jeudi 9 juin 2011

Dieu, le Diable, Toi









Psychologie d’un finaliste à la veille de la délibération.


C’est la première chose sur laquelle je suis tombé en arrivant à l’arène. Il était là qui m’attendait, coincé entre deux barreaux du palais de justice, comme attendant un verdict imminent d’un éminent jury. Quelqu’un l’avait-il abandonné là pour moi à dessein ? Il n’y avait pas de distributeurs alentour, ni aux entrées de l’arène… Sensibilisé à son graphisme, je l’ai reconnu tout de suite et empoigné. C'était le journal du prix Hemingway.


Dès que je l’ai ouvert, j’ai frémi. Y’a du lourd, du très lourd cette année… du talentueux pluri-disciplinaire comme de la pointure mono-spécialisée… Mon petit espoir perso s’est rudement (un terme souvent utilisé par Hemingway…) ratatiné ! Rétréci, déshydraté, lyophilisé même… faut le faire, pour un prix au patronyme mondialement reconnu pour écluser divers liquides.

Eh oui car il faut te le dire lecteur, un finaliste du prix Hemingway, c’est un grand malade, un enflammé chronique avec des pics nocturnes d’insomnie douloureuse, qui entend très distinctement cette petite voix intérieure susurrant, perfide et réaliste, qu’il ne gagnera pas, qu’il ne peut pas gagner mais chez qui la fébrilité s’est tellement installée qu’elle est devenue résistante aux traitements, de cheval caparaçonné y compris. Et, il lui est impossible de n’éprouver aucun espoir, de... finalement, contre toute attente, quand même, au bout du compte, délire psychiatrique assumé, l’emporter. Un peu comme si, à son esprit défendant, il était devenu con. Car, voyez-vous messieurs-dames, si le finaliste du prix Hemingway peut avoir un côté '' Grantécrivain'' soit un côté ''grand con'', s’il peut comme tout un chacun être pris pour un con, con il n’est point. Non. Car bien toréer ou bien écrire lorsqu’on est con, n’est pas possible. Et inutile d’insister, je ne citerai pas l’exception qui confirme la règle.


Bien sûr, il peut être hyper jaloux, cabotin maladif, obsédé compulsif, et aussi tout ce que vous voudrez, mais complètement con, non. Du moins j’en défends le postulat. Ce qui est peut-être la preuve que je suis con. Et si c’était moi, l’exception ? En tout cas, il est remarquable de constater que tout le monde est à peu près content de l’intelligence qui est la sienne. Et si c’était ça, la véritable preuve de l’existence de Dieu ?


Mais l’espoir ? Comment décrire cet avatar pathologique de la pensée. D’autant que la présidente du jury t’as prévenu : un spécialiste , voilà ce que tu es … et le spécialiste des toros, du fait même de cette caractéristique, souffre d’un handicap majeur. Il devra d’abord ôter ce costume, l’essence de son être, pour ainsi dire, et arriver à l’originalité sinon ben tiens, y’a qu’à demander à ''ChaCha'' (Chavanieu doyen truculent des aficionados nimois) de raconter une bonne vieille anecdote taurine vécue dans les temps anciens où ils n’étaient que les doigts d’une main à parcourir l’Espagne franquiste juste ouverte.

C’est Luis Bolivar qui m’a donné la solution au moment où la corne devenait l’axe de son corps centrifugé. Au moment où le Colombien sniffait par la bite son rail de cornadas. Il en est ainsi du candidat au prix Hemingway : c’est par les couilles que te suspend la décision du jury dans l’attente de son verdict. Et crois-moi lecteur, quand tu es là-haut, suspendu au diamant de la corne, chacune de ces secondes qui te séparent du réattérissage sur le plancher des vaches, est une putain d’éternité.

Du fait de la possession de ce journal, une corrida moyenne devient quasi pénible à regarder et profitant du boudin millénaire ceinturant le ruedo ou un ami t’a invité, tu l’y déplie et le dévore. Première mauvaise nouvelle, tu ne tardes pas à constater tout le talent dont suintent à grosses gouttes, tes concurrents : des bêtes je te dis, gladiateur de pacotille ! Ouais, parce que t’es devenu si névrosé que tu te parles à toi-même, t'sais. Des bêtes, des bestiaux, des bestiasses, sur qui tous les dons du ciel se sont abattus drus, pire que les actrices américaines en carence de virilité, sur un Luis Miguel Dominguin en mission humanitaire bénévole de don de sperme.
Untel a remporté la bagatelle de cent prix littéraires dont trente-deux au premier rang ! Un autre écrit dans une gazette assez connue, attendez que je me souvienne… ah oui… Le Monde… une autre est artistiquement mondialement reconnue dans diverses disciplines, te renvoyant toi qui te croyais sympathiquement doté pour surnager de l’ennui que ce monde t’inspire, dans les affres souterrains des égouts de la médiocrité où tu retournes penaud, te complaire, enfin, où tu vas feindre de te complaire, pour te plaire, con, car tu y es condamné… bref, toute une escouade d’écrivains au sein desquels la palanquée d’agrégés de lettres fait figure de gentils scolaires sans génie…

Et là, d’un coup, par contrepoint immanquable, dans la logique implacable de l’autre bout de la lorgnette, tu réalises soudain : si Dieu existe pour avoir doté si richement tous tes concurrents, mais quel énorme cadeau te ferait le Diable de te consacrer en dribblant tout ce beau monde ! C’est pour ça qu’il n’y a que deux issues, candidat : devenir fou ou se résigner à ce que cela jamais ne t’arrive.

Ton entourage condescendant et inquiet pour ta santé, s'en est d'ailleurs déjà entretenu avec toi :

- Mais Marc, tu te rends compte ? C’est formidable d’être finaliste… !!! Tu as vu le plateau , les pointures ? Et chaque année tu t’y glisses ! Le reste, la victoire, c’est tellement aléatoire… il suffit qu’une des nouvelles soit défendue par une plus grande gueule que les autres ou de plus de poids… mais ça, ça n’a pas d’importance… ! Tu aurais très bien pu gagner, tu étais encore en posture de l’être !!!

Tu sais quoi, ''entourage'' ?

Je t’emmerde.

4 commentaires:

el Chulo a dit…

ah, ben voilà; je t'ai reconnu!

enhorabuena!

tu ne peux pas ne pas gagner!

Anonyme a dit…

Grandiose, en tout cas, cet article !

jl69 a dit…

Bonjour Marc DELON !
Nimoîs déraciné par les impérarifs alimentaires de la vie, je suis très régulièrement (en fait tous les jours si je peux) votre blog. Et quelle thérapie contre la morosité !
J'angoisse que vous ne gagniez le prix car ce serait inéluctablement la fin des délires délicieux du monsieur !
Suerte tout de même !

Marc Delon a dit…

C'est ce que me disait un copain hier soir :

- T'as pas compris que même si par extraordinaire, une année, tu étais le meilleur, ils ne te le donneront pas, tu leur fais un tel Buzz sur la toile en courant après...

ce serait machiavélique comme diable ! Merci d'avoir dit bonjour.