lundi 30 août 2010

Drôle d'été.


J’ai passé un drôle d’été. Je veux dire, un été avec un drôle de rapport à la corrida. J’ai visionné mentalement et plus ou moins confusément, de loin en loin, les plazas où sortaient les toros. Je me disais, tiens, ce week-end c’est à Céret, tous les copains y sont… mais moi, je n’y étais pas. Je me disais, là, Pampelune ! Pampelune où je dis chaque année que je vais aller mais je ne trouve jamais personne pour m’accompagner. J’ai tellement besoin de partager. Il parait qu’un jeune coureur a payé de sa vie, cette année. Sa mère et sa sœur n’ont pas dû comprendre, ses amis, si. Mais moi, je n’y étais pas. L’année prochaine, je serai un peu plus grand, j’aurai moins peur et j’irai, seul, au besoin. C’est parfait la solitude pour quelqu’un qui veut écrire. On acquiert un recul plus grand, une distance qui aiguise l’acuité avec laquelle percevoir le monde et les gens. A deux, on est en autosuffisance, en boucle, en circuit fermé, pas ouvert aux autres. En groupe on est plus idiots et donc plus gais. Mieux vaut alors avoir la mémoire courte pendant les interminables apéros statiques car les histoires qui elles, circulent, sont chaque fois un peu moins drôles que la dernière fois… : il arrive fatalement un moment où il est plus facile de ressasser les aventures passées que se frotter à d’autres. Je veux m’insurger contre ça. Ruer encore dans les brancards et l’Espagne y est propice.
A Azpeitia, tiens, y’en a une aujourd’hui… C’est pas loin d’Hondarrabie, ça, non ? Quelle mémorable tournée de tapas on s’était offerte là-bas… un bar après l’autre… moi, ce n'était pas tellement pour boire, mais plutôt pour manger… puntillitas, iberico de bellota, croquettes maison, boquerones, pintxos illimités, un festival… mais bon, il faut bien faire glisser quand même… Les Espagnols sortaient avec leurs bébés endimanchés à l’extrême comme si leur moralité, leur fortune ou leur rang social en dépendait et les poupons laissaient des sillages puissants ''d’Agua de Sévilla'', des effluves de fleurs d’oranger qui s’échappaient des frous-frous en dentelle des landaus. Puis, une fois assis en terrasse, ils se passaient la descendance précieuse de bras en bras, tout autour de la table pour que toute la rambla voie la merveille, et sa belle robe aussi, qui irait encore dans deux mois, on l’avait prévue assez longue pour en amortir la dépense tant on s’était pour l’acquérir, autant saigné qu’un José Tomas sur le sable d’Aguascalientes. Mais à Azpeita cette année, je n’y étais pas.
A Barcelone, non plus, donc, puisqu’il nous manquait si fort, le liturgique. Bien sûr, on aurait pu y aller pour signifier notre indépendance d’un doigt vengeur aux antis du trottoir d’en face toujours peinturlurés en rouge mais on n’est pas si cons. Et puis les corridas sont passées, une à une, sans que je me déplace : pas le moral, pas l’argent, chaleur caniculaire, panne de clim dans la voiture, eau cristalline de la piscine, enfant à garder, cartels convenus, élevages inintéressants, incertitude absente, aquoibonisme latent, conscience devenue aiguë de s’emmerder lors de 90% des courses…
Même la placita de Saint Laurent d’Aigouze, qui me plait tant, adossée à l’église avec les toros qui sortent de la Sacristie, prêts à vous administrer l’extrême onction, je ne l’ai pas fréquentée. Avant, il y a bien longtemps, si je n’avais pas plus à faire, pavlovien total, il suffisait qu’on annonce le mufle d’un toro quelque part et j’accourais. Une vraie chair à taquilla pour les empresas. Un fond d’investissement sur pied. Maintenant, ils ont un mal fou à me faire raquer au bassinet – j’aime bien parler argot, vous avez remarqué ?- j’ai comme qui dirait des cactus au bout des paluches vu que le larfouille s’amincit d’année en année, en inversion proportionnelle au seuil d’excitation qui s'élève.
Sans parler de la pression sociale, devant cette marginalité criarde de mal élevé, cette culpabilité assumée de sécher la réunion de famille autour de la nouvelle communiante pour assister à des meurtres indignes, seul égoïste passionné à fuir les devoirs familiaux pour assister à cette mascarade d’indulto. La honte de la belle-famille, c’est le gendre aficionado. Tandis que tous vos beaux-frères, eux, sont comme il faut, ne sont passionnés que par leur femme, leurs enfants, leurs parents et leurs réunions de famille… Leurs discours sont propres, ils parlent de leur travail, des camps Scout de leurs bambins, du dernier discours du Pape… Comment font-ils ? Sont-ils moins vivants que moi ? Sont-ils plus sages, plus mûrs ? Puis-je leur dire moi, que dans un bar de Triana une pute roumaine s’est accrochée à mon cou durant deux heures en écrasant ses gros seins sur ma poitrine pendant qu’elle m’expliquait dans quelle misère vivait son pays ? Que j’en avais pour ainsi dire la preuve sous la main car la pauvre fille n’avait apparemment rien à se mettre… Je peux leur dire, ça ? Que ce fut une rencontre humaine rare au cours de laquelle je pris un cours fulminant d’humanité essentielle et de géo-politique pratique et concret, seulement interrompus par ses ''Fucky-Fucky ?'' implorants ? Que cette fille était chouette, qu’elle ne voulait finalement que de la tendresse, qu’elle ma bouleversé, qu’elle m’a appris que les putes ne sont pas des putes mais des femmes fragiles. Est-ce que je peux leur dire, ça, entre le fromage et le gâteau ? Qu’aucun sermon de leurs curés pédophiles, jamais, n’a eu la déchirante humanité de la confession spontanée de cette pute roumaine saoule… qui au lieu de m’exciter, m’a rendu amer jusqu’à la frustration de ne pouvoir la sortir de là comme une petite sœur égarée que l’on récupère. A qui puis-je dire que j’y ai pensé des mois, tentant d’imaginer sa vie, espérant qu’elle ne ferait pas de mauvaise rencontre (Hortefeux, tout ça…) je ne vois que vous.

La compagne elle, ne dit rien ; mais vous sentez tout le magnétisme de son regard par lequel elle tente de vous retenir. Elle vous jauge. Peut-être aimerait-elle être comme vous : dire « ciao ! » à la communiante dans son aube virginale pour se jeter sur vos traces, peut-être aimerait-elle que vous sentiez sa solitude et restiez là, avec elle. Mais elle ne veut pas le dire, non, elle veut que vous le compreniez. Ce n’est pas possible, vous n’êtes pas parfait et votre esprit est déjà là-bas. Sur le pas de la porte, vous avez envie de lui dire comme elle est belle, comme vous l’admirez, comme vous vous trouvez idiot de l’abandonner elle et votre enfant, pour six toritos de merde trafiqués par le mundillo pour décevoir la pureté de votre espoir. Et vous partez. Mais vous partez parce qu’elle est là, avec la certitude qu'elle vous attend, sinon vous n’auriez pas le goût de vous en aller… Le sait-elle ? Evidemment vous avez toujours eu cette pudeur lâche, de ne pas lui dire.

Mais à Saint-Laurent d’Aigouze comme ailleurs, cet été, je n’y étais pas. Nonobstant, je vois un maximum de courses non désirées à cause d’amis généreux. Car l’aficionado est ainsi fait qu’il préfère être ce masochiste, relatant le fracaso, se flagellant en public de s’être encore déplacé pour rien, plutôt que de vivre la frustration de n’y être point allé. C’est cul ''nonobstant'' comme mot, je ne l’emploierai plus ou alors, juste pour vous emmerder. Non moi, j’aimerais aller dans les quelques rares pueblos espagnols où l’on peut encore voir quelque chose de populaire. Une aficion à l’os. Essentielle, authentique. Pas celle des grands hôtels et de leurs fontaines de Champagne. Je ne suis pas un révolutionnaire pourtant, mais j’ai toujours préféré le tinto de la casa, bien râpeux. J’ai toujours préféré la droite saucisson et la gauche ballon de rouge, que la droite Champagne et la gauche caviar.

