Comme tout le monde j’ai
appris hier le décès de Jean-Pierre Garrigues, le virulent monsieur
anti-corrida gardois. L’aficionado que je suis en a été attristé. Sincèrement.
Les gens, pour moi, valent toujours plus que
le résumé caricatural qu’ils font d’eux-mêmes, par l’exercice de leurs passions
ou de leur militantisme politique. C’était un frère d’humanité, je ne me
réjouirais pas de la mort d’un homme fût-il le pire des terroristes (ce qu’il
n’était pas) intellectuel (ce qu’il était… ma forme d’écriture inclusive à
moi…). Dans mon psychisme, la mort marque un stop au-delà duquel je ne vais pas
dans l’immédiateté de la tragédie qui survient. Pas assez ''humoriste'',
certainement, pour trainer derrière la jeep de la moquerie, le cadavre de
l’ennemi brûlé.
Si vous saviez comme c’est
laid quand vous vous réjouissez d’un homme mort dans l’arène, fût-il torero. Ça
ne m’est pas douloureux, cela susciterait plutôt une certaine compassion,
d’apprendre que vous vous êtes laissé aller à ça ; par réflexe, je voudrais
vous exonérer de cette honte, vous soustraire à la laideur du monde que ce
comportement a illustré mais… c’est trop tard.
Depuis l’électrocution
transmise par le tonnerre El Cordobes à l’arène de ma ville alors que je
n’étais qu’un petit garçon, je compte parmi ceux, que Garrigues qualifiait de
tortionnaires, pédophiles ( ?) et autres diverses brutes avinées. Soit.
J’avoue aujourd’hui que ces insultes ont toujours glissé sur moi comme
« sur un imperméable Rina, la pluie glissera » (pour les sexagénaires
d’entre vous qui connurent le magasin nîmois de la place curaterie…) tellement
je me sentais éloigné de ce rapprochement, pardon pour la prétention. Un coup
dans l’eau du ridicule, dans l’océan de l’imbécilité, dans l’abysse de la
gratuité malveillante. Peut-être une thérapie cathartique pour eux, pas plus.
Ce qui suscite mon
incompréhension, ce qui me ferait éprouver de la tendresse mélancolique pour
lui, c’est cette peine prise à vouloir défendre le plus heureux et respecté des
bovins, tous élevés pour être mangés, alors qu’une tumeur rongeait son cerveau.
N’y avait-il vraiment pas
dans l’urgence d’une vie à quitter, des enfants à soulager, une peau soyeuse à
caresser, de nourrissants échanges intellectuels à mener, de magnifiques
lectures à parcourir, des mets fins à humer, de vieux single malt à siroter, de
contrées à visiter et même, même, de campo bravo à traverser où paissent en des
visions quasi bibliques 95% du troupeau intouché ?
Dans quelle forme de vacuité
va parfois se loger l’espoir de vivre intensément ce qui nous reste. Je réalise
que je dois être l’exact contretype au sens humain et photographique, par
contraste, de ce qu’il était. J’espère garder toujours assez de profondeur et
de lucidité pour me nourrir jusqu’à la bascule finale de ce qui rend la vie
précieuse, l’amour des proches et les émotions partagées avec eux. La soudaine
magie du sublime et de l’improbable quand elle éclot à l’acmé du
danger.
L’homme que je resterai
malgré les combats des semblables de Garrigues, me semble bien placé pour
apprécier en pleine conscience le caractère irrévocable et cruel de la mort et,
sans animosité ni hypocrisie, sans moquerie ni satisfaction mal venue,
l’aficionado que je suis adresse à tous ceux qui l’aimaient ses sincères et
respectueuses condoléances.
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