Histoire de
l’humanité, fragment 2
Odyssée
La succession des titres
nous indique très vite qu’on ne doit pas attendre de ce livre
matériellement aussi léger que coloré trop de légèreté.
Il est banal dans les
années 70, 80, qu’une famille de classe moyenne ait des désirs
d’évasion modestes dans une voiture modeste au-delà de la
frontière espagnole pour trois jours. Mais la Nature et la Société
se liguent contre les vacanciers car tel est le sort des Humains. Se
développe donc dans cette Odyssée, le contraste incessant entre
les désirs de l’homme et ses difficultés à les satisfaire.
Pourtant tout démarrait
bien dans le récit. Les personnages sont portés par un idéal
politique généreux ; dans la Renault sortie des usines
autrefois d’Etat, on chante un monde sans frontière. Les enfants
entassés avec leurs bouées braillent leur joie et leur chanson, et
le Père, vrai et seul chef tout puissant, croit-il, de sa famille,
supporte le charivari.
Mais la Nature malmène
le joyeux équipage avec ses excès. La canicule surchauffe très
vite le moteur, les corps et les esprits. Il faudra attendre, - on
l’aura compris- la réparation d’un joint de culasse. Comme dans
« Chauffe-eau », c’est encore un problème de
calories qui nous interpelle aussi sur l’homme et son temps,
l’Homme face à la Technique qu’il ne saurait refuser mais qui le
domine avec ses mystères, ses pièges et ses techniciens ou
assureurs imbus d’eux-mêmes, irresponsables, plus soucieux
d’argent que d’efficacité et d’altruisme. Et cette Technique
n’est-elle pas responsable aussi des nuisances apportées à la
Nature qui souffre - pour plagier Michel Serres -, à cause de
l’homme qui la malmène ?
On le savait mais pas de
la manière délicieuse dont nous l’expriment avec le talent qu’on
lui connaît, le sourire ou l’ironie et l’érudition d’Antoine
Martin. La structure du roman séduit déjà car le récit est
délivré en courts chapitres, suivant l’ordre chronologique à
mesure que se rencontrent les tout puissants spécialistes. Les
chapitres du récit sont séparés par d’autres courts chapitres
réservés au personnage-Père qui livre ses réflexions
personnelles et tous ses souvenirs et connaissances scolaires ou
vécues sur les véhicules, les transports, souvenirs qui sont aussi
les nôtres et qu’on retrouve avec émotion.
Dans le récit, chaque
rencontre avec les techniciens-garagiste est hilarante. Réduits
sans tendresse, à quelques grands coups de crayon significatifs de
leur caractère et de leur comportement qui permet d’anticiper la
suite de l’histoire, leurs propos sont rapportés dans un registre
de langue approprié, souvent celui d’ une classe sociale moyenne
et masculine, que le narrateur enrichit de mots ou expressions
familiers ou argotiques (à contrôler par moments sur Google), de
calembours, d’images et d’autres jeux sur les mots jaillis
spontanément, semble-t-il de l’imagination de l’auteur. Les
personnages nous sont ainsi plus proches, on les reconnaît, on
les devine car nous aussi nous les avons rencontrés. S’oppose à
eux, l e personnage du Père, cherchant à impressionner sa famille,
à ne pas déchoir. Après son psittacisme technique « c’est
une durit » il va s’enfonçant de plus en plus dans l’
humiliation tandis que les lecteurs s’imprègnent de tout un
lexique automobile qui donne sens aux titres de chapitres mettant en
correspondance l’univers technique et la psychologie des
personnages ou les moments importants de l’histoire (ex. :
Feux de détresse ou Tuyau d’échappement »
réservé au passage du poste frontière).
Car le plaisir du texte,
riche, érudit, rempli d’allusions empruntées autant à
l’actualité qu’à l’Antiquité ne peut se savourer que
lentement si on veut ne rien perdre des images, des mots d’esprit
du et des jeux de mots, de la façon dont ils sonnent à l’oreille,
dont ils se heurtent ou s’associent pour produire du sens et
soutenir notre plaisir d’une manière jamais laborieuse ou
forcée.
C’est qu’Antoine
Martin met à notre service son goût pour les mots et les choses, sa
prédisposition pour le badinage, l’enjoué, le décalé avec un
plaisir qui n’a d’égal que le nôtre même pour évoquer un
moment commun et sérieux de l’ existence.
GINA
1 commentaire:
Vous rentrez de vacances après un mois d'absence : le frigo n'a pas supporté la solitude. Sitôt posées les valises, vous vous bouchez les narines et remplissez des poubelles. Antoine Martin aurait bâti un chef-d'oeuvre !
Gina
Enregistrer un commentaire