J’ai
serré la main tendue par réflexe autant que par charité pour lui éviter un
‘’vent’’ humiliant devant une salle d’attente toujours en observation aigüe du
moindre de mes faits et gestes. Au cas où ils rateraient une invitation à aller
s’étendre sur la table de massage ou que leur baisse de vigilance permette
qu’un autre passe avant eux, n’est-ce pas...
Ma
main droite potentiellement contaminée, il était donc possible que j’aille
tartiner du sino virus sur le dos de madame F. Alors je suis retourné dans la
salle d’attente actionner la pompe du flacon hydro-alcoolique de 1 litre
remporté de haute lutte la semaine dernière en parcourant le net à vive allure,
et mis à leur disposition. Leurs yeux ne me quittant pas, j’ai mis à profit la
rincette pour être pédagogue : ostensibles glissés n’oubliant pas les
espaces inter-digitaux, etc… puis j’ai avisé que les magazines étaient dans
tous les sens, je les ai rangé machinalement.
Entrant
dans le box où m’attendait le dos de madame F, j’ai réalisé. Je suis revenu
dans la salle d’attente où deux personnes avaient du coup saisi un magazine. Je
leur ai supprimé des mains, ai tout ramassé et jeté. Difficile d’être meilleur
vecteur de transmission que ces pages tournées avec les doigts sucés…
rejoignant madame F j’ai pensé qu’entre son dos et mes mains il y avait eu ces
magazines. Les patients qui patientaient m’ont vu remettre la troisième
giclette dans les mains de masseur.
J’ai
enfin pu prendre en charge madame F à qui j’ai précisé qu’elle aurait du rester
chez elle à 92 ans… Ce à quoi elle m’a répondu qu’elle en avait marre de rester
chez elle. Mais … ça commence à 12h01 le confinement… on est le matin là… lui
ai-je rétorqué, vous n’avez pas eu le temps d’en souffrir !!!
Et
là, Incarnation s’est indignée :
Si pero kéké bou boulez kil m’arrive
misié délonn si jé sors… ?
Ben… la mort ?
Y alors ? Adios, me voy y
terminado… zé fé ma vida, verdad ?
Si, si claro que si, pero zé né souis
pas zici pour vous terminado (qué zé loui di…) Allez quelques étirements pour
fi…
Non nono,no, masaje y bueno
Bon ok juste un petit, alors, pour le
ps…
No,no,no zé soui guérie… y dé tout
fazon, Casas il l’a dans le baba…
?
José Tomas… viendra pas… cé couit por
la feria
Si ! C plous qué couit… esta
carbonizado !!!
Ayyy misié délonn qué bou zètes
rigolo !
… ? Ah bon… pourtant ma femme me…
Zustement zéné soui pas votrr mujer…
Ah ben oui, c’est pour ça… et je le
regrette, croyez-le bien… !
Ayyyyyyyyyyy…. Arrêtez, arrêtez zé vé
mé fer pipisss….
Ah non, j’ai pas encore décontaminé ma
sonde périnéale, tenez bon…
Ayyyyyyyyy
parar ahi… por favor detente…jajajaja…
Ok,
ok, c bon, allez, vous pouvez vous rhabillez
Je
vais au lavabo reprendre mes ablutions anti-corona. Incarnation traverse le
couloir pour me rejoindre à mon bureau et plante un énorme éternuement au
niveau de la salle d’attente. J’entends les chaises de ceux qui se sont
reculés, cogner contre le mur … Trop tard, arrivée dans mon bureau elle m’a
emprunté mon stylo que j’ai repris machinalement. La raccompagnant je remets
une giclette et nettoie mon stylo avant d’envoyer une salve bactéricide dans
l’atmosphère à la satisfaction générale.
Mr
S… je vous en prie, c’est à vous…
Avant
de le suivre je vérifie le radiateur, il me semble qu’il fait super
chaud : 26 degré indique le thermostat que je rabaisse à 19 (il fait 21 °
dehors…)
Ah, c’est moi qui l’ai monté…
m’indique le papi blotti contre lui…
… ?... Que je le toise d’un
regard incrédule… Vous savez que c’est sur les boutons de réglage des appareils
ménagers qu’on trouve la plus grande concentration de virus ???
(improvisais-je pour qu’il ne recommence pas…) Giclette ! Vite !
Voilà, voilà s’exécute le papi tout
blême
Vous vous êtes touché le visage
depuis vos ‘’réglages thermostatiques’’ ? Que je rajoute,
préoccupé : Il blêmit un peu plus, le suspense monte dans le silence
interrogatif …
Euh… ah… je sais pas….c’est possible…
Ouais c probable… ben… ‘ttention hein…
et puis qu’est-ce que vous faites là ? Il est dans une heure votre
rdv !?
J’aime pas être en retard… !
Ouais ben soyez ponctuel plutôt, parce
que là c’est plus un cabinet c’est un sauna !
Hein ? Pardon… ?
Faut
dire que ma voix est devenue une résonnance d’outre-tombe (enfin, j’espère pas
tout à fait…) car le pharmacien du quartier m’a dégoté une boite de masque
FFP2 que j’ai accueilli avec la joie du
désespéré en quête aboutie du Graal jusqu’à ce qu’il la tempère en m’expliquant
d’un air gêné que la cinquième puissance mondiale (soi-disant…) ne pouvait me
fournir que ça.
Ben ouais c’est super ! Des FFP2 !!!
J’y crois pas… c’est gênant même, il parait qu’en réa à l’hosto ils n’en ont
même pas, ça craint !!!
Et
puis devant sa mine contrite, mon regard a glissé jusqu’à son index pointant
une petite ligne sur la boite indiquant qu’ils étaient périmés en … 2009.
Ah ouais quand même....
Du coup ?
Je les prends !
Et
puis ce soir, pour me détendre, je fumerais un bon module cubain, tiens. Un
Corona par exemple.
La
porte s’ouvre sur monsieur N qui arbore un FFP2 flambant neuf avec une
magnifique valve rouge en son centre surmontée de la mention : WURTH. Va
falloir que je creuse ce filon.