Les
instruments que le photographe manipule – ses appareils – sont
essentiels. Chacun d'entre eux doit jouer un rôle particulier en
fonction de ses propriétés intrinsèques.
Ainsi, le traditionnel
appareil photo de petit format – pour pellicule standard de 35m –
rend compte de ce qui, pendant le voyage, passe sous nos yeux,
magique et fugace. Les images enregistrées avec ce type d'appareil
ont le même défaut de définition, le même écho de mouvement et
la même absence d'hyperréalisme que ce que capte l'oeil du voyageur
derrière la fenêtre d'un train ou d'une voiture. A une telle
vitesse, nous sommes incapables de graver en nous les détails d'une
scène qui nous a fascinés ; seul demeure le souvenir d'une
atmosphère aux contours imprécis. Comme le dit Serge Tisseron :
« La
photographie floue constitue un fragment de temps dont l'empreinte a
été compromise par l'objet, plus qu'un objet compromis par le
temps. Elle rend compte de l'impossibilité à arrêter le temps et
elle le convertit en prétexte pour une poésie de la
représentation »
L'appareil
de petit format joue le même rôle que l'oeil sensitif, alors que
celui de moyen format – pour négatif 6x6 – correspond à l'oeil
cognitif et, par conséquent, à une approche du sujet plus
réfléchie.
Si
l'on suit cette logique qui veut que le degré de rationalité soit
directement proportionnel au format du négatif, les plaques de
20x25cm impliqueraient alors le degré le plus haut de distance
émotionnelle par rapport au sujet. Mais Castro Prieto réalise une
pirouette avec ce type d'appareil, en l'utilisant de manière
insolite. Malgré le trépied, il arrive à le manipuler comme s'il
s'agissait d'un vulgaire appareil portable. Ainsi la froide
objectivité de l'hyperréalisme, propre au grand format, ne le
concerne pas : il sait restituer les atmosphères imprécises du
35mm et l'esprit transcendant du portrait de moyen format.
Les
interventions du photographe sur le plan focal sont loin d'être de
purs maniérismes esthétiques. Les images acquièrent l'effet –
tant recherché – d'irréalité. Par là, elles deviennent
puissamment oniriques, évocatrices. Elles exercent en même temps
tous les attraits de l'hyperréalisme sans pour autant que l'accent
soit mis sur leur aspect documentaire et descriptif. Bouleverser le
plan focal implique un changement dans la perception de la réalité.
D'une certaine manière le temps lui aussi est comme incorporé dans
l'image. Le photographe anticipe le parcours que l'oeil du spectateur
effectuera : guidé par la curiosité et la fascination, son
regard décrit parfois une trajectoire incohérente et imprévisible,
allant de ci, de là, revenant sur tel point, ou s'arrêtant à des
détails insoupçonnés sans la moindre explication. Chaque image est
une somme de fragments qui possède un vie autonome, une collection
de ces punctums dont Roland Barthes parla pour expliquer
pourquoi nos yeux sont attirés par certains détails. Cette
manipulation des plans focaux est presque un exercice d'affirmation :
elle illustre la multiplicité des lectures qu'une bonne photographie
doit proposer tout en soulignant les propriétés polyédriques du
procédé. Finalement, l'appareil à plaques fait de Juan Manuel un
double de son cher Martin Chambi. Précisément dans le pays du
maître, dans les paysages qu'il a sillonnés en compagnie d'une mule
portant son équipement photographique. Il n'est pas étonnant qu'à
chaque expédition Juan Manuel Castro Prieto ait emporté avec lui le
souvenir de cet homme qui aima tant son peuple et sa culture
ancestrale. C'est pourquoi, même s'il se méfie des grands mots, je
n'ai pas peur de souligner la dimension mythique que ce projet a eue
à ses yeux.
De
toutes façons le voyageur, doit s'attendre à vivre sans cesse des
moments dramatiques et mythiques. Quand la mort fait sentir sa
présence, elle change obligatoirement notre perception de la
réalité. Un matin, alors qu'il n'avait pas cessé de pleuvoir, nous
décidâmes d'abandonner Yerbabuena, et le marché au x chevaux et
autres bêtes qui n'étaient plus que boue, pour monter.... etc
Alejandro Castellote
Ce
livre est épuisé mais en cherchant bien sur le net, on le croise :
si cela vous arrive, cliquez, vous ne le regretterez pas ! A
moins qu'il s'agisse de vos ultimes deniers et alors je vous
conseille de les gardez pour acheter le livre que je vais bientôt
vous proposer, beaucoup plus taurin.... :-)
Mais ici tout
d'abord, d'extraordinaires photos où la supériorité de la chambre
photographique saute effectivement aux yeux concernant ce qui est
expliqué dans cet extrait du texte passionnant de Castelotte, le
modelé, la séparation des plans, si spectaculaire, donnant souvent
une telle impression de relief qu'on a l'impression ''d'entrer'' dans
la photo, voire même d'y être entré et d'évoluer dans sa
profondeur. Non, kedale, rien fumé. Constatez par vous même le
chef-d'oeuvre de ce photographe madrilène qui vint l'été dernier
animer un stage sur le reportage à trente kilomètres de chez moi
sans que je le sache ! J'aurais bu son expérience et son talent avec grand intérêt. Je sais pas moi, imaginez que vous soyez beccerista et qu'on vous dise qu'El Juli va venir à côté de chez vous, enseigner sans compter, pendant une semaine, absolument tout ce qu'il sait sur les toros. Comprenez, maintenant ?
1 commentaire:
"l'illustration de la multiplicité des lectures ... " Cet océan cantabrique en ouvre, des portes !
Le rocher, le ciel et l'eau ... trois éléments que "l'oeil" du photographe restitue pour exacerber, éveiller, inventer, faire rêver. Au point de faire oublier qu'il ait fallu la manipulation d'instruments et la connaissance de la technique pour nous faire nous évader dans cette beauté vivante de la nature.
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