Y’a de ces métiers, j’vous jure… tu planches sur ta nouvelle des nuits durant, tu reprends tu corriges, t’envoies un truc qui t’a vidé ; tu en a fais des efforts pour rendre une copie propre, irréprochable même, soi-disant, et là, l’éditeur t’explique que mmoui, ta nouvelle, on va la prendre pour le recueil, mais que, en résumé, il faut la diviser par deux. Pas moins. Et là, tu recommences, tu dégraisses, tu expurges, tu coupes, tu tranches, tu simplifies, bref tu violes ta nature profonde pour déconstruire tout ce qui t’excitais lors du premier jet. Aaah la jubilation du premier jet. L'éjaculation de la créativité que tu es parfois capable de maintenir encore et encore... Mais maintenant, tu dois travailler, Rraaaâ l’horrible mot, toi qui n’écrivais que pour t’échapper du travail. Tu plies l’échine sous l’ergographisme imposé. Tu dois supprimer consciencieusement, toutes tes digressions jubilatoires qui n’obéissent pas aux canons de la nouvelle, qui « ne tendent pas vers le but ultime » tout ce qui faisait que c’était toi, tout ce qui te démarquait des autres, dans toute ta différence à la noix, tout ce qui te plaisait quand tu créais, libre, effervescent et léger, affranchi de toute contrainte, quand tu planais, hors du temps réel et des convenances. Tu dois te renier. Rentrer dans le rang. Amputer les élucubrations. Comment on pourrait appeler ça ? Les scories deloniennes ? Le delonnisme ? Tant ça ne peut être que tes défauts propres-à-toi-personnellement-tu. Tenter de te rapprocher des autres, meilleurs que toi certes, mais bien trop classiques pour toi, en qui jamais, tu ne te reconnaîtras, gros prétentieux que tu es. Môsieur se trouve singulier mais il jacte pas encore parfaitement sa langue maternelle ! A cinquante et... enfin à l'âge qu'il a. Tout ça parce que le pauvre petit lecteur serait décontenancé, parce qu’il est paresseux et que tu te dois d’être compris par lui, qui a dépensé quinze euros pour t’acheter un peu de ta merdique gloriole, ce dont tu dois lui être éternellement reconnaissant.
Entre-temps, tu t’es fourvoyé dans l’exercice du blog où tu débloques à tout va, le blog qui t’empêche d’écrire vraiment parce que c’est plus facile un textounet de temps en temps sur une idée comme ça, qu’un truc à respiration plus ample, structuré et prenant. Petit à petit tu sens la pression des deux cents clampins qui s’y connectent quotidiennement. Deux cents c’est rien, mais ils sont ceux-là mêmes qui te font mousser, à qui tu as l’impression de devoir leur ration de mots, deux cents personnes qui t’aiment bien ou te haïssent et se connectent pour vérifier leurs sentiments à ton égard. Que tu intéresses quoi. Chez qui tu rentres tous les jours. Ils te le disent parfois :
« Putain , je te jure quand je me connecte et qu’il n’y a rien ça me manque presque… »
Comment, ''presque'' ? Fais chier, merde, faut que ça te manque vraiment ! Seulement, à celui à qui ça manquerait vraiment, tu lui dirais :
« Mais, Oh, prends ton Lysanxia et fous-moi la paix ! »
Deux centaines dont les retours sont souvent gratifiants, il paraîtrait que c'est marrant ce que tu écris, mais toi tu n’as qu’une certitude qui compte, c’est qu’aucun éditeur au grand jamais ne se commettra à utiliser le moindre de ces textes.
Alors, ça y est, tu l’as divisée par deux ta nouvelle, tu as enlevé tout ce qui faisait que c’était bien toi, tu as enlevé comme on te l’avait demandé, quinze mille signes, tu savais pas jusque là, que c’était des « signes » que tu écrivais, non tu pensais que c’était des émotions, des réflexions, des inventions, des suggestions habiles, mais non, gros prétentieux de ta race, GRANTECRIVAIN de tes couilles, t’était qu’un pondeur de « signes » qui se regardait écrire.
Enfin, cette version désarômatisée, tu la corriges du mieux que tu peux, en y revenant inlassablement, chaque fois en espaçant les lectures de quelques jours afin de refaire une virginité à ton esprit par rapport à cette émanation de toi, qui est tellement toi, que tu ne la lis jamais avec le recul qui s’imposerait. Alors tu l’envoies à une ''amie'' que tu n’as jamais vue mais dont tu sens qu’elle ne peut devenir qu’une amie si tu en juges à la façon dont elle te perçoit et t’apprécie. Ben oui, comme t'es à peu près faible comme tout le monde, tu as tendance à trouver amicaux les gens qui le sont avec toi... Tu ne lui envoies pas pour avoir une approbation, non, mais pour une appréciation. Et là, son retour n’est pas équivoque :
Super ! te dit-elle et même plus…, de la version acceptée. Elle est gentille je te dis. T’es content mais le doute t’étreint toujours et quelques jours après tu lui envoies la version originelle et là pas d’équivoque non plus, le retour est fulgurant, enjoué, passionné : cette version refusée est la meilleure, celle qu’elle préfère, et de loin, sans contestation possible ! Alors là, t’es écoeuré-content : y’a des gens qui t’aiment tel que tu es, selon tes choix mais l’éditeur n’en fait pas partie. Ou il a des impératifs qui t’échappent.
Bref, la version courte et édulcorée, c’est l’officielle, elle te plait moins, mais tu reconnais qu’elle sera beaucoup plus digeste ce qui est emmerdant si t’avais décidé d’être indigeste. Mais bon, enfin, tu en es débarrassé. Ca sert à ça en fait d'être édité, à se débarrasser d'un texte qui encombrait l'esprit. C'est vous dire s'il y a du travail pour débarrasser tout le local neuronal.
Quoique, débarrassé de ce texte c’est ce que tu crois, car là, une Egyptienne, je ne peux imaginer qu'elle n'est pas une femme, te renvoie ta nouvelle, truffée d'hiéroglyphes incompréhensibles et rebutants censés t’expliquer (je pense qu’elle me dirait qu’il faut une virgule après ''rebutants'') tout ce qui clochait, accents à l’envers, espaces entre les mots, virgules à déplacer, fautes d'orthographe, de grammaire, de syntaxe… et te demande, à toi dont le texte te sort maintenant par les yeux, de vérifier si tu es d’accord. Je plains l’homme qui vit avec elle… ils ne doivent pas communiquer souvent vu que son boulot demande une concentration extrême et qu’elle ne doit pas souffrir d’être interrompue sans arrêt. Je l’imagine chaussée de fines lunettes et vêtue d’un chemisier strict à col Mao et ne choisissant pas ses soutiens gorges pour valoriser sa poitrine mais pour assurer le confort d'un bon maintien. Mais c’que j’en dis c’est pour amuser la galerie vu que si ça se trouve, c’est un gros poilu de mec. Ca ne change rien si ce n’est que je plains alors sa femme. S’il a pu s’en trouver une, pointilleux comme il est…
Bref, un auteur et sa correctrice ce sont deux personnes qui se regardent les yeux dans les yeux mais ne se comprennent jamais.
Bien sûr, comme pour tout courrier, je l’ai laissé traîner ce travail quelques jours, en ayant dans la tête le souci de m’y replonger. Cette année c'était le luxe, il y avait même un lexique déchiffrant le sens de tous les signes cabalistiques... Heureusement, que le Dieu des scribouillards soit béni, quand je l’ai relu le 5 juillet ce courrier, il était stipulé que faute de réponse le 4, la correction serait réputée admise. Ouf ! Va por ti ! Bon, par snobisme j’aurais bien aimé la contrarier un peu, la correctrice, sur le terme de ''Nîmes'' qu’elle me reproche d’écrire ''Nimes'', vous savez, la ville avec un accent. Tiens le correcteur automatique de Word est d’accord avec elle, il vient de me le souligner en rouge. M’en fous, je maintiens, même si l’usage est contraire, que Nîmes doit perdre son accent, donc son slogan. Voui. J’avais soigné la femme d’un inspecteur d’Académie, linguiste distingué, philosophe affirmé qui écrivait des articles dans des revues spécialisées au côté des pointures du genre, comme Derrida.
J’adorais parler avec lui, enfin l'écouter surtout car j'ai rarement rencontré une intelligence aussi vive. Au point que nous négligions le Parkinson de sa femme. Et oui je le reconnais, la sécu me payait pour de passionnants échanges intellectuels : bien fait pour son trou, elle qui ne nous augmente que tous les quinze ans. Et un jour, ce monsieur m’avait expliqué que logiquement, lorsque ''Nîsmes'' avait perdu son ''s'' il aurait du perdre aussi son accent circonflexe qui ne se justifiait plus du tout. Et toc. Prends ça, la correctrice. Avec ce monsieur, t'aurais eu un interlocuteur avec qui locuter grave. J'ai perdu l'occasion de faire mon savant. Oui je sais, c’est mesquin et elle s’en fout, elle applique, rigide et scolaire, le règlement de l’usage en cours. Bon et ben justement, règle numéro un, portez des soutifs à balconnets, madame, sublimez votre féminité ! Y’a des femmes, j’vous jure, faudrait toujours leur mettre les points sur les ''i''.
PS : JOL STP ne me présente jamais cette dame…
PPS : ''ergographisme'' et ''désaromatisé'' ça doit pas exister, quel plaisir de les utiliser.