Malade
est son statut, terminal son état, grabataire sa condition.
Une toute petite
chose, menue, ratatinée parmi les remous
des couvertures d’où elle n’émerge qu’à peine. Elle ne parle pas. Un calot
vissé sur le crâne, rencognée dans son matelas à eau, elle flotte sur son îlot
sans jamais mettre pied à terre. Migrante de sa propre santé, tentant de
retarder celle qui rôde et l’attend, obscure, sûre de son fait.
Les bras repliés contre
elle, mutique et un œil fermé, elle m’observe de cet œil encore ouvert où
brille malgré tout une malice. Je soliloque, commentant ce que je lui fais ou
lui indiquant ce que je voudrais qu’elle fasse, demandant à son mari de
traduire ou de m’indiquer la traduction des mots dont j’ai besoin : tendre
le coude ? Quelque chose comme « tirmas nichen… » ma foi, moi, je
répète, me délectant de ces nouvelles prononciations et ça lui arrache des
sourires. Quand je m’embrouille dans le maniement des trois moteurs du lit
médicalisé, aussi. Elle tangue alors comme sur la houle avant que je n’arrive à
stabiliser l’installation dont j’ai besoin.
Elle ne dit rien, jamais, mais
semble écouter avec attention. Selon mon horaire de passage par rapport à celui
de l’infirmière, flottent des effluves qui nous renvoient à notre dépendance
organique. Sa mine est alors renfrognée, son visage sans expression et elle ne
me regarde plus. Elle a honte. De bon matin c’est difficile, parfois. L’envol
des couvertures provoque la libération des effluves gênants, la mobilisation
des membres inférieurs, aussi. Je force mes traits à l’impassibilité, je pense
à l’infirmière pour qui ce sera pire… quel métier !
J’y vais depuis des
mois et jamais elle ne m’a adressé la parole, elle ne doit rien savoir de notre
langue.
Ce
matin je mobilise machinalement ma patiente, ses membres ne pèsent pas lourd
dans mes mains, essayant de discuter avec son mari qui parle un drôle de
français, assez incompréhensible, avec des syllabes pourtant familières. Une
sorte de français subliminal : tu comprends la première phrase lorsqu’il
prononce la troisième tandis que tu réfléchis à la deuxième. Il me dit qu’ils
sont de Ouarzazate, je lui dis que j’ai visité le palais du pacha Glaoui et ses
quarante chambres où l’attendaient ses quarante épouses qu’il passait en revue
tous les soirs pour choisir celle qui l’accompagnerait la nuit. Je lui dis que
le type avait certainement réglé tous les problèmes passionnels. Sauf que c’est
sa première épouse qui choisissait pour lui me précise-t-il… et qu’il y avait
tout un jeu de conspirations savantes pour passer dans sa couche ou n’y jamais
passer justement. Elle grimace, sa couche pince parfois l’entrejambe, mais elle
reste mutique. Je dis qu’un jour, j’y retournerais volontiers, là-bas, et pousser
jusqu’aux gorges du Todra. Et puis chacun se retranche dans ses pensées,
silencieux.
J’en
termine, prenant congé du mari, enfilant ma veste et, la main sur la poignée
de la porte pour la refermer derrière moi, la retrouve dans ''ma ligne de mire'',
sa tête dépasse de la cloison du couloir. Je lui fais un dernier signe de tête
entendu qui veut dire « à la prochaine » sauf qu’aujourd’hui ses deux
yeux sont ouverts et qu’elle parle :
« Si
tu vas à Ouarzazate, emmène-moi... »
10 commentaires:
très beau!
Marc,
J'ai pleuré .... beaucoup ...
"Si tu vas là où je suis née, emmène-moi"
Texte douloureusement touchant et vrai.
Une grosse bise à Lola et une bourrade d'épaule au chulo...
Merci beaucoup !
ernesto.
Bourrade d'épaule tu veux dire Abrazo?
Remarque, tant que ce n'est que l'épaule!
Heureux de revoir Maja!
bourrade, mouclade, brandade et tapenade
Putain!
Manade, Dorade, Cagade !
Et celle qui rôde et nous atttend : la Camarde.
Depuis notre Andalousie à tous, salut.
JLB
Tiens JLB, on se faisait rare! Bienvenue à bord!
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