samedi 23 juillet 2011

Génial Vidal


Au cours de mon parcours en aficion, j'ai souvent été confronté à la frustration de n'avoir pas étudié l'espagnol ce qui me laissa maintes fois sur le bord de la route des toros bravos. Je l'ai cruellement ressenti quand on me parlait de ce revistero dont les resenas étaient aussi attendues que les courses elles-mêmes. Mieux, comme nous l'apprend François Bruschet dans sa préface, certains de ses lecteurs assidus étaient indifférents à la tauromachie. Je crains qu'il ne soit plus envisageable de nos jours de trouver un journal assez courageux pour laisser s'exprimer une telle plume. Nous ne sommes malheureusement plus à une époque ou l'inimitié qui lui était voué par le mundillo dont il ne voulait pas s'approcher, signait la garantie de son indépendance forcenée. Aujourd'hui, grâce à la parution de ce petit livre "Chroniques Taurines" chez les fondeurs de briques, il est possible d'accéder à cette lumière qui ne se limite pas comme chez les autres, à la connaissance des toros mais déborde jusqu'à une grande intelligence de la vie. C'est pour illustrer cette qualité que j'ai choisi cet exemple d'une resena sans haine ni concessions, lucide, qui a dû en heurter plus d'un à sa sortie. Si l'on rajoute le fait qu'il téléphonait ses resenas au sortir de la course dans l'enceinte même de l'arène, on en dit un peu plus long sur son talent. A tous ceux qui ne comprennent pas ce que les blogs non alignés sur le commerce des corridas tentent de leur apporter, je ne saurais trop leur conseiller l'achat de ce petit livre redoutablement efficace pour parfaire leur aficion pour peu qu'ils la rêvent "de verdad".

Jandilla/Joselito, Jesulin, Barrera Taureaux de jandilla sans prestance, preque des novillos, soupçonnés d'avoir été afeités ; 1er, 4 et 6 invalides; 5e de réserve, noble. Joselito : demi-épée basse et ronde des péons (quelques sifflets) un avis avant la mise à mort et une épée basse (oreille). Jesulin de Ubrique : bajonazo effronté et ronde des peons (quelques sifflets) ; estocade courte effrontément basse, ronde des peons et descabello ( oreille). Vicente Barrera : pinchazo et demi-épée (silence); pinchazo suivi d'une voltereta - premier avis - estocade en perdant la muleta, descabello - second avis - et le taureau tombe (silence) Plaza de Valencia. 12e corrida de la feria. Complet.
La Torture n'est ni Art ni Culture.
Une fois la piste libérée pour le premier taureau, côté soleil, deux jeunes gens, un garçon et une fille, déplièrent une pancarte qui disait :
"La torture n'est ni art ni culture" Une partie du public les hua quand il la remarqua puis plus rien : le public s'assit pour voir la corrida et les gamins aussi. On crut alors que l'incident était oublié mais les gardes civils firent alors leur apparition côté soleil, arrachèrent violemment la pancarte et expulsèrent sans ménagement ceux qui la portaient. Un mauvais traitement dégradant qui souleva une authentique indignation. C'était une honte d'être aficionado aux taureaux, d'être citoyen et d'être espagnol face à cette brutale attaque à la liberté d'opinion, face à cette arbitraire expulsion de ces gentils jeunes gens qui n'avaient embêté personne, face à cet acte de fascisme inqualifiable. Des gardes civils contre des gamins innocents, qui se contentèrent de saluer sans un geste mauvais et d'arborer une pancarte où l'on disait la vérité : la torture n'est ni art ni culture. Leur affirmation était aussi évidente que le soleil brillait et que nous étions en période de Fallas. Là où se trompaient assurément les deux jeunes, c'était de croire que combattre un taureau consiste à le torturer. Les piques et les banderilles sont des phases qui servent la puissance du bétail, qui cherchent moins à lui infliger un châtiment qu'à la travailler et à calibrer sa bravoure. Il y aurait beaucoup à dire et à débattre au sujet de la nature du combat et de sa légalité. Ce que l'on ne peut faire en aucun cas - sauf abus d'autorité et brutalité manifeste - c'est violenter quiconque est contre et l'expulser sauvagement. Si on les avait laisser voir la corrida, les deux gamins qui protestaient auraient constaté que, effectivement, c'était bien une véritable bêtise. Parce qu'ils sortirent des taureaux minimes, des taureaux de camelote, diminués de force et de cornes, sans défense dans leur rencontre avec le cheval caparaçonné et le sinistre individu au castoreño qui le montait, humiliés ensuite par des toreros qui, au lieu de toréer, leur faisait des minauderies. C'est bien là qu'était le délit. C'est là - et pendant toutes les corridas de la feria - où aurait dû intervenir l'autorité, envoyer la police et emmener au poste les fraudeurs, ceux qui transformèrent le spectacle en escroquerie et la fