Le
cinéma, c'est comme pour beaucoup d'autres choses : plus on y
va, plus on a envie d'y aller. Me voici donc de retour en salle
obscure.
Dans la bible de Jarmush, Adam et Eve s'ils ont bien été
chassés du jardin d'Eden, n'ont pas été rendus mortels par un
impossible accès à l'arbre de vie ; ils sont vampires et
doivent user de combines et stratagèmes pour trouver leur viatique,
une coupe de sang frais, O négatif de préférence, qu'ils dégustent
alors dans un verre à porto comme un grand cru, qui l'eût cuit ?
Cela donne une incertitude et une insécurité permanente sur la
pérennité de leur pourtant loooooongue vie, d'autant qu'avec ce
foutu monde moderne il semble que l'on puisse tuer même un immortel, d'une
traîtrise Fabusienne : du sang contaminé. Comme un doute qui
plane et leur permet finalement à l'égal des mortels, d'apprécier
parfois les bons moments de ce présent qui les transporte.
Adam
est un musicos génial et pudique qui balance en rythme un blues
oscillant entre la jouissance de l'immortalité et les velléités
d'en finir enfin avec la vie. Fatigué, on le serait à moins, vivant
depuis des millénaires à observer l'incurie des hommes. Adam, rocker romantique et taciturne qui se
désole sur le monde des zombies, nous, qui ne manquons jamais de
nous apercevoir de nos erreurs qu'une fois que nous sommes allés
trop loin. Il ne vit finalement que lorsque Eve le rejoint,
corroborant encore cet axiome largement partagé : la femme est
l'avenir de l'homme. Pas de tous, toutefois, quand une vampirette
égoïste et indisciplinée se permet de charmer un gentil zombie
pour le boire goulûment.
Eve,
elle, a la connaissance médiumnique du cosmos et de son homme
qu'elle sait aimer et dont elle sait se faire aimer. Et il est beau
de les voir s'aimer si bien, depuis des siècles : qui n'aurait
pas envie de cette idée d'absolu une fois trouvée la bonne
personne ? Qu'est-ce que la ''bonne personne'' ? Me
demandez-vous... z'êtes marrant... chacun se débrouillera, le plus
souvent très mal, pour la trouver. Et toc. Gaffe, votre femme lit
par dessus votre épaule...
Ce
film pourra en rebuter plus d'un par cette atmosphère poétique
noire et décalée dans laquelle je me suis plongé hypnotiquement avec délice dès
les premières images, dès les premières mesures de son envoûtante
musique. Il y a là une signature forte, une couleur singulière,
celle d'un auteur qui nous promène avec la fascination des quêtes
nocturnes et intimistes, des ruelles fréquentées de Tanger aux
boulevards désertés de Détroit, à la recherche de sang frais
autant que d'une raison de vivre pour que le prochain lever de soleil
ne soit pas que l'éblouissant problème de la vie qui s'arrête ou
ne vaille vraiment pas la peine d'être vécue, sinon pour danser
avec Eve, au plus près d'elle, contre sa peau, dans son odeur, couvé
par son aura, lové contre son giron, car s'aimer est encore ce qu'il
y a de moins déprimant sur terre, voire pour les plus optimistes, ce
qu'il y a de plus exaltant, sur terre comme au ciel.
Dieu d'ailleurs,
malgré des traducteurs chagrins, n'inclinait pas à les accuser du
pêché capital mais leur avait au contraire ordonné de se
reproduire. Le premier couple selon Jarmush, lui, est d'accord pour
se perpétuer, à sang pour sang. Il faut dire que ''Only Lovers Left
Alive'' le titre, l'expliquait déjà.
9 commentaires:
La salle de cinéma autorise toutes les régressions possibles. Comme dans un utérus, bien enfoncé dans la chaleur moelleuse d’un fauteuil, pénétré de voix et d’images que l’on s’approprie intimement, on est drogué. Il suffit de voir les regards, un temps vagues de ceux qui sortent des salles surtout quand ils ont assisté aux amours indéfectibles d’Adam et Eve avant la Chute.
Mieux vaut aller aux arènes, on n’a pas la même impression de « paradis perdu » en sortant.
Et bien voilà une critique efficace qui évitera d'aller voir le film tant le le sombre, l'oppressant et le vampiresque me sont contre-indiqués par la faculté ces jours-ci ....
Le jardin d'Eden, le péché originel, "la femme est l'avenir de l'homme" ...
STOOOP ! Trop longtemps qu'on se les traîne aux basques. Entre culpabilité originelle culpabilisante et phrase poncif pour macho flatteur à visées intéressées (au pire) ou poète désarmé en mal d'affection (au mieux), on se demande ce que l'amour vient faire là dedans.
il vient faire... l'humanité ?
C'est vrai que l'amour, à part notre passé, notre présent et notre avenir, nos espoirs et nos déceptions, nos joies nos peines, notre moteur et notre but, il ne sert à rien...
Enfin, tout ça n'est pas bien grave ma bonne dame, l'essentiel c'est de s'aimer les uns les autres... avec plaisir ! ;-)
Quelle belle analyse de la salle obscure Gina ! Un utérus où l'on se permet de régresser l'espace d'un instant .... ça vaut parfois un psy.
Enfin, comme dit Marc, et quelqu'un bien avant lui, aimons-nous les uns les autres, c'est déjà beaucoup.
Encore que... moi quand je suis dans un utérus, je régresse pas tellement, je prendrais même plutôt de l'ampleur...
L'anonyme devrait revoir ses cours d'anatomie féminine ...
Mais bon, comme il revendique ses aises, nous allons le laisser rêver ...
Pas sûr... l'embryon prend de l'ampleur jusqu'à devenir bébé, après tout...
Exact Marc .... rien à rajouter.
Si ce n'est que j'ai relu ta reseña sous un autre "éclairage" .... C'est fou ce que l'on peut faire dire aux mots au delà de leur signification première ...
Méfions-nous des chimères
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