jeudi 16 octobre 2008

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?

Il y a quelques années déjà, j’avais une lancinante question à la bouche :
« Pourquoi allez-vous voir les corridas ? »
J’envoyai, je distribuai la circulaire à qui voulait bien l’accepter, même à Gérard Jugnot sur qui je fondais dans un vomitoire sombre de l’arène nîmoise et qui s’en effraya : il m’avait pris pour un ‘’agresseur de stars’’. Ce fut une période agréable car ma boîte aux lettres ne se nourrissait plus seulement de factures et de prospectus mais abritait aussi de bonnes surprises manuscrites. Imaginez ma joie, quand moi, l’aficionado lambda, je constatai soudain qu’un écrivain de renom ou un journaliste de niveau national, ou encore un agrégé de philosophie n’avait pas trouvé ma question inepte et avait daigné m’envoyer sa copie…J’avoue aujourd’hui, que c’est en lisant les réponses que le goût d’écrire me vint. Cette question germa faute de pouvoir me satisfaire des resenas qui ne rendaient jamais compte au-delà de ce que la vision offrait. Savais-je tout de la corrida ? Que voyait ce troisième élément, le public jamais sondé, qui regardait les deux autres torero et toro ? Aujourd’hui, des universitaires et d’autres aficionados se sont emparés du thème et l’on peut trouver en librairie les conclusions de leurs colloques ainsi que l’importante contribution de Wolf, ‘’Philosophie de la corrida’’ qui explique plutôt pourquoi il n’est pas indigne d’assister au spectacle de l’arène. A l’époque où je la lançai, la question fut souvent jugée niaise, vaine, dérangeante, irritante même. Des pontes consacrés du mundillo me reçurent les yeux arrondis en soucoupe et me répondirent qu’ils ignoraient pourquoi ils allaient aux arènes. Un comble, non ? Cela m’encourageait beaucoup : si eux ne savaient pas, c’était bien la preuve que s’y terrait un secret, un mystère insondable. Mais l’idée avait à peine germée qu’elle fut contrariée par la découverte de cette citation d’Espartaco :
« Le problème avec les Français, c’est qu’ils vont à l’arène un livre à la main »
Elle est souvent décriée la façon dont le le Français aborde la tauromachie avec son esprit ratiocineur et sa volonté cartésienne de comprendre, là où il faudrait sentir. Emettez seulement l’idée qu’il puisse y avoir des clés pas immédiatement accessibles et que tournent en nous, profondes, indéchiffrables et taraudant notre inconscient, de sourdes évocations sur le sens de la vie : aussitôt la cohorte des fêtards, des froids techniciens, des pragmatiques, ricanera de vos élucubrations… Mais l’émotion que communique un art, appartient-elle à quelqu’un ? Se doit-elle d’être identique pour tous ? Pas plus que l’émotion devant un tableau n’est stéréotypée, pas plus que l’auteur d’un texte n’en offre un sens universel par la subjectivité du lecteur, la qualité d'une faena ne peut faire l'unanimité par le seul commentaire de son narrateur. S’il y a sur terre un espace de liberté inaliénable, c’est assurément pour chaque homme, le territoire de ses neurones et leur connectique dédiée à l’élaboration de sa pensée. Personnellement, je crois vivre cette liberté à l’encontre des masses : non que je veuille me prétendre plus fin connaisseur, mais après le spectacle de centaines de corridas, le seuil d’excitation est considérablement relevé et aussi parce que la sensibilité ambiante a évolué sans moi… (Si, si vous le pensez, je l'entends d'ici... j'aurais basculé dans le monde étriqué des vieux cons passéistes...possible après tout mais...) Il m’est incompréhensible de voir des arènes entières chavirées d’émotion, hurlant avec violence pour exiger la grâce d’un toro invalide, assez dégénéré pour avoir déshonoré la race brave en tournant comme un caniche autour de son dresseur. Enfin, passons sans broncher, comme un toro abruti… J’ai pensé interroger d’abord ceux que l’on désigne comme les ‘’taurins’’. Deuxième désillusion, ils n’adhéraient pas. Le plupart d’entre eux, qui par ailleurs se confiaient abondamment sur l’histoire, la technique ou d’autres aspects de la corrida, restaient courts, voire secs, sur l’introspection demandée.
Espla finit de me décourager de les recruter quand je lus cette déclaration :
« Je ne supporte pas les idées reçues des taurins, ils me font fuir. J’aime l’intellectuel qui se rapproche vierge de concepts, qui élabore des théories et voit des différences qui nous échappent. Les intellectuels m’ont ouvert les yeux sur beaucoup de choses et c’est malheureux de voir comment les traitent les taurins primaires, prisonniers de leur bêtise. Ils les désenchantent et leur font perdre cette vision utopique des toros, qui est certainement la plus vraie »
Quelle largeur d’esprit pour ce très efficace lidiador de toros que l’on aurait pu imaginer plus terre à terre. J’ai donc hésité jusqu’à la découverte d’une troisième citation, enfin la bonne pour m’encourager, de Jean Bellemin-Noël qui écrit ceci dans ''Psychanalyse du texte littéraire'' :
« L’homme est dés l’origine une machine à conférer du sens, à faire signifier tout ce qui lui arrive, y compris les évènements opaques et muets qui le désarment parce qu’ils ont au premier abord « l’insignification » entêtée des choses. Et, justement, l’intelligence humaine se mesure au choix et à la fécondité des sens qu’elle met en place dans la succession de ces moments qui font énigme tout au long de la vie »
Ouf ! J’étais sauvé, je pouvais in extremis me raccrocher à un raisonnement qui justifiait mon interrogation. Est-ce un hasard si pour illustrer l’interrogation par un point le typographe choisit la forme de l’hameçon ? Est-ce un hasard si la trajectoire décrite par le toro lors d’une passe engagée s’inscrit par la même forme ? Toute question accroche quelques réponses et j’ai sélectionné quelques dizaines d’auteurs spontanés comme vous et moi ou d’autres, à la plume plus distinguée comme Jean-marie Magnan, Antoine Martin, François Zumbiehl, Francis Marmande, Pierre Veilletet ou Nicole Luchtmaya.
La dissertation semble difficile, nombreux sont ceux dont je n'ai pas retenu les témoignages soit parce qu'ils étaient redondants, soit parce qu'ils avaient détourné la question, expliquant plutôt comment ils étaient ‘’entrés en aficion’’. D’autres s’en sont servis comme introduction. Il faut dire qu’il n’y a pas de réponse péremptoire, on tourne autour mais on n’entre pas. Le mystère tient en haleine depuis quelques siècles déjà. Si je n’avais posé la question qu’à un collège de psychanalystes, à des intellectuels ou des philosophes, sans doute aurais-je eu une qualité de réflexion et d’expression inégalée mais je voulais une représentation de l’hétérogénéité du public. Pas seulement ceux qui font métier d’écrire et de penser.
Si cela nous fait la deuxième série récurrente de ce blog, une série ouverte peut-être pour longtemps, (qui sait si cela ne va pas déclencher d’autres participations ?) c’est aussi la faute/grâce aux éditeurs : entre celui qui m’a toujours assuré que c’était oui mais qui au téléphone m’a fui comme la peste pendant deux ans alors qu’un simple « non » m’aurait libéré, celui qui voulait bien mais à compte d’auteur (ben voyons…) et ma flemme de tout faire seul, eh bien vous allez en hériter gratuitement et vous passionner pour ce feuilleton à la recherche du sens et des enjeux de la corrida. C’est-y pas chouette ? Bon maintenant, si un éditeur m’appelle demain matin…
Le publier d’une façon ou d’une autre est aussi une manière de ne pas oublier tous ceux que je remercie infiniment d’avoir bien voulu m’envoyer leur contribution et spécialement ceux cités plus haut qui n’ont pas besoin de moi pour être lu ! Je remercie aussi les artistes peintres qui m’avait gracieusement assuré de leur concours tel Viallat, Maret, Moschini, Merolli, Schmidt, Tombereau. J'ai vraiment été touché par l'amitié, la confiance et l'aficion désintéressée qu'ils m'avaient témoigné à cette occasion.
Et comme cette introduction s’est étirée en longueur, voici pour la première participation le texte le plus court reçu, en fait les derniers mots d’une longue lettre.
POST-SCRIPTUM de André BOISSINOT :
J’oubliais : quand je vois une belle faena, bien construite, j’ai l’impression que le toro fait ce que je ferais. S’il faut des choses inattendues et que j’aime, c’est le comble du bonheur.

1 commentaire:

Ludovic Pautier a dit…

"Emettez seulement l’idée qu’il puisse y avoir des clés pas immédiatement accessibles et que tournent en nous, profondes, indéchiffrables et taraudant notre inconscient, de sourdes évocations sur le sens de la vie ..."

ben voilà, on y est. t'es pas seul, cher marc.ce 6°sens c'est toute une affaire. content d'en faire la quête à tes côtés.

ludo