vendredi 17 octobre 2008

TRANCHE DE VIE NIMOISE

Bien le bonjour de Thérèse...
Au fond d'une petite impasse, dans une petite maison avec un petit jardin potager surplombé par une petite véranda en fer peint, vit un petit bout de femme, Thérèse. Une de ses filles va bientôt fêter ses 80 ans... C'est vous dire si pour elle, avec mon demi-siècle, je suis un gamin. Je m'y rends trois fois par semaine pour l'entrainer. Oui, je suis son "coach" comme on dit à Paris. Coaching remboursé par la Sécu. Sa maison est en pleine ville, entre deux avenues, mais il a suffi que l'urbanisme ait oublié le coin et que le voisin d'en face plante une vigne, pour se retrouver à la campagne. Des chats repus paressent au soleil, le merle à bec jaune est là aussi qui accompagne chaque envol de sa trille fulgurante. Souris, escargots, limaces, écureuils, lézards, complètent la faune du micro-biotope. Quand on descend l'escalier de la véranda, je lui dis : ''Tenez-moi bien, je me sens un peu faible aujourd'hui...'' et Thérèse rigole découvrant des dents qui lui appartiennent encore. Parfois on va marcher dans l'impasse et alors quelle que soit la voisine croisée, ça ne rate jamais :
''Aloooors....on a trouvé un beau jeune homme pour une escapade amoureuse...?''
On s'oblige à sourire alors, Thérèse et moi, pour faire semblant d'être conquis par un trait d'humour original... Aujourd'hui, on fait le tour du potager, lentement, comme des tortues ; on commente la pousse des légumes ; il y avait encore des tomates ce matin ; ce matin oui, le dix-sept octobre 2008, des aubergines, des salades. Sur la treille qui l'été venu ombrage la terrasse, on a récolté une grappe oubliée ; facile avec mes grands bras ; on l'a partagée Thérèse et moi à la table de la véranda recouverte de vénilia adhésif vert pomme ; on crachait les peaux et les pépins ; au mur le portrait de Jean-Paul II bien sûr ; Ratzinger, il est plus sévère ; et puis il est allemand, et des Allemands, Thérèse en a assez vu comme ça, non merci. Partout, des horloges qui se disputent, chacune sa tranche de temps, qui ne passe pas au même rythme selon les pièces ; l'une revendique plus fort sa différence de la gouaille de son volatile véhément qui déboule soudain hors d'un chalet du plus pur style "forêt noire", comme si un nain de jardin lui avait filé son pied au cul ; dans la pièce où l'on s'ennuie par exemple, rien à faire, aucune visite, toutes les amies sont mortes, croyez-vous que le temps passe vite ? La maisonnette est une sorte de conservatoire du design des années cinquante. Sauf qu'on ne se serait jamais douté que cela s'appellerait comme ça, "Design". Du fond de la cuisine sombre, un transistor diffuse radio-Ecclesia. Thérèse va sur son siècle, oui, elle aura bientôt cent ans et elle peste contre ce journal qu'il lui faudra désormais lire avec des lunettes.
Vous vous rendez compte ? Des lunettes, maintenant...qu'elle maugrée. A part ça tout va bien, d'ailleurs y'a qu'à voir la photo, ça plane pour elle, non ?
Oh, puis faudrait partir...qu'elle dit...A quoi je sers ?

Mais, vous ne vous rendez pas compte, vous êtes un véritable chef d'entreprise, vous employez le docteur, l'infirmière, le kiné, l'aide ménagère...

Oui...j'ennuie tout le monde oui... !

Ah mais non, vous nous faites gagner notre vie, c'est pas ennuyeux du tout ça !

Vous voulez pas un biscuit ? Elle ajoute, l'oeil plus pétillant. C'est des croquants Villaret, moi je peux plus les mordre, on dirait des pierres, ça me casserait la mâchoire, alors je les rouzigue comme un bébé son quignon, pendant des heures...ou trempé dans le café, c'est bon aussi...

Non, merci, sans façon, à lundi alors hein ?

Ah ? Mais quel jour on est ?

Vendredi, et je reviens lundi, donc...

Ah...oui...c'est vrai...je perds la boule...en tout cas on est en 1985, ça je le sais !

...Au revoir Thérèse...





1 commentaire:

Anonyme a dit…

Que sont ses amis devenus ?
Que Marc Delon dise à une vieille dame qu’elle garde une importance économique ne peut guère lui communiquer le goût de vivre.
Mais qu’il partage avec elle la grappe oubliée, isolée dans sa treille, comme elle dans sa maisonnette sans amis, voilà qui surprend à l’heure où les media dénoncent les mauvais traitements infligés à des vieux, improductifs, repoussants, gâteux…
Que Marc qui clame sa passion de corridas, de calmars à la plancha et de fiestas espagnoles, ait admis qu’elle n’était pas qu’un corps physique mais un être de chair – entendez de corps et d’âme -, qu’il ait pris sur son temps de thérapeute, des minutes pour la photographier, toute coquette et fragile sous sa véranda envahie de nature et de lumière, voilà qui doit suffire à éloigner un temps le désespoir. Le sien et le nôtre.