Si je pouvais prendre une année ''sympathique'' - c’est une année où l’on ne travaille pas, faut être pharmacien, ou notaire, ou retraité, buraliste peut-être, sinon on ne peut pas - je me ferais mon petit road-script taurin de pueblo en feria, avec obligation d’écrire et de photographier tous les jours. ''Ruedos around the Pueblos'' qu’il s’appellerait, mon livre, à l’issue… Il intéresserait au moins… trois cents personnes, au haut mot… plus ceux qui me plaindraient, m’encourageraient, m’achèteraient par amitié, pitié, compassion, solidarité, vous, là. Pour goûter une fois encore aux crevettes de Sanlucar de Barrameda, à la spontanéité du peuple espagnol, à l’anis de Chinchon aussi vertigineux que la pente de son arène, à l’émotion de jeunes femmes très fragiles, pour respirer la combustion lente et âcre des cierges de l’église du Rocio, pour entendre souffrir les maestros de renom devant les redoutables vaches braves des placitas de tientas, etc...
Pour tout ce que l’on sait de cette Espagne un jour si fort étreinte, qu’elle nous tient dans l’attente fébrile de ses retrouvailles ardentes de maîtresse farouche, émouvante, inconstante, susceptible, jalouse et possessive mais terriblement vivante.

21 commentaires:

Bernard a dit…

Cher Marc,

Merci de "ne voir que nous"...
Et puis, "l'aficion à l'os"... même si j'ai pas très bien compris, ça m'a fait un peu "jambon à l'os" (du "lotentique" quoi, comme le dit si authentiquement ahuri Ugolin-Auteuil dans Jean de Florette!)...

Allez, bonne plume - Bernard

PS: chez moi aussi, le toril est adossé à la sacristie... et la porte des arènes donne sur (l'ancienne - hélas!) cour de l'école...

Anonyme a dit…

Tendre, un peu marrant et triste.

Joséphine Douet a dit…

Merde, j'adore ce texte.

Pepina.

Anonyme a dit…

Magnifique,j'adore cette écriture là, bravo l'écrivain !

Victorina

ludo a dit…

ole caballero !
comment dis-tu ? :
"Mais vous partez parce qu’elle est là, avec la certitude qu'elle vous attend, sinon vous n’auriez pas le goût de vous en aller…"
asi se torea !
moi je veux bien partir avec toi rockin'round the mundillo lécher les larmes de toutes les putes en mal de vivre. la fiesta loca se llama. mais je ne suis même pas buraliste. il faudrait trouver un mécène.ou une résidence d'artistes nomade.faut pas rêver mais si quand même.
abrazo.

ludo

Marc Delon a dit…

enfin, Ludo, tu aurais pu me dire que plaza ne prenait qu'un "z" ! je viens de corrrrriger...

ludo a dit…

et les "puntillitos" sont des "puntillas" de calamares ou des "puntillitas" à la rigueur mais déjà que ce n'est pas gros tu as dû manger des têtes d'épingles.

ludo

el chulo a dit…

très bien çà, mon marcos!

Anonyme a dit…

Importante !
A lente combustion,
Je vous dévore.
Deolon Gracias.

Anne Holhi.

Anonyme a dit…

C'est bien quand tu ne parles pas que des toros que tu es le meilleur...
Non pas buraliste, j'ai été obligée de trouver un autre mi-temps en plus de celui du bureau de tabacs...
Bises, isa du moun

Marc Delon a dit…

Puntillitas, si, todo pequenos las bebetas...

Anne Holhi ? Pepina... Victorina !

maaa... que des nouvelles... ou d'anciennes discrètes... Bienvenue ! C'est gentil de venir dire bonjour.

Marc Delon a dit…

isa tu repapie comme on dit à Nimes. Tu as déjà écrit ça trois ou quatre fois ! Mais c'est quand je n'écris pas que je suis le meilleur...
C'est quand je masse !
Viens un peu étendre ton petit corps de landaise épanouie et tu t'en souviendras longtemps !!!

Dis moi : ta palombière est toujours en service ou la tempête en a eu raison ? Une année je viendrais, hein... mais va falloir me faire des tartines de foie gras, des onglets à l'échalotte, etc...

