Le
problème c'est que tous deux sont partants pour prendre de la
matière première de première catégorie ce que l'aficionado
traduit immédiatement par du recuit de traiteur plutôt, en daube.
Bôah rien de scandaleux pour celui qui n'a vu des corridas qu'à
Nîmes, certes, mais pour l'autre... Une fois donc admis en douceur –
mais par quelle voie ? - que force et sauvagerie seront absentes
de l'étalage, il reste l'édifiante opposition de style des deux épéistes professionnels.
Trois
toros, ça lui fait peut-être trop, à Morante, alors pensez, un
premier dont la trombine ne lui revient pas, qui l'a averti dès la
première passe de capote, dans des rafales de Mistral et des nuages
de sable en plus, quel mauvais goût... j'abrège sous les sifflets,
se dit Morante, ces sifflets du vulgum pecus qui renforcent l'artiste
dans sa singularité assumée, quel pied !
C'est
là que bondit ''Supertorero'' qui n'aime rien tant que jaillir
derrière l'échec d'un confrère pour montrer que ''le changement c'est maintenant'', que lui, dans les
mêmes conditions, réussit. Un truc piqué à Ponce qui le pilote en
mains propres. Pas comme un socialiste.
Mais c'est quoi cette psychologie du café du Commerce
dans laquelle je me lance ce matin ? Vous êtes encore là ?
Maître Carnivor, lui, tantôt brandit haut sa muleta comme un
étendard cinglant en haut du mat de sa virilité où serait écrit ''regardez
moi'' afin de faire vérifier à la foule, le désastreux impact de
l'échelle de Beaufort, sauf que lui beau et fort est au sommet de
l'escalafon et que peu lui importent ces rafales assassines ;
tantôt il l'abaisse, baisse la main, ploie la ceinture, descend
lisser les gravillons d'une piste devenue jardin japonais, passe
en dessous des turbulences, furtif comme un avion sous les radars et
décline un répertoire qu'il n'est pas utile de détailler, vous le
connaissez... 360° inversés compris... oreille... Un revistero de
''Toros'', à la voix de stentor, dont les initiales du prénom sont
JC et dont le nom évoque la carotte et le fauvisme apostrophe le
palco : << Alors, ça y est ? Les soldes ont
commencé ? >> sauf que l'arène était effectivement
blanche, tellement la foule est inculte ! Oui, vous, là, qui
lisez, bande d'incultes attachés aux symboles vains ! Genre ''le
type qui n'oublie pas son mouchoir blanc bien rangé dans l'armoire
entre deux sachets de lavande histoire d'imposer à tout prix sa
volonté de beauf inculte qui comprend tchimoni à la corrida des
toréadors''. Couillon, va.
Mais
si Juli produit, Morante chante. Si Juli tranche de la viande,
Morante distille l'essence d'un jus. Si Juli est le feu, Morante est,
au bout de la chaîne, la goutte de l'alambic. Il distille après la
pique, des véroniques lentes comme un Guadalquivir presque à sec.
Il est le contraire de la vulgarité, il ne gueule pas, il gémit, se
plaint, se contraint et se complaît dans la courbe. Il est doux,
suave, en lui. Le toro est une cacahuète qu'il praline. Il enrobe,
viril et féminin, distordant toute trajectoire droite, le menton de
l'introverti sur le sternum quand l'autre le pointe vers la foule et
les cieux, cherchant la clameur.
Sort
le second du Juli et il y a là plus de vent et plus d'allant. Un peu
plus de toro. La comparaison avec ce qui a précédé est rude. Pas
d'âme, pas de sentiment, des passes, de l'abattage de passes. Puis
un vilain trou à l'épée très en arrière et sur le côté, façon
''pneumothorax'' dixit mon voisin, meilleur en architecture qu'en
médecine.
Les
deux derniers toros et leurs matadors confirmeront ce que je viens de
décrire. La redoutable efficacité d'un ogre qui détient dans sa
muleta le meilleur rapport spectacle-prix de votre billet, tellement
dénuée de toute la lumière que Morante apporte et démontre de l'art de
toréer... A chacun de retenir les détails qui nourrissent sa
sensibilité. Plus un dos à dos qu'un mano à mano. Que l'un sorte à hombros et l'autre pas, étant d'un
ridicule achevé prônant la victoire du productivisme forcené face
à toute la poésie inconstante et fragile de l'Art Andalou du toreo
ressenti. Le plus frustrant, car il ne faut pas s'y habituer et continuer à le répéter, étant que tout ça, devant des toros forts et méchants eut été beaucoup plus intéressant.
Photo Nicolas Crégut
2 commentaires:
magnifique! Ceci résume bien le malaise létal de la corrida actuelle!
J'adore la photo et son faisceau lumineux qui suit presque parfaitement la diagonale du rectangle.
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