Les
personnages de Jean Le Gall, ne vivent pas la « croisière
tranquille » dont rêvait le narrateur, à mesure que le roman se déroule
dans cette France des années 80 à nos jours. La grande houle les soulève, les
secoue et les ballotte durement. Quand la vague
déferle avec plus ou moins de force sur le rivage, elle éclabousse,
bouscule, anéantit et aplatit sans merci.
Pourquoi le titre ?
L’apogée,
c’est, en astronomie, nous rappelle
l’auteur, le point où l’astre au cours de sa révolution autour de la terre est
à la plus grande distance de celle-ci. Les astres de l’ouvrage, les trois
personnages essentiels, soumis aux lois de l’astronomie, dépendent longtemps
les uns des autres, chacun à son tour se trouvant astre principal ou satellite
d’un autre. Greta Violante, la journaliste italienne, à l’image de son nom, eut
besoin de Jérôme Vatrigan qui l’aime après qu’elle l’eut interviewé lui,
le gagnant du Goncourt à 23 ans, pour son unique roman. Puis, l’ayant épousé,
Greta quitta rapidement le journalisme
pour le monde des affaires où elle se grisa de pouvoir jusqu’à ce qu’un
magazine la désignât « femme de l'année
2008 ». Ce fut alors Jérôme qui eut besoin d’elle pour éviter la faillite
de sa maison d’édition après le succès d’un « Proust » plagié. Le frère de
Jérôme, Antoine Vatrigan, médecin esthéticien, entra en politique, fut député du Lot-et-Garonne, puis ministre
des finances ; sûr de sa capacité à sauver la France, il moralisa à tour
de bras, assomma de ses conseils Jérôme, mena
grand train de vie avant sa dégringolade à la « Cazeneuve» ! Il eut besoin de Greta qu’il avait longtemps méprisée, laquelle eut aussi besoin de lui pour effacer une
cicatrice compromettante mais utile à un détective allemand venu en France pour
résoudre une affaire criminelle la concernant.
L’histoire
est passionnante en soi ; elle se déroule lentement et longuement quand on
assiste aux efforts des personnages pour
atteindre leur apogée par tous les moyens
y compris les plus douteux, puis s’accélère dans les dernières pages du
roman grâce à l’intervention de personnages secondaires provoquant leur chute.
Jean
Le Gall prend le temps, de la manière la plus naturelle et la plus réaliste
possible, d’insérer l’histoire parmi les
remarques nombreuses, pertinentes, pénétrantes,
plus ou moins irrévérencieuses qu’il produit sur Tout et sur Tout le
monde. Sur les gens rencontrés, ceux qui
existent en vrai, Bernard Madoff, Philippe Sollers, et de nombreux politiques
nommés ou signalés par leurs particularités d’autant plus amusantes qu’elles
sont injurieuses, Sarkozy, Hollande,
Moscovici.., les femmes de pouvoir, Ségolène, Aubry …, d’Ormesson, Onfray aussi
qui, «depuis une dizaine
d’années …ne dégonflait pas », ou alors, sur ceux qui sont
inventés.
Son
regard satirique se porte sur la
société, la vie politique, économique, les medias. Il parle de l’amour, des
femmes qui ont « bousillé » la
littérature, des vacanciers, des voyageurs, des Parisiens et des provinciaux,
des parvenus toisant les domestiques. Le Gall insiste sur la vanité et la cupidité des uns en pleine
ascension, dans leurs hôtels particuliers, leurs châteaux, à l’Elysée, pendant
leurs dîners, leurs repas d’affaire, les dîners pré-électoraux par exemple, et
sur l’esprit de vengeance des autres souvent ignorés ou humiliés.
Il
dénonce l’hypocrisie, « la
probité passée de mode », les faux et les
mensonges répandus partout, en Histoire et particulièrement en Politique quand
sont évoqués la démocratie et le Gouvernement.
Les journalistes aussi sont soumis à une cinglante satire, attirés
qu’ils sont par les apogées ou les faillites, tout comme les financiers, les
banquiers d’affaire, les économistes et les consommateurs en tout genre.
Et
surtout, l’auteur éditeur et écrivain dont Jérôme est le porte-parole,
s’intéresse au milieu littéraire. On sait tout sur le livre, l’édition, les
écrivains, les lecteurs, les prix littéraires où« nous voyons défiler… des jockeys de Grand prix en
train de chevaucher des limaces ». Il aborde tous les genres littéraires,
du roman à la poésie qui s’écrit
abondamment mais que personne ne lit, en passant par les magazines féminins, « véritable
providence pour la bêtise ». Il nous avertit que parmi les écrivains, il y a les
nuls, ceux des prix, ceux des invités de
la télévision, et les autres ; il y a
des nuls aussi parmi les lecteurs, les lectrices surtout qui, aux bons
livres préfèrent les « illisibles célèbres, ceux qui passent à la TV,
ceux qui prospèrent et engrangent ».
On
partage d’autant mieux la malice tranquille ou l’ironie mordante de l’auteur que
son écriture se plie avec aisance,
souplesse et naturel à la variété des
contenus du roman : soit que
le narrateur relise des remarques, cite de nombreux adages, étale des souvenirs enregistrés
sur des cassettes (nous sommes dans les années 80 !) soit qu’il
entretienne une correspondance, soit
qu’il poursuive sa narration avec des extraits d’autres romans ou de poésie, de nombreuses
références, soit qu’il décrive avec talent
des paysages ou des personnages, qu’il plagie, ou invente.
Finalement,
ce grand roman qui « cache son plan, sa trame et ses
trucages », nous a passionnés, nous,
lecteurs, qui avons été ballottés
dans plein de directions et secoués autant que les personnages soumis
aux dures lois contemporaines de L’Apogée. On se retrouve marqués, moins
naïfs et on se demande quel roman, après
celui-ci, méritera d’être lu car le narrateur, « comme un orme,
représentant d’une espèce menacée », nous rappelle qu’il y a de grands
écrivains, Maupassant, Mauriac Camus, Proust.., Toussaint, Houellebecq, Fitzgerald… à ne pas délaisser.
GINA