mercredi 28 octobre 2009

Pourquoi allez-vous voir les corridas ?



Francis MARMANDE
Pourquoi vais-je aux toros ?
C’est bien la question ?
Ferait-on un recueil sur le thème :
pourquoi allez-vous au cinéma ? ou au théâtre ? ou à l’opéra ? au temple ? à la piscine ?
Donc, ce n’est pas du même ordre.

Répondons. Le plus sinistrement tentant, sous chantilly d’élans bucoliques et couche de pathos, c’est, j’imagine, de chanter l’amour, la passion, l’irrésistible.
Mon aller aux toros n’a qu’un rapport de loin à l’amour. (Il a pu m’arriver d’y aller par amour).
J’aime les gens, les femmes, les hommes, l’amour, la littérature, le vin, la musique, tous les musiciens de jazz sans exception ; j’aime Rebeyrolle, Goya, Eric Dolphy, la politique ; j’aime les manifs, la foule, la fête, les toros ; j’aime lire Bataille, Molière, dessiner ; j’aime jouer ma contrebasse Pöllmann au vernis foncé ; j’aime le haschich, le rire, l’étreinte, la douceur ; j’aime les enterrements, l’océan quand il était en vie, le vent de nord-nord-ouest sur l’Arzamendi, les planeurs sur Itxassou, presque tous mes souvenirs, je n’aime pas la corrida.
Aller aux toros n’est pas une question d’amour.
C’est plus grave.

En 1954, mes parents m’ont entraîné voir une corrida à Saint-Sébastien.
Ils m’en avaient parlé.
Ma mère, surtout.
Mon père, avec une petite caméra Kodak 8mm, avait filmé sommairement Conchita Cintron à Bayonne et une course de vaches à Hasparren. Je connaissais ces images. La corrida de Donostia de 1954 où toréait Chicuelo 2 m’a ravagé. La semaine avant, j’avais vu au théâtre de Bayonne une représentation sans doute médiocre du Malade imaginaire à l’usage des scolaires. J’en suis sidéré. J’ai tout juste 9 ans. Que des filles et des garçons jouent, disent à haute voix des mots écrits jadis, bougent, se choquent, sous de méchants éclairages, me paraît le comble de la vie.
Nous habitons alors un monde illimité sans télévision, sans moteurs à explosion, sans l’obsédante haine positive de la beauté qui règle l’urbanisme et le désir, sans la haine polpotienne des chichis qui s’est imposé partout. Un monde discret, en un sens, dont la domination (les classes sociales, l’église catholique, le pouvoir politique) est plus lourde, plus frontale. Un monde de franquisme accablant à Donostia, de frontière épaisse, de peur. Un monde aussi de règles opaques et de puritanisme obsédant. Je sais tout ça.

La vivacité, la folie, la témérité de Chicuelo 2 est, dans l’instant, la déchirure de ce monde. L’impossible, le réel même.

Au quatrième toro, il pleut.
Il pleut comme il sait pleuvoir au Pays Basque.
On devrait réserver le mot de pluie à ce que l’on connaît, et en inventer un pour ces trombes atlantiques que stockent les Pyrénées.
Si fait qu’après tergiversations d’usage (je le saurai plus tard), la corrida est interrompue au quatrième toro.
Je n’aime pas la corrida.
Pourquoi vais-je à la corrida ?
La question ne se pose même pas. Depuis cinquante ans, je parcours le monde à la recherche des deux toros qui ne sont jamais sortis à Donostia.
Il me manque deux toros qui doivent être par là.

4 commentaires:

el chulo a dit…

cher monsieur marmande!

en préambule, si ce dont je ne doute pas un instant, la corrida est art ou n'est pas, c'est à dire qu'elle ne peut exister sans ce que l'art comporte de don de soi, de modestie, de gueules de bois, et de lumière.

et c'est à cette unique condition que l'art quel qu'il soit, chant, musique, peinture, sculpture, écriture peut vous ouvrir d'autres portes.

celles du rève et de la vérité révélée de la beauté indéfinie, informe peut être mais qui peut faire vibrer tout homme, cultivé ou inculte.

j'ai beaucoup aimé votre rocio, monsieur marmande, folie suffisamment controlée pour donner l'impression du "bordel".

et avec dessous, autre chose qui parle de queipo.

voilà, l'art s'exprime en suggérant.

Anonyme a dit…

Il m'étonne fort que "Les Isas" ne demandent pas à qui appartient cette fesse...

Anonyme a dit…

L’écriture me séduit, le détour fort littéraire aussi, mais je vois mal quelle est la réponse à la question posée.
Observer la fesse bien musclée, bien offerte, c'est plus facile.

Gina

Ludovic Pautier a dit…

ben , marmande, c'est brillantissime. et senti. et érudit. et ... bref, je suis plutôt fan. après, c'est la caution livro-jazzo-trotskardo-intelleuse du QVDM ( quotidien vespéral des marchés , on dit aussi le lournal le monde )qui coince parfois. mais relire ce texte et le savourer. à qui ne manque-t-il pas un ou une paire, une course entière de taureaux dans sa mémoire constitutive ?
le graal, la quête est là. merci qui ? merci francis.
un saludo don marco.

ludo