Contrairement à ce que
l’on attendrait d’un roman où se décrivent longuement l’usine
et la destruction du livre invendu puis son recyclage en pâte à
papier, Le Liseur de 6h27 est à la gloire de tout ce qui s’écrit, se lit, des mots, des
alexandrins, de la littérature comme du journal intime ou du livre
de jardinage. Le passage par La Chose, ce pilon dévoreur puissant,
goulu, brutal, qui rejette sa nourriture bien digérée, n’empêche
pas le protagoniste, Guylain, de récupérer des feuillets avec des
fragments de textes qu’il lit tous les matins dans sa rame du RER.
Ce « liseur » n’est donc pas le lecteur habituel,
réfugié dans un monde clos, dans un état larvaire tant décrié
par Nietzsche. Non, il lit avec d’autres, pour d’autres, dans le
train puis dans une maison de retraite. Il procède de la même façon
quand il trouve une clé USB porteuse de textes autobiographiques
rédigés presque clandestinement sur son PC, par Julie, une
« dame-pipi ».
Donc, on l’aura
compris, à l’intérieur du récit principal traitant de
l’histoire du protagoniste Guylain, s’insèrent comme autant de
mises en abyme, une infinité de récits et de narrateurs.
C’est l’occasion pour
l’auteur de transporter ses lecteurs réels ou fictifs en des lieux
variés, connus de tous, logement modeste, rue, usine, hôpital,
église, toilettes publiques… mais qu’il nous réinvente avec son
talent particulier, la justesse de nombreuses métaphores, des
détails précis, de nombreuses personnifications qui les rendent
vivantes, réalistes et familières, voire épiques quand il s’agit
de l’usine et de la machine à broyer.
Les personnages sont
aussi nombreux, vivants car toujours décrits en situation par les
propos rapportés qui les définissent, les rapprochent du narrateur
et des lecteurs avec beaucoup de familiarité. On côtoie des
humbles surtout, des vieux, des esseulés ou des solitaires,
faibles ou affaiblis, humiliés, fatigués par une vie routinière
et peu fortunés ; l’auteur les traite avec une tendresse
émue ou souriante, leur prête du bon sens et de la bonté,
manifeste une compréhension unique de leur souffrance, insiste sur
leur sens de la fraternité et leur dignité.
Par contre, son humour
n’est pas tendre pour dénigrer les puissants, ceux qui abusent de
leur pouvoir, qui sont méchants par nature, sots ou prétentieux
comme le chef de service ou « l’homme de la dix »,
des toilettes publiques.
Tant mieux, cela nous vaut des anecdotes où le sourire et l’hilarité l’emportent. Ne pas se priver de lire et relire les pages sur les toilettes publiques du super marché où l’analyse des bruits et des habitudes de chaque utilisateur, longue, précise, très détaillée, d’un réalisme simple mais jamais vulgaire, du jamais lu - sauf un peu chez Florian Zeller dans un roman ( Julien Parme) quand il décrit son jeune héros qui se soulage dans Paris -, qui va permettre à une humiliée de se venger d’un arrogant !
Tant mieux, cela nous vaut des anecdotes où le sourire et l’hilarité l’emportent. Ne pas se priver de lire et relire les pages sur les toilettes publiques du super marché où l’analyse des bruits et des habitudes de chaque utilisateur, longue, précise, très détaillée, d’un réalisme simple mais jamais vulgaire, du jamais lu - sauf un peu chez Florian Zeller dans un roman ( Julien Parme) quand il décrit son jeune héros qui se soulage dans Paris -, qui va permettre à une humiliée de se venger d’un arrogant !
C’est que le roman
n’est ni moralisateur ni pessimiste. Quand l’auteur réinvente
notre société, c’est notre pauvre humanité en marche vers sa
finitude et qu’on doit bien prendre telle qu’elle est, qui
l’intéresse. Mais la finitude, on peut la transformer :
embellir la vie, être capable de compassion quand le repli sur soi
aurait pu être la seule règle de survie : d’où l’importance
du liseur dont les lectures relient les êtres entre eux, provoquent
les rêves, les questions, les débats. Restent aussi, d’autres
saveurs, des plaisirs simples, balade, flânerie, animal familier,
écriture d’alexandrins, journal de bord, petits mensonges de
délicatesse et bien sûr, l’amitié, tout un art de vivre, une
manière d’être au monde. Et puis l’Amour, et il se pourrait
bien que la quête de Julie, la femme- à la clé- USB, en fin de
roman, l’emporte sur la lecture !
On comprend donc le
succès de ce roman. Bien écrit, plein de vie et de tendresse, il
est l’hymne d’un grand écrivain à la simplicité, à l’amitié
et à la langue française.
3 commentaires:
Finitude, chère Gina, c'est bien le problème, à l'heure des fausses cultures (rap ou autres, internet des marchands escrocs et prêcheurs), sans parler de ces analphabètes crétins que nous avons fabriqués, des innocents qu'on fusille ou égorge au nom d'un dieu. Bientôt l'Inquisition sera une rigolade.
Dans une société de haine de l'autre le plus salaud gagne toujours.
je vous embrasse.
Belle et brillante présentation de ce livre Gina ...tu nous reviens dans une forme époustouflante !
Chulo, je vous embrasse aussi, de même que Lola et de même que Marc qui, soudain, sort de sa léthargie estivale.
J'adhère à toutes les remarques que vous a suggérées ce livre.
lola, quelques virgules de plus auraient facilité la lecture, mais tu es intelligente et fort gentille. Merci.
gina
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