jeudi 18 février 2010

Un coup de fil pas comme les autres.

Il y a quelques semaines, le téléphone a sonné. Chez moi, je ne le décroche plus. Je ne voudrais pas que l'on dise de moi que je suis un grossier personnage. Or, avec la nouvelle manie des démarcheurs en tout genre qui vous appellent entre midi et deux, ça va arriver. Surtout quand ils me demandent s'ils sont bien avec le manager général ou le responsable des achats. Ouais, chez moi, je suis responsable de presque tout. Bon, soyons honnête, pas du ménage ou du repassage ou du lavage de vitre... Mais cette fois-là, l'appel était plus intéressant :
- Marc ? C'est Fred...
- euh... Fred ? euh...
- Oui, tu sais, on se voit une fois par an, chemin de la guinguette, à la paella de Claudette, notre amie commune...
- Ah, oui... le cheminot, c'est ça ?
- Oui ! Ca va ? Dis, je t'appelle pour te demander si par hasard tu ne voudrais pas être mon coéquipier sur le "Murzuk Extrême" un raid en Lybie au mois de mars, vu que le copain qui devait m'accompagner ne peut finalement pas... C'est Claudette qui m'a rappelé que tu faisais du raid aussi...
- euh, oui... enfin... dans le sable j'en ai fait un quoi...
- eh ben ça te dirait pas ? On embarque à Marseille direction le port de la Goulette à Tunis, on traverse les mille bornes de la Tunisie dans la journée et paf, dans le bac à sable lybien !!!
- PAF...
- Ouais ! Ce serait bonnard, non ?
- Aaaaah ... écoute... faut que réfléchisse... ouais... ce serait super... allez, je viens... sinon de ma vie je ne le ferai jamais !
- Tu réfléchis vite ! Super ! T'es sûr, hein...?!?
- euh... Voui !
- Super, super, super ! Tu verras, je l'ai déjà fait en 2006, c'est grandiose !!! Bon , y'a eu un mort... Tu vas voir ça, toi qui aimes la photo tu vas t'éclater ! On sera en autonomie complète deux fois cinq jours, que du bivouac, seuls au monde sous les étoiles ! Pas cher, en plus, normal remarque : pas un hôtel, pas un restaurant !
- Comment ça, y'a eu un mort ? C'est dangereux comme raid ?
- Meuh noooon... mais il écoutait rien ce type, il a freiné dans la descente d'une dune et il a fait une casquette... tu parles...
- Une... casquette...?
- Ouais, tsé, un tonneau par l'avant, s'est écrasé sur le toit quoi, laminé, tu vois?
- Ouais... enfin... j'imagine...
- Non parce que, enfin, tu connais, si tu tournes les roues en descente ou si tu freines, ben t'es mort... même si c'est super pentu et que ça fout les jetons, que t'es debout sur tes pieds avec le volant en bas, bras tendus, faut pas freiner malheureux ! Sinon t'es mort ! Normal ! Bon, ben, super, suis content que tu viennes, on se rappelle pour préparer tout ça. En attendant tape "Raid Zone" dans google tu auras le détail du "Murzuk Extrême", ciao !
Ami lecteur, tape toi aussi dans google de tes petits doigts musclés, les mots magiques et tu verras que je ferai bientôt partie du cercle restreint, des purs et durs, de ceuss "qui l'ont fait". Qui n'ont pas contourné l'erg mais traversé les montagnes russes lybiennes.
Oh putain... j'aurais dû me méfier aussi, "extrême" n'était pas là pour rien... coté 5/5 en difficultés, réservé aux raideurs chevronnés, des franchissements hallucinants, champagne si réussite - ah parce que défois on réussit pas....? et comment qu'on fait alors...? - des dunes qui culminent à 1100 mètres, qu'il faut gravir - tu vois que le ciel - et redescendre pardi ! - sans ''casquette''- sinon t'es momifié dans la foulée, comme l'aut' couillon, là, qui n'écoutait rien et depuis n'entend plus personne.
Bon enfin... j'y suis, j'y suis ! Mais moins baroudeur que moi, y'a pas... Je suis un passif-contemplatif, moi... j'aime mon confort... j'ignore tout de la mécanique... Mets-moi une clé à pipe de molette - c'est comme ça qu'on dit ? - dans la main, je sais pas si c'est pour faire chauffer l'eau ou planter une fleur, tu vois ? Or, ces mecs-là c'est tous des fondus de mécanique et de pilotage, tsé... Ils aiment en chier ! Ils adorent les pannes ! Plus c'est dur, plus ils se régalent ! Des pervers...
