samedi 27 juin 2009

LE REPAS



Le jour n’était pas encore levé. Marcel ouvrait la voie, gravissant le serre d’un pas sûr, écrasant les herbes aromatiques de la draille qui menait au sommet. Je suivais, le nez dans les effluves de thym, de sauge et de romarin, exhalés par sa progression. Mon souffle était court, le fusil lourd. La bretelle de cuir sciait mon épaule. J’avais quinze ans, c’était ma première passée aux grives. Il m’avait réveillé par un énigmatique ''ne bois qu’un café, si nous sommes adroits nous mangerons là-haut''. Mes pas roulaient des cailloux, butaient contre des racines, bruyants et maladroits. Lui, avançait agile et silencieux, survolant le dénivelé. Sur la crête, une boule incandescente embrasa l’horizon mauve des collines varoises. Le vent se leva, balançant mollement les têtes des grands pins, saluant notre arrivée. Mille questions affleuraient, mais essoufflé par l’effort, soufflé par tant de beauté, j’investis le poste désigné par son index impérieux. Deux heures plus tard, un feu de bois odorant crépitait entre les pierres tandis que nous plumions les grives tuées. Marcel y jeta des baies de genièvre puis cueillit une herbe qu’il nomma ''pèbre d’ail'' dont il enveloppa amoureusement les petits oiseaux. Ses gestes étaient précis et respectueux. Il les mit à cuire à braise morte. Leur délicat fumet emplit aussitôt nos narines de délectables promesses. Leur chair goûteuse et parfumée, raffinée et sauvage à la fois, condensait toute l’authenticité du terroir qui les avait nourris, ravissant mes papilles trop jeunes et inexpérimentées pour réaliser qu’elles dégustaient peut-être là, le meilleur repas de leur vie. Un goût émouvant et vrai : celui du bonheur de l’amitié à la table grandiose de la nature. Au dessus de nos têtes, passaient quelques retardataires dont on devinait le vol furtif, les yeux mi-clos, la tête renversée dans le soleil, repus.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

A chaque fois que des Provençaux essayent à parler de chasse, on ne peut s'empêcher de penser à Pagnol...
Il est des comparaisons moins flatteuses. Bises.
isa du moun

ludo a dit…

si c'est de toi, je dirais que tu te pagnolises à merveille.ce sentiment du vif de l'instant qui perdure dans une mémoire et le laisse au pinacle de toute une vie où on quête pour s'en approcher à nouveau , ne serait-ce qu'une fois, ne serait-ce que de loin, n'est-ce pas ce qui "fait" l'homme. la plus extraordinaire media de rafael n'est-elle pas celle qu'on a vue la première fois de tous nos yeux d'aficionado balbutiant ? tu passe ensuite ta vie à retrouver ce plissé si gitan, cette pathétique façon de poser les pieds sur le sable, ce menton oublié, cette poitrine juste sortie comme un oiseau du nid.
abrazo, tio marco.

ludo

Anonyme a dit…

"Repus" comme le bébé bien allaité et gavé d'amitié. Vous avez bien fait d'en profiter. Aujourd'hui, il y aurait pléthore de panneaux d'interdiction et de conseils sur les méfaits des feux de bois.
Cela nous vaut ub beau texte et une photo bien provençale. Merci

Marc Delon a dit…

Très bien vu Ludo, comme d'habitude ; quelle chance a ta femme d'avoir un homme de si grande sensibilité !

Merci les amis. C'est la lecture de la trilogie de Pagnol qui me donna l'envie de chasser et Marcel de Brignole, le meilleur ami de mon père qui me le fit vivre...