mercredi 15 avril 2009

POURQUOI ALLEZ-VOUS VOIR LES CORRIDAS ?




RESENA

A.LAVAUD

Et c’est alors qu’apparut El Juli, le petit prince, avec son visage joufflu d’angelot de Lucca della Robbia, sa fragilité adolescente bridée dans le costume de soie rose. Quelques heures plus tard, il me serait impossible de relater le détail de ses deux faenas. Quel intérêt au demeurant ? Nous étions ravis, exultant, dressés pour applaudir ce que je désespérais de ré-applaudir un jour.
Deux faenas. De vraies faenas. Intelligentes et intuitives. Adaptées, l’une et l’autre, au comportement de son adversaire. La première fut récompensée d’une oreille après un pinchazo dans les règles et une entière dans tout le haut. Et la seconde !… De ces choses aériennes à la cape que le vieux revistero a oublié de cataloguer, par devant en véroniques et chicuelinas serrées, par devant mais le capote dans le dos en gaoneras, saltilleras, tout un magnificat de passes pimpantes aux noms exotiques. Aux banderilles, trois paires énormes, athlétiques, millimétrées, au cuarteo, au sesgo de afuera a adentro et de poder a poder. Et à la muleta, l’un des combats les plus inspirés, les plus inventifs, les plus improvisés et les mieux adaptés qu’il soit possible de concevoir : passes militaires hiératiques, aidées hautes sans améliorer le terrain et mouvoir les escarpins d’un pouce, trincheras méprisantes en gagnant vers les medios, firmas et changements par devant ou par le dos, quelques derechazos et naturelles admirablement circonférenciés la main basse, rythmés, templés, souverains, suivis de pechos au cours desquels le toro mettait… des siècles à défiler le long de la poitrine. Tout cela avec une aisance, une maîtrise confondantes.
A qui ai-je pensé pendant la création de cette œuvre éphémère d’anthologie ?
A Mozart, bien sûr, mais la comparaison est trop banale, devenue triviale même. A Jean-François Champollion qui apprenait à lire, seul, à cinq ans, dans le livre de messe de sa mère et qui à douze ans, traduisait en vers tout Thucydide.
A Aymerillot qui prenait Narbonne. A Evgueny Kissin qui, dès deux ans, reproduisait au piano les mélodies qu’il entendait. A David, jeune roi d’Israël… Plus près de notre propos, à l’enfant sage de Camas, à Paco Camino qui subjuguait par sa précocité Luis Miguel Dominguin lui-même. Juli attendait la charge d’Ostero avec la témérité inconsciente de l’adolescent généreux : il se faisait prendre avec violence, projeter en l’air, précipité au sol, fouler et bousculer avant que les auxiliaires n’arrivent au quite, se relevait saignant, blessé, maculé, étourdi, reprenait les trastos et tuait d’un estoconazo jusqu’aux doigts, fulgurant, qui roulait l’animal tandis que le torero était emporté pantelant, désarticulé, vers l’infirmerie où l’attendait déjà le docteur Ramon Vila.
Les deux vantaux de la porte du prince, celle de la gloire, au-dessous de la loge royale, occupée, comme les jours précédents, par la Comtesse de Barcelone, la mère du souverain, à laquelle Juli avait offert la mort de son premier adversaire, aurait pu s’ouvrir et la silhouette de ce petit titan aurait été balancée par la marée humaine au-delà du fleuve.
Mais c’est la porte du sang qui s'est ouverte ce soir pour laisser s’engouffrer une tornade de jeunesse, de courage, de loyauté qui laisseront un impérissable souvenir de tragédie, d’émotion, et de beauté.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Cette page est vraiment touchante de sincérité. Les connaissances techniques laissent intacte l'émotion.
Gina

Anonyme a dit…

Bonjour, je viens de parcourir ton blog, qui est d'une grande sensibilité et sincérité. Je fais aussi de la photos en amateur, elles sont visible sur mon site http://photomig93.0rg.fr
Actuellement c'est la dernière féria d'Arles qui en "vedette"

Marc Delon a dit…

"Mig" ton commentaire me va droit au coeur ! Si je réussissais ça, sensibilité et sincérité, je veux dire si beaucoup reconnaissaient ces caractéristiques en lisant mon petit blo-blog j'aurais atteint mon but.

Suis passé chez toi, presque tout vu (j'avais pensé à cariboost aussi avant d'opter pour un blog...) j'ai aimé la section "créative" et les filles au rugby notament...de beaux duels, une belle abnégation ! J'ai aimé, non pas que j'y ai vu mon idéal féminin (quoique, le soir elles doivent présenter un tout autre visage les costaudes...mais bon une scène de ménage serait trop risquée ! )
et intéréssé de voir des images de corrida où je n'étais pas : le castano de Castella qui a sauvé la course de l'ennui je crois...
Bonne continuation, salut.