Ivan
Fandiño est mort et tout le monde s’en fout. Un peu comme est mort le PCF et
comme se meurt le PS à l’exception de ses membres les plus opportunistes vite
repeints des couleurs de la déambulation salvatrice. Marche ou Crève. Des tas
de gens meurent tous les jours dans l’indifférence générale. Et même mieux,
nous offrent ce sentiment de jouissance fugace et presque malsaine, d’en avoir réchappé.
C’est encore l’autre qui a été frappé et la vie a soudain ce supplément de sel,
ce pic de jouissance égoïste, ce sentiment de partie remise. De bonus, de
sursis. Avec parfois cette concomitante sagesse, fugace elle aussi, de se dire
mais pourquoi s’emmerder à ce point avec tous ces faux problèmes alors que tout
peut s’arrêter d’une seconde à l’autre… ?
Il
n’y a pas beaucoup de photographies où Fandiño sourit. Son visage évoquait plutôt
un homme sombre, grave, à qui on n’aurait pas envoyé spontanément une grande claque
dans le dos. Comme si la prémonition de la tragédie l’habitait déjà. Il était
parait-il exigeant et profond, sûrement pas celui qu’il fallait inviter à une
soirée comme ''ambianceur'' ni dans une arène comme chauffeur de tendidos
pueblerrino. Un torero à décoder, profond, d’intimité, d’introspection
claire-obscure, de vérité, sans grande transmission vers le public. Quand il
officiait, on le sentait classique et compétent et personne n’avait peur pour
lui, il ne donnait pas l’impression d’une quelconque fragilité. Et pourtant
messieurs-dames, un autre aurait dit ''les gens'' mais je ne voudrais pas
ressembler à un petit dictateur péruvien, ''Povrechito'' éructa hier un coup de
corne dans le ruedo d’Aire sur Adour qui pourtant rime avec velours, avec amour,
qui le raya de la carte. Les Baltazar Iban étaient bien armés, astifinos,
solides, ne faisaient pas honte à la Fiesta Brava.
Il
est passé des décennies sans que le grand interrupteur, qu’il s’appelle Dieu,
la mala suerte ou la loi des séries, ne prélève de rêveurs belluaires en habit
de lumière et puis, depuis quelques mois : El Pana, Victor Barrio, Renatto
Motta, Ivan Fandiño.
Si
personne ne torée pour mourir prématurément, tous prennent en compte qu’ils
seront châtiés et que la mort brutale est une éventualité. Il faut croire que
le romantisme de cette vie, les enjeux qu’elle convoque en valent la peine,
loin des polémiques stériles.
Alors,
si la mort donnée par ''Povrechito'' ne sera qu’un ''petit profit'' pour
Fandiño lui-même, elle est comme pour José Candido Esposito mort en 1771, Pepe
Hillo en 1801, Joselito en 1920, Ignacio Sanchez Mejias en 1934, José Falcon,
Paquirri, El Yiyo et la cinquantaine de toreros non cités, une énorme contribution
à la fête du courage, celle de la dignité.
Tant que ce risque sera présent,
elle clouera le bec, même s’ils ne l’avoueront jamais, à tous ceux qui
condamnent sans faire cet effort qui ne coûte pourtant aucune blessure, sinon d’accepter
de grandir, d’approcher un peuple comme le ferait un ethnologue, par l’anthropologie,
la sociologie, la compréhension de son âme vivace et profonde au travers d’un rite
qui se répercute, mortels que nous sommes, bien au-delà du niveau incriminé de
faire bobo aux animaux ce qui est par ailleurs partout observé dans la nature
quand ils s’entre-dévorent allègrement.
''Petit
profit'' ou ''Petit rot'', on ne sait ce qu’il y avait dans la tête de celui
qui le baptisa, éructa comme ses frères tueurs au fil des siècles, la grandeur tonitruante
du combat des toros, ces fauves dangereux que l’on pourrait abattre caché en
pleine nature avec un lance-roquette mais qu’un peuple choisit d’affronter au
contact et à pied avec un chiffon et une épée au risque d’en mourir. Ceux qui
trouvent le concept émouvant ne dénient pas aux autres le loisir de ne pas
aimer, mais tous devraient pouvoir admettre la dignité de la chose. Ce que le
couple à jamais uni Povrechito-Fandiño est venu nous rappeler. C’est ce qu’il
faudrait pouvoir expliquer à la petite fille de deux ans qui s’étonnera bientôt
de ne plus voir son papa, ce héros moderne et modeste dont elle pourra être fière à jamais.
Photo de Anya Bartels-Suermondt
Photo de Anya Bartels-Suermondt
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