vendredi 11 septembre 2009

De la Nouvelle



Il est chiant Antoine Martin comme mec... Non seulement il arbore toujours ce petit sourire satisfait et moustachu de vainqueur du prix Hemingway - ce Grâal littéraire de tout plumitif taurinant - mais en plus il vous empêche de présenter la nouvelle que vous destiniez à l'édition future. Eh oui, il est illusoire de penser que le thème du temps qui passe puisse être récompensé une deuxième fois. Voici donc plus bas ce que ce thème m'avait inspiré. La photographie est de Roland Cros et illustre la couverture du livre "Tous Toreros" de Simon Casas. Au fait, le dimanche 20 septembre à 14h, tout le monde est invité à une garden-party "Ricard-Brandade" à l'Impérator nimois pour une lecture tandis qu'Eddie Pons se laissera aller à une encierro crayonnante. Vu qu'à Nimes on vient de recevoir l'impôt foncier et que la taxe d'habitation ne va pas tarder, un pastaga à l'oeil et une tartine de brandade à la bouche, c'est toujours ça de gagné sur la trésorerie...
JEUNE PREMIER





Manolo s’entraînait dur. Ses journées commençaient à l’aube. Avec le jour, se levait sa détermination à être meilleur apprenti torero que la veille. Dans la moire de son chocolat brûlant se distinguaient déjà d’inquiétantes formes sombres surmontées d’armures fugaces, mouvantes et distordues dans le tourbillon généré par la cuillère, des sabres d’une envergure propre à briser la circonférence du sempiternel bol ébréché à carreaux vert et blanc que la tante Incarnation servait à son petit champion à six heures trente sept, d’une gestuelle obséquieuse qui trahissait sa dévotion pour le statut du neveu. Pour Manolo, tout cercle était ruedo et ce bol la première arène de la journée. Il y plantait ses churros plus qu’il ne les trempait, avec la même détermination qu’une épée sur un garrot. La fumerole de vapeur qui s’échappait figurait la colère des brutes. C’est bien simple, Manolo était habité par la mystique taurine. Il ne vivait plus que pour toréer. Toutes ses pensées, tout ses gestes, tout son être, s’étaient réduits à cette idée devenue plus nécessaire que l’air à respirer. Quand il enfilait ses chaussettes, il pensait à l’emplacement de ses pieds accueillant les charges des furieux bestiaux, quand il mettait ses chaussures, il pensait qu’elles s’arrimeraient dans le sable, tenant le sitio au mépris des cornes chercheuses.

Toujours impeccablement vêtu, il arrivait le premier dans le redondel de Carmona où José Antonio dispensait la bonne parole aux apôtres du toreo profond. Une dizaine d’élèves y communiaient en reproduisant inlassablement la gestuelle quasi-liturgique qui enroulerait les grands taureaux à la hanche, les filles autour du cou et les zéros sur le compte bancaire. C’était curieux comme ils se ressemblaient.
Tous affichaient cet air grave, repliés en eux-mêmes, ego et reins cambrés, main basse et œil fixe. Manolo s’échauffait consciencieusement. Il commençait par couvrir de nombreux tours de piste, trottinant au soleil jusqu’à ce que de son scalp dégouline la sueur. S’ensuivait une séance méthodique d’étirements musculaire rythmés sur la respiration durant laquelle il combattait déjà l’envie de s’ouvrir de cape sous l’amicale pression de ses camarades :

- Allez, c’est bon, Manolo, viens… tu es chaud maintenant… allez !

Mais Manolo s’obligeait à une discipline de fer car il savait toute la rigueur exigée pour arriver à des fins aussi improbable que tuer un taureau avec un chiffon et une épée. Jamais ses professeurs ne lui avaient signifié qu’il était prêt, qu’il pouvait se lancer dans le grand bain du combat, jamais le téléphone n’avait sonné pour le demander à un quelconque cartel de village misérable. Pourquoi aurait-on sollicité un élève ? Manolo pourtant, travaillait toujours d’arrache-pied afin que son vœu se réalise.

Il rudoyait sa frêle personne autant pour officier lui-même que lorsqu’il s’agissait de pousser leur taureau, cette brouette rouillée surmontée de cornes poreuses et blanchâtres, pour un autre. Ses camarades admiraient cette abnégation : il ne se déconcentrait pas comme eux, qui délaissaient périodiquement l’entraînement pour fumer une Ducados à l’ombre de la talenquère ou siroter une Cruz campo dans la cour des chevaux en se gargarisant des apparitions affolantes des filles du village.

Dans ces moments-là, l’arène lui appartenait, il se plaçait au centre exact du rond et, pétri de passion, possédé par l’esprit du combat, conscient de toréer avec art, il imaginait si bien le taureau qu’il entendait son souffle, surveillait ses poignards, en esquivait les coups, conduisait les retours revanchards avec autorité, s’en délivrant parfois d’une génialité improvisée qui déclenchait des murmures entendus. Car, sur les gradins, la foule des grands rendez-vous s’était pressée et dans la contre-piste, tout ce que la profession comptait de personnalités incontournables pour bâtir une carrière se berçait de bonheur au balancement harmonieux d’une muleta se jouant crânement d’un retors de cinq herbes. Le téléphone de son agent sonnait continuellement proposant des dates à son protégé dans toutes les arènes que comptait l’Espagne…

- Manolo ! Tu as pensé à plier les bâches la dernière fois ?

José Antonio interrompit brusquement le songe où flottait son ambition… Manolo mit quelques secondes à redescendre du nuage de sa rêverie. Il se contenta d’opiner de la tête. Le reste de la troupe revint sur le sable de la piste et cette joyeuse bande d’enfants rendit instantanément ses couleurs à la petite arène revenue réceptacle des fentes avant, des ceintures ployées, des poignets étirés, et des assauts sur des garrots de bois. José Antonio promenait son œil expert de mentor sur chacun et venait parfois d’une phrase, résoudre une impasse.

Les journées s’écoulaient ainsi dans la lumière pure de l’Andalousie profonde. Les surfaces blanches des gradins et l’ocre du sable de l’arène se reflétaient dans les yeux brillants d’espoir de tous ces gamins qui s’astreignaient sans relâche à l’exercice quotidien jusqu’à endolorir les poignets. Depuis des décennies que l’école tauromachique de Carmona existait, on en avait vu passer des prétendants… certains avaient même pu honorer le village en devenant toreros, jusqu’à l’enfant chéri, Miguelito, pour qui la grande porte de Las Ventas s’était ouverte.

Pour Manolo, cela avait toujours été différent. Manolo était unique : sans taureau, personne n’atteignait sa profondeur. Fait absolument unique dans l’histoire du toreo, il s’était même créé un public pour le voir réciter de salon. Oh, un petit groupe certes, mais assidu et qui venait jauger jour après jour, par hochements de tête entendus, l’espoir qu’ils avaient mis dans l’art et la maîtrise de ce futur torero. Parfois, il composait si bien la figure, avançait si bien la jambe, ployait si souplement la ceinture et courait si bien la main, que des larmes mouillaient ses joues. Il se savait ‘’a gusto’’, sentait le toreo prendre toute sa dimension. Et alors sourdait des vieilles gorges ridées de ces quelques aficionados pourtant blasés, ce grommellement d’entrailles repues où couvent les olés des plus intimes satisfactions.

Ne serait-ce que pour des moments pareils, demain, il reviendrait. Toute l’Espagne taurine saurait qu’il s’entraînait toujours, prêt à l’éventualité de signer son premier contrat. Il se risquerait même parfois à guider les autres, car de l’école tauromachique de Carmona, la véritable figure emblématique, finalement, c’était lui.

Demain, comme chaque année, ses petits compagnons lui fêteraient son anniversaire. Demain, ça vaudrait alors vraiment le coup de se saouler. Oui, ça vaudrait sacrément le coup de chasser de veines aussi saillantes et tortueuses que le rio Guarrama, le sang que les taureaux ne faisaient pas couler et de l’infuser d’alcool.

Tout le monde avait participé, cotisant selon ses moyens pour lui offrir cette muleta d’occasion, une première main, qui trônait, rutilante, dans cette vitrine de la calle Sierpes de Séville templant déjà son allure de promeneur. C’est vrai qu’elle était belle, pas fanée et rapiécée comme la sienne qui avait traversé les époques et vu triompher Manolete, El Cordobes et Enrique Ponce.

José-Antonio porterait des bouteilles de manzanilla.
Soixante huit ans… ça s’arrose, non ?

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui mais toi tu as les lectrices acquises à ta cause...

Sinon: Tous affichaient cet air grave, repliés en eux-mêmes, ego et reins cambrés, main basse et œil fixe.
T'as oublié le menton prognathe...

isa du moun

Anonyme a dit…

Moi ,j'aurais plutôt pensé que c'était une nouvelle sur l'espoir et le rêve que rien ne peut éteindre,même pas le temps qui passe...Mais bon, chacun comprend ce qu'il veut ou ce qu'il peut...Ne te vexe pas ,mais je trouve que les phrases sont un peu longues et avec des adverbes qui les alourdissent.Je ne suis pas du genre à faire des compliments dégoulinants de gentillesse hypocrite.
A part ça, je trouve que tu te fais trop rare ces temps-ci sur ton blog...
isa

Marc Delon a dit…

Bon, je me sens moins seul : à toutes les trois nous arriverons bien à le gagner un jour ce prix...

Anonyme a dit…

"à toute les trois"....
F Bruschet le dit que tu as un coté féminin très prononcé...
D'ailleurs j'ai cru comprendre qu'il t'accusait d'avoir tous les défauts féminins et toutes les qualités des hommes...
isa du moun

Marc Delon a dit…

Ouiiiii.... puisque je suis votre copine...
Bruschet ? Ce misogyne ? Pffff... Depuis qu'il essaye de me rouler une pelle celui-là ! Mais je tiens bon... ;-)

Anonyme a dit…

Puisque le blog semble avoir pris son essor, - enfin !- et que je n’arrive plus à suivre, peut-être vais-je y aller de mon grain de sable ( je viens de quitter la plage).
Cette nouvelle, pleine d’humour avec sa chute comme souvent inattendue, pour moi, elle est confiance dans la vie, oubli de la fulgurance du temps puisqu’on est toujours à apprendre quelque chose, que les désirs et les intérêts sont intarissables tant que la machine corporelle fonctionne.
Que veut dire « efféminé » ? Serait-ce avoir de la sensibilité ?

Pourquoi cette nouvelle invention Marc, supprimer les commentaires avant que le mois soit fini?

gina