jeudi 26 mars 2009

CARNET DE RUEDOS



LARMES DE SABLES


Il pleuvait ce jour-là sur le ruedo Cérétan.
Sans tomber dans les pièges de l’écriture tauromachique que sont l’envolée lyrique ou le discours apologétique, je crois que l’on peut écrire et souffrir de lire que toréer compte sans doute parmi les réalisations les plus difficiles. Vous n’êtes pas d’accord ? Peut-être n’avez-vous pas essayé. Sinon, cela se comprend quand on regarde les prétendus détenteurs de la plus grande maîtrise. Dans le toreo, il y a un truc spécial. Quelque chose qui ne s’explique pas et rend le toreo possible ou pas.
Heureusement, tout ne s’explique pas. La tauromachie résiste bien aux traités logiques et aux réponses péremptoires. Des tombereaux de toreros se sont interrogés sur leur échec. Pourquoi cela ne passait plus, pourquoi la solution pourtant identifiée ne s’appliquait pas, comment allait-on de la facilité à l’impossibilité, sans reconnaître ce qui avait changé. De ces deux pieds, le pourquoi et le comment, vacillants du déséquilibre du doute, ils se contentaient alors de traverser les publics, nus et décriés, d’une marche automatique, sans fierté ni gloire, feignant d'ignorer les sifflets brûlants, esquivant les coussins rageurs, seulement mus par le réflexe archaïque d'une déambulation de traversée de désert particulièrement solitaire et cruelle, avec ces foules pour témoin.
Il pleuvait ce jour-là sur le ruedo Cérétan et au milieu de la sciure épandue pour absorber les flaques, José Luis Bote sortait du désert. Il faut admettre que les toros lui infligèrent plus de dunes ingrates à gravir que d’oasis où s’épanouir…
Il est ce qu’il convient d’appeler un torero durement châtié. Fémorale sectionnée et saphène dilacérée lors de sa cornada de San Martin de Valdeiglesias, foie et pancréas contusionnés avec dégât du duodénum pour celle de Benidorm, dizième et onzième vertèbres dorsales luxées et fracturées avec dégât de la dure-mère et contusion médullaire pour celle de Madrid ce qui depuis affecte la mobilité de ses jambes. Excusez du peu, excusez la précision, voilà pour les principales.
Mais ce jour-là, enfin, ça fonctionnait à nouveau. Malgré les frayeurs antérieures, le corps meurtri et la douloureuse boîterie, tous ces stigmates d’une périlleuse vie de torero du monton, ''El rey del temple'' comme on l’appelait dans sa province au temps de sa splendeur, toréait a gusto. Planté devant son toro, sous une fine et insistante pluie, il s’y accordait sereinement et prenait enfin du plaisir. Il en prenait, et plus important encore, il entendait ce murmure émaner de gradins stoïques sous l’averse, qui lui indiquait qu’il en donnait.
Comment les spectateurs n’ayant pas connu les affres de son parcours se seraient-ils doutés de l’émotion vécue de cette sortie du désert ? Mais moi, bien à l’affût au travers du puissant et impudique téléobjectif, je vis très distinctement que la délivrance était belle. Il vivait enfin les mirages qui lui étaient si souvent apparus. Même la sciure se souvient d'avoir absorbé les grosses larmes chaudes d’une grande carcasse d’homme qui toréait secoué de sanglots sous la pluie. José Luis Bote ruisselant de l’eau bienfaisante de l’oasis de la réussite, touchait au but, se régalait soudain de dattes gorgées de soleil, frémissait d’aise à l’ombre des palmiers qui s’inclinaient pour le saluer dans la brise fraîche, recevait la caresse de femmes hospitalières aux yeux de velours, José Luis Bote parvenait à nouveau à toréer et, l’auriez vous cru, il en pleurait.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

J'étais totalement trempé en barrera avec 20cms d'eau sur les pieds. Mais je suis resté jusqu'au bout car Jose Luis Bote nous communiquait son plaisir de toréer comme un extra terrestre.

Anonyme a dit…

L’émotion vous égare, c’est après la faena du Bote que la sciure fut répandue sur la piste.

Marc Delon a dit…

c'est pour ça que je n'ai pas mentionné le taux d'hygrométrie imaginaire qu'il devait y avoir car je pense qu'un aficionado l'aura noté précisément, lui...

l'écriture est libre et s'arrange parfois (quand ça l'arrange notament...) avec la réalité, ou la déforme inconsciemment dans l'amalgame aléatoire de ma mémoire pour un ressenti mis en exergue cher ami.
Un exemple : que la sciure ai jonché le sol avant ou après importe peu au lecteur je crois, par contre qu'elle absorbe ses larmes sert ma phrase, et l'impression générale, mmm ?

Ludovic Pautier a dit…

pourquoi t'échiner à expliquer que le romanesque, la fiction est bien plus fortement réel que la réalité.
bote pedazo de toreria.
et d'homme.
ce type est un peu une pierre de touche.
et le texte le met en exergue avec émotion.
bien.

ludo

Anonyme a dit…

C'est plus compliqué... L'émotion générale venait du fait que Bote toréait dans une piscine et sous la pluie, les pieds enfoncés dans l'eau... Evidemment que la sciure ne fut répendue qu'après.
La présence de l'eau, des mares ajoutaient au tragique et à l'émotion.
Et ensuite le soleil qui perce, pour la vuelta et sciure qui débarqe littéralement, sous l'ovation.
Effectivement un aficionado ne peut pas oublier cela.
Le reste n'est que perversion des faits et de l'à peu près...

Marc Delon a dit…

Pour des comptes rendus précis lisez "TOROS", merci

Anonyme a dit…

Cher Marc,

Merci d'abord pour la reconnaissance de précison de "TOROS"...
Mais après, combien Ludo a raison bien sûr sur la recréation (seule vraie création?) à laquelle procède le "romanesque"!... Vois-tu, je n'ai pas vu cette corrida "en vrai" - et ignorais même qu'elle eut lieu; mais, te lisant, j'ai senti une émotion monter en moi - de tes seuls mots qui disaient combien Bote a "réellement" pleuré...

(quoi, le sable!... mais on s'en fout du sable!)

Merci - Bernard