dimanche 25 juillet 2010

Little Big Girl




J’ai des souvenirs précis des jouets préférés de l’enfant que j’étais. J’ai tué un nombre incalculable de passants dans la rue de la Cité-Foulc avec le pistolet de Joss Randall alias Steve Mac Queen, ce modèle au canon long dont le holster s’attachait élégamment au genou : quel petit d’homme ne rêvait pas d’un phallus si long et si puissant qu’il doive le rabattre et l’attacher en poutre composite le long de sa cuisse ? J’ai joué souvent aux cow-boys et aux Indiens avec mes figurines plastique. Les Indiens dérouillaient toujours plus, influencé que j’étais par le statut de héros d’un John Wayne manichéen et omniprésent à l’époque, jusqu’à la gifle reçue par ''Little Big Man'' avec un Dustin Hoffman émouvant nous faisant partager ses amours indiennes sous la peau de l’ours et puis la révélatrice horreur du massacre final, dans tous ses détails, au ralenti, et en musique s’il vous plait. J’étais captivé par les reportages télévisés sur les trappeurs canadiens et américains, par les lectures de Jack London, ses aventuriers du grand Nord, leurs chiens, leurs luttes, leurs vies dans la forêt dans les cabanes de fustes où brûlait un vieux poêle rouillé qui réchauffait du café noir dans une timbale de fer cabossée, soutenue par la grosse main calleuse d’un type buriné dont la seule présence taiseuse indiquait quel surhomme il était pour surmonter les effroyables conditions de vie. L’aventure était là-bas, d’un exotisme total. Alors, je le construisais mon chalet en rondins de bois, inlassablement, grâce au jeu de construction ''JeuJura'' offert par ma marraine suisse, dans ma chambre, avec pour seul exotisme la fertilité de mon imagination. Combien de fois l’ai-je monté ce chalet de trappeur, au milieu des sapins, dans la neige, au bord d’un lac, près d’un billot et d’une hache où je débitais les bûches pour le vieux poêle noir, à la lisière d’une forêt sombre où grognaient les grizzlys, où hurlaient les loups dont j’allais réguler les audaces avec ma Winchester 30-30. Combien de fois l’ai-je entraperçue dans les bois environnants, la belle Indienne de mes fantasmes, ma belle squaw au regard farouche et doux à la fois, qui s’enfuyait lentement en me regardant, montant son Appaloosa à cru, l’enserrant de ses cuisses brunes pour le guider avec douceur et fermeté ? Combien de fois ai-je vu son œil de biche luire du désir de se donner à moi dans la lumière du feu de bois de ma cabane en rondins, ilôt de chaleur et de bonheur au mitan du grand silence blanc ?
Alors, avec mes bûchettes, fabrication française garantie, je l’ai bâti et rebâti, maintes fois, je m’en souviens comme si j’avais arrêté hier. Alors quand je l’ai vu, celui-là, tout seul au milieu de sa petite forêt, oh certes pas dans le Montana, on a les aventures qu’on peut, mais là, tout près, en Lozère, je l’ai reconnu. J’y suis allé comme guidé par l’instinct d'un ''Nez-Percé''. Non loin de là, un type est sorti d’un chalet beaucoup moins rustique, bien plus cossu, un de ceux qui n’ont rien à voir avec les fustes de trappeurs.

- Bonjour monsieur, je me suis permis d’entrer… je voulais vous demander si ce chalet n’était pas à louer par hasard… ?

- Non, pas vraiment…

- Maman il est trop beau, on peut y aller ?

A dit ma fille à cet instant et la flamme dure dans le regard du type a vacillé. S’en est suivi une aimable discussion sur tout et surtout sur rien, durant laquelle le type nous jaugeait, apprenait de ''quel style on était''. Une de ces familles de Marseillais mal élevés qui viennent remplir des camionnettes de cèpes en renversant tout sur leur passage ou de gentils bobos bien écolos comme il faut, non chasseurs, non fumeurs, qui trient consciencieusement leurs déchets et ont horreur des activités sanguinolentes comme la corrida ? Mais pendant que tout cela se jugeait, Louise, elle, avait déjà investi les lieux et nous attendait allongée sur la terrasse du chalet.

- Viens, papa, on est trop bien, ici…

Nez-percé peut-être pas mais nez creux, oui... Le type ne pouvait décemment plus passer pour un salaud devant tant d’enthousiasme ingénu… merci Loulou… Evidemment, j’aurais préféré manier la hache et la tronçonneuse, perdu au milieu du grand silence blanc, sur un terrain m’appartenant… mais il y avait un centre équestre tout près et quand j’ai vu au travers des mélèzes, le premier galop de ma fille sur ''Tomahawk'' son bel Appaloosa, je me suis dit qu’il n’y avait que cette petite femme-là qui dans un autre registre pouvait me donner autant d’émotion que la squaw aux cuisses brunes et fuselées de mon adolescence et que, pour ce rêve-là, j’étais peut-être arrivé.












4 commentaires:

Maja Lola a dit…

Alors, Marc, on passe du puro au calumet . Du cheval de picador à l'Appaloosa et du torero au rude trappeur ?
Tous les lieux et situations sont dans l'idéal de l'imaginaire ...
En tout cas la lozère t'inspire, heureux géniteur d'une petite Louise qui sait ce qu'elle veut et qui, avec fraîcheur et naturel, bouscule tous les a prioris, jugements et suspicions. "Tomahwak" n'a qu'à bien se tenir : sa cavalière sait où elle va !
Quant à tes souvenirs ... AAAAAh ... Steeve Mac Queen et son regard d'acier qui me faisait fondre. Pas de fantasme sur la longueur du canon de son holster mais comme j'aurais aimé me lover dans ses bras (allez ! oui ! un peu gnangnan quand on est petite fille) en rêvant d'un baiser façon "Affaire Thomas Crown" (plus tard, ado)
Même si je dois avouer que la vision de quelques indiens belliqueux sautant à cru sur un cheval éveillaient des frissons ... euh ... un peu plus bas dans le dos ... là !
Holà ! Chaud l'été comme dirait Gina.

Anonyme a dit…

Joli le petit chalet canadien ; mais ce n'est pas la Lozère avec ses grosses pierres de granit et ses toits de lauze que colorent en orange les lichens,avec le parfum des confitures et l'odeur des bouses de vaches, le bruit des sonnailles, le caquètement des poules, les aboiements de chiens et le sable des chemins.

Et si vous voulez retrouver Jack London et Fenimore Cooper, venez chez eux. Loin de New York et des gratte-ciel, il y a des petites routes avec des fermes en bois, isolées dans d'immenses forêts peuplées de cerfs, d' ours noirs, de wapitis et de plein de bestioles bien conservées. Ce ne sont que lacs et rivières.
Gina

Marc Delon a dit…

Meuh Lola m'enfin... elle a toujours seize ans lola, ça se sent.. quelle chance il a monsieur "Maja Lola"...

"mais ce n'est pas la Lozère avec ses grosses pierres de granit et ses toits de lauze"

Justement, ce n'est pas la Lozère triste, du granit et du radium, qui file le "ratabomi"... c'est l'autre, qui évite d'aller chez les exterminateurs d'Indiens !

Anonyme a dit…

P'tain y'a des fois que j'aimerais être un appaloosa, moi...