Anonyme a dit…

Arrête de croire que tous les pharmaciens sont blindés,tu sais bien que je gagne beaucoup moins que toi! Mais moi je ne me plains pas.D'ailleurs je ne les envie pas les gens qui sont blindés.
Aux spectacles qui valent un bras je n'y vais pas,ou alors faut qu'on m'invite et encore...Des raids à travers le désert,je ne m'en paie pas...Des 4x4 qui boivent le gasoil comme les éviers l'eau de vaisselle encore moins...
L'argent n'achète pas tout. Surtout pas la joie de vivre parmi les siens, elle n'a pas de prix.
La solitude, par contre, est en vente à tout les prix.
isa

Maja Lola a dit…

Quel beau texte. Il laisse un goût doux-amer. Ca sent tellement le vécu (surtout pour une certaine génération). Plus profond qu'il n'y paraît. Entre le pittoresque, le nostalgique et le truculent, la plume de Marc donne de beaux moments de lecture.
En tout cas d'un été somme toute assez "statique", il nous fait vivre de jolies évasions et même des états d'ââââme.
Bon, je vais le relire encore une fois, pour le fun, pour le plaisir de revivre ton été si particulier.

Anonyme a dit…

Mon père est mort, et heureusement avant la tempête, parce que je ne crois pas qu'il aurait supporté de voir sa palombière détruite.
Je ne vais même plus dans la forêt en octobre, ça me fait trop mal au coeur...
C'est pas demain la veille que je me fasse tripoter par un nîmois, moi!

isa du moun

Benjamin a dit…

Super... Merci... Bravo... Encore ?!
Abrazo

el chulo a dit…

je ne me souviens pas si j'ai dit que c'était un très beau texte. si je ne l'ai pas dit, donc je l'affirme.
mais je pense que les corrida lovers tels que nous, ont toujours cherché cet ailleurs qu'ils peuvent enfin investir, je parle de l'avant, (la quête), le pendant (la réalité) l'après (l'indestructible désir d'être, ou d'espérer, malgré tout)

Marc Delon a dit…

Une grosse bise rien que pour toi, Isa. Et il y a une différence entre se faire tripoter par un nimois et se faire masser par un kiné... l'un est trop près, l'autre est très pro...

encore ?! Benjamin.... ouais... un par jour, ça serait bien...
Mais bon, à part des putes et des beaux frères, je vois pas ce qu'il a de plus ce texte... ;-)

Maja Lola a dit…

A part les putes et les beaux frères tu ne vois pas ce qu'il a de plus ce texte ?
Con tu permiso, querido Marcos :
Que la solitude n'est pas toujours une ennemie et que le partage d'un voyage n'est pas indispensable.
Que la nostalgie n'est pas une fin en soi et ne doit surtout pas anéantir les besoins d'ailleurs et d'aventures.
Que cette culpabilité (assumée dis-tu) chevillée au corps que nous renvoient des regards désapprobateurs ne doit pas devenir une honte.
Que ta compagne assure avec intelligence et amour tes choix, ce qui est extrêmement précieux pour un couple. Préserver son espace vital, un jardin personnel pour respirer dans une confiance complice ... beaucoup d'hommes (et de femmes) seraient certainement demandeurs.
Que cette escapade "sympathique" et photographique dont tu rêves te procure certainement plus de plaisir dans l'attente de ce que tu fantasmes. ("L'attente est en proportion du bonheur qu'elle prépare" -ce n'est pas de moi-
Alors, tu te poses encore des questions, noble masseur nîmois cent pour cent pro ?

Xavier KLEIN a dit…

Je comprends maintenant pourquoi cette fille roumaine me trouvait si beau il y a 6 mois à Jerez!
Je ne sais pas ce qu'est une pute, un beur, un sauvageon, je ne connais que des êtres humains, femmes, hommes, parfois entre les deux.
Dans la Genèse, Dieu appelle et ce qu'Il appelle devient.
Nommer une pute, c'est "la devenir pute". Sinon, ce (n') est (qu)'une femme.
Tu as bien raison Marc, il faut regarder le monde avec des yeux d'enfants, et l'analyser avec ceux d'un adulte.
C'est la seule solution pour pouvoir continuer à espérer.

Marc Delon a dit…

Sauf qu'un zenti anti restera toujours bien moins humain que nous... ;-)