artistique, oui, le vent, ok, mais bon… rien.
Simulacre de pique, entame à la barrière, séries enchainées des deux côtés,
changement de mains recto-verso, todo bueno, pero sin profondeur. Mort à la
première épée et descabello. Oreille.
‘’Bartero’’ saute la
barrière exactement face à mon ami Nicolas abonné du premier rang. Une sorte de
mécène, quoi… C’est vrai qu’il est sympathique et qu’on a envie de lui sauter
au cou, surtout les femmes. Mais bon, maintenant il a trouvé, ça va, n’insistez
pas… Ma voisine d’amphi – eh oui, ça y est, je suis pauvre à nouveau – trouve ça
génial. Je parle du toro. Y’a des connaisseurs. C’est vrai qu’au moins, il
vient de se passer quelque chose… Première pique carioquée pour calmer le
foufou, deuxième, ''régular''. Ce qui est joli dans le style de Castella, c’est
cette capacité qu’il a au milieu d’une série, à ralentir une passe isolée qui
du coup, apparaît magique.
La faena 2.0 se dilue de
désarmés en rafales de vent à contrôler fissa. Les musicos jouent pour se
réchauffer et nous persuader qu’on se régale… Metisaca et deuxième concluante
pour bartero qui s’en va mourir aux planches.
‘’Aviador’’ le quatrième,
est le chef d’escadron. C’est celui qui m’a le plus intéressé. Dans ce senior
toro il n’y a plus aucune puérilité, le tio est conscient, avisé, sérieux. Il
est né en janvier 2011 et traîne ses cinq ans et neuf mois – pour vous
économiser le calcul – avec circonspection, en pleine capacité à relativiser le
talent des ''vedettes''. Là, plus de simulacre : une première carioquée
pour châtier, une deuxième de plus loin, une troisième devant la présidence
depuis le centre de l’ovale, prise au galop. Ce toro ne tombe pas et le vent
est enfin tombé. Tout le monde pense – enfin j’espère- Castella, c’est le
moment de nous prouver qui tu es ! Va-t-il comme on est en droit de l’attendre
dans un tel exercice choisi et convoqué par lui, nous donner rendez-vous avec l’abnégation
et l’héroïsme avec lesquels – toujours l’interview du canard local – il veut
marquer l’Histoire de la tauromachie ??? Las, c’est plutôt le toro et le
vent qui se renforcent dans l’adversité. Le tio lui booste des retournés
rapides dans les chevilles à chaque passe et le zeff envoie des cites à
contre-temps. Ideal tout ça pour se montrer maestro… mais pas d’arrimon à l’horizon,
pas de gnaque, pas de pugnacité au combat, n’est pas Nimeno II ou Rincon qui
veut. On est assez vieux pour pouvoir comparer, c’est ça l’emmerdant. Désarmé,
profilé, loin…
‘’Madrono’’ le
désarme encore, n’essuie que deux séries, ne sera jamais dominé, c’est
peut-être difficile de se récupérer de la rencontre avec ‘’Aviador’’…
Encore désarmé à la
préparation de l’entrée à matar puis une première demi épée qui permet – en toreo
2.0 parce qu’on en a connu des situations de plus de pundonor – de descabeller.
Pétition incompréhensible si ce n’est due à l’aveuglement de l’amour, quasi, ou
de coller à l’évènement annoncé histoire de ne pas donner l’impression de
passer à côté, allez savoir ou bien encore que votre serviteur soit
complètement largué en 2.0, c’est fort possible. Obtenu, le cartilage ! Question
probable de goal average media.
Un type passe et
repasse devant nous, cognant nos genoux, écrasant nos pieds, un espagnol lui
lance :
Maintenant, on se
gèle vraiment, on baille, ‘’Tomatillo’’ le mansito d’en bas n’est pas très
concerné, on l’oblige à quatre rations ferrugineuses tandis que passe dans les
airs Bob l’éponge shooté à l’hélium qu’une petite main encore ignorante des
toros a laissé s’échapper au grand dam de parents qui avaient accepté le racket
de cet achat de vent. Soudain des naturelles accrochées puis pures au centre du
cirque dont une, j’ai bien dit une, enfin citée suerte chargée. Un redondo raté
quand somme vingt heures à la cloche. Quart d’épée à la deuxième tentative,
aussi inutile qu’un centre de déradicalisation, ''justifiant'' le descabello. Un type gueule : Casas, un brindis !
On s’en va, on se
gèle, encore habillés d’été, on a faim, on a envie de pisser, c’est la
bousculade dans les couloirs aussi noirs qu’Aviador, des escaliers romains qu’on
dévale puis remonte serrés comme des anchois, éclairés par les lamparos des smartphones car
la populace n’a pas droit à l’électricité des gradins numérotés. Castella
est-il sorti à hombros ? On n’en sait rien et on s’en fout car quoiqu’on
lise demain, il n’a convaincu personne, sans démériter, avec toutes ses
qualités, sans toros pour aider mais il faut bien le dire sans grande
personnalité, fadeur contre fadeur. Pourtant, devant moi, le blouson d'un type l'indiquait : Faites que cela arrive. Mais ça n'est pas arrivé. Dans le ciel tourne un hélicoptère de la
gendarmerie dont le vrombissement nous rappelle à la laideur de la vie, à
toutes les lâchetés, les compromissions coupables, les couardises ordinaires,
tout ce qu’on ne veut pas voir, restant là, à applaudir bêtement, par principe,
en croyant y échapper.