Le soir au bivouac, quand tu te remémores les pages de "Désert" de Le Clézio, le nez dans les étoiles, en pouffant les volutes bleues de ton Havane, lascivement, éperdu de bonheur dans la jouissance de ce silence rare où pulse plus fort ta petite voix intérieure, ben eux, ils sont sous les bagnoles peinturlurés de cambouis comme un ninja au combat nocturne ! Radieux ! Et vas-y que je te nettoie le filtre à air, que je te graisse le pont, et que sais-je encore... ils se régalent !
T'es là, enfin confiant puisque tu ne roules plus, juste contrarié de ta contracture fessière bilatérale te donnant l'impression d'être assis sur une pierre - oui... la peur durant les "franchissements hallucinants"... - conscient de vivre un moment rare, tu souris béatement à la vie en te repassant cette scène de pure fiction : c'est le vendredi de Pentecôte sur le sable encore rouge des arènes de ta ville et Laure Adler au micro, annonce soudain que le winner is..... toi ! N'importe quoi ! Toi, maintenant ! Avec cette histoire à la con, t'as gagné, alors qu'il y a deux ans, avec cette super nouvelle... nibe ! Et tu rigoles, perdu au milieu de rien parce que lorsque le micro t'es tendu et que tu dois dire quelque chose d'intelligent ou d'enlevé, plein de panache, car c'est à toi, à cet instant, d'endosser la stature de l'écrivain, de la figura à l'esprit supérieur, toi, devant tes pairs d'abord penauds puis ricanant comme des hyènes de ton texte nunuche, tu sors un truc... con... mais con...
C'est ta première déclaration publique aussi..., et pour la première fois de ta vie on vient de t'applaudir, tu voudrais déambuler élégamment jusqu'au micro et flamboyer d'une génialité spontanée et contre toute attente tu jactes un truc honteux, bouseux, du style :
- Bèèèè-euuuh chui ben content de récupérer un peu des sous de la poche à Casas depuis cinquante ans que j'y en donne pour acheter mes places... aheuhéhé...
Trop la honte ! L'arène entière est consternée !!! Adler se tourne vers le jury et leur siffle : j'vous avais dit qu'il fallait pas que ce soit lui, c'est un plouc, j'me casse à Paname ! Mais tu rigoles parce que tu te reconnais bien dans ce défilé d'associations d'idées à la noix qui affleurent à ta conscience à toute allure et dont ton esprit décalé proclame toujours la pire...
Tu rigoles, quand soudain te parvient en écho de sous le TOY HDJ80 :
- ouais tu rigoles mais question "amortos", les Bilstein t'avalent mieux les fonds d'oued que les OME, n'empêche ! De même pour les gassis en sortie de dune !
- ... ?
Bref, jour après jour, tu rêves à ton voyage, tu le prépares, tu accumules les ustensiles divers à emporter, pour dormir, pour manger, pour t'habiller et puis, parce que des Helvètes zélés ont arrêté Hannibal Khadafi, tombe un mail, sec et fuyant comme une poignée de sable entre tes doigts :
Les autorités libyennes ont décidé sans préavis dimanche 14 février de suspendre jusqu’à nouvel ordre toute délivrance de visa pour les ressortissants de l’espace Schengen et d’empêcher l’accès à leur territoire des titulaires européens de visas en cours de validité.

6 commentaires:

Benjamin a dit…

Dure comme chute !
Mais tant qu'à faire extrême, en avant les pirates !!!

el chulo a dit…

ok, mais ça a au moins épargné la vie d'un lybien innocent.
ca compte aussi, tout de même!

Unknown a dit…

bonjour. j'ai découvert votre blog par hasard et je vous felicite pour son contenu. Je suis photographe et j'ai réalisé plusieurs travaux sur la corrida. mon site est

www.brunolasnier.net.

Marc Delon a dit…

Oui Bruno, je conais ton travail et encourage tout le monde à aller y faire un tour.
Benji, effectivement on va peut-être y aller quand même... ou alors en Algérie, pour remplacer... c'est l'aventure... même dans la destination définitive...
La vie d'un français, chulo, c'est un français qui s'était tué. Nous on passe pas à toute allure pour écraser les petits africains...

el chulo a dit…

ah bon, tu me rassures, quoique on ecrase aussi des argentins non? parce que je voyais très bien un attelage casas dede au dakar ou ce qu'il en reste, sponsorisés par la casa domecq y ponce.

Benjamin a dit…

Ouuuuuuuuuh, ça c'est une puya trasera ! ;-)