A travers trois formes
d’écriture, plus toreristas que toristas, Denis Podalydès réalise
une approche de la passion tauromachique. Un simple journal relatant
ses déplacements au fil de corridas, deux monologues où s’expriment
deux toreros aux trajectoires originales et le récit d’une faena
de l’auteur … la finalité étant de nous amener vers
l’illustration d’une universalité d’approche de la corrida
dans tout ce qu’elle véhicule d’émotions, de contradictions, de
peurs et d’angoisses.
JOURNAL
Podalydès ne décrit pas
le bien ou le mal fondé des gestes, admet son ignorance aficionada
… il attend tout simplement l’émotion. Non pas celle à sens
unique , pourvoyeuse de simple spectacle qui s’achèverait par une
tertulia enflammée à la redondance de postures devenues
courantes, voire ennuyeuses. Il recherche le détonateur interactif
de questionnements, d’angoisses, de paroxysmes que l’auteur rend
accessibles à travers son expérience personnelle de comédien.
Et c’est bien là que
le livre détient tout son intérêt à la fois personnel pour
l’auteur mais déculpabilisant et libératoire pour le lecteur
lambda, celui qui prend plaisir à un spectacle taurin sans complexes
ni calcul, vierge de tout à priori dictatorial sur la « chose
taurine » telle que décrétée par le dogme.
Podalydès pose un regard
dénué de tout à priori sur un geste noble d’un torero, une
attitude brave d’un bicho, une souffrance d’un cheval
agonisant, un regard horrifié d’un spectateur ou une joie
éclatante d’une foule … Tel un peintre naturaliste, il réalise
avec innocence et vérité le paysage qui s’offre à ses yeux …
Voilà pour une première
lecture. Car la seconde (et les suivantes) découlent bien sûr de ce
que l’écrivain en fait … son questionnement profond, ses
angoisses surgissant, ses réminiscences de souvenirs d’enfance,
son impact sur son travail de comédien, l’apprentissage d’une
langue qu’il ignore et le fascine, le suivi du déplacement du
torero hors ruedo où l’auteur se passionne pour ses gestes,
ses tics, ses attitudes …. Podalydès ne s’interdit rien :
des plazas importantes aux petites arènes locales du
Languedoc, entre Café du Commerce et Café du Centre, sa quête
pleine d’illusion reste intacte, comme un enfant devant un monde
magique. Il écrit avec une fraîcheur, une limpidité dans la
description de sa réflexion désarmantes et vraies.
L’œil observe et
restitue avec la précision d’une caméra … sauf que cette
dernière n’est que la technique factuelle et froide alors que
l’œil de l’écrivain lui confère toute la profondeur de son
ressenti allant jusqu’à une autre dimension : celle de
l’émotion, du décorticage au scalpel de ce que tout spectateur
trouve dans ce spectacle pas toujours axé vers les joies, les cris,
les peurs, mais aussi vers la mélancolie, l’enfermement,
l’angoisse, trouvant « une raison à leur déraison, la
possibilité instantanée d’un transfert radical ».
Serait-ce l’alternance
de tous ces états qui serait la raison d’être de la corrida ?
Il réalise souvent seul
son voyage initiatique (hôtels, rues désertes), spectateur d’un
environnement où il n’entre pas …. « les bons
aficionados prennent le temps d’être ensemble, parlent et vivent
ensemble ».
MONOLOGUES
Deux toreros singuliers …
Joselito Adame qui,
défiant la mort et ressuscitant son oncle mort dans l’arène, ne
craint pas la blessure mais la reçoit comme le sceau de
reconnaissance de son « état » de torero, bravant le
toro avec la fierté d’un jeune diestro issu d’un milieu
plus que défavorisé … les petites et modestes arènes de Millas
lui donnent l’opportunité de démontrer sa bravoure à travers une
cornada qui le fait flirter avec la mort …
Lui qui, enfant, toréait
un chien et ne s’intéressait pas aux filles mais aurait tant
voulu savoir danser, dans un monologue intense, nourri, fouillé et
enthousiaste affronte, provoque et combat à présent le toro avec la
fougue de sa jeunesse.
José Tomás qui, dans un
mutisme abyssal avance parmi les toros … ressuscité
d’une « première mort » mexicaine
où enrichi d’un sang salvateur il a été amené à une nouvelle
naissance.
Affirmant ne pas exister
sous le poids de ce néant d’où il revient, il traverse en silence
le « rêve d’un autre ». Sa nuit l’enveloppe,
l’entoure d’un halo ahurissant. Extraterrestre sans nom ni
existence … la nature sauvage et marine l’accueille pour une
pêche silencieuse, aqueuse, parfois ennuyeuse où seule la
Playstation le fait « parler » et l’Atletico fantasmer
…
Les tientas
privées, le mépris de la peur, « le meilleur, ou paye cher
pour le voir et on ne le voit pas souvent ».
Je reviens … « je
n’ai rien à vous dire. Je ne parle pas » … « Je suis
déjà mort ».
LA PEUR, MATAMORE
Podalydès fait un
parallèle avec le Matamore de Corneille où l’illusion et le rêve
porteur de l’épopée dont la puissance onirique « renverse
les murailles », va jusqu’à la fuite couarde devant un
adversaire avéré. Mais pas de disparition du Matamore : comme
un bretteur éternellement renaissant, Matador-Matamore et
Matamore-Matador apprennent à vivre ensemble « jusqu’à
ce qu’ils puissent enfin se reconnaître mutuellement, s’accepter
tels quels et fraterniser ».
Cape et muleta achetées
en 1999 à Bayonne deviennent les outils pour la messe de toreo de
salon que le comédien ne cessera plus d’exercer dès que son
travail le lui permet. Allant jusqu’à provoquer quelques braves
taureaux bourguignons, voire un veau helvète « taquiné »
au K-Way.
Son obstination
passionnelle le mène même à toréer sa compagne, Rose, devant des
spectateurs hébétés. Cette même Rose qui, devant une effroyable
blessure, décidera de ne plus assister à une corrida.
Peu importe, le torero
Podalydès déploie sa passion à travers tous les actes, occasions,
évènements : une rebolera de cape dans une
scène de Ruy Blas, et, pourquoi pas, tenter gaoneras et
chicuelinas ?
Matamore de salon sans
toro, il singe José Tomás jusqu’à se trouver un jour devant une
vachette qui donne lieu à des souvenirs terribles d’une jument
retorse montée dans son enfance … « Ma peur se
doublait toujours d’une rêverie héroïque et je passais
alternativement de l’état de terreur à l’état chevaleresque ».
Désir de peur. Jouer à
se faire peur. Il se découvre torero imaginaire, Matamore.
Et c’est dans une petit
arène, en présence de famille et amis, que dans ce désir chronique
de jouer à se faire peur, il se donne en spectacle … piètre
spectacle où le Matamore perd pied et n’arrive plus à se « servir
de sa peur » : il se découvre torero imaginaire.
Seul le taiseux José
Tomás, héros onirique puis réellement présent auprès de lui pour
une photo contre les pierres des arènes, réussit à cristalliser
admiration et culte qui permettent aux angoisses et déceptions de
l’auteur de laisser la porte ouverte à cette soif Matamore
universelle et éternelle.
Maja Lola
3 commentaires:
podalydes vrai aficionado un vrai gouteur de l'art. Quel plaisir de lire ce texte. Que tous les aficionados autoproclames se procure le livre et essaye de comprendre ce qu'est vraiment l'amour de la corrida.
Autrement dit, Lola, ce livre, il faut le lire pour savoir comment un acteur de théâtre parle d'une pièce jouée par d'autres.
Ton analyse, le titre autant que la couverture du livre en donnent une grande envie.
Gina
ole maja! très beau travail de lecture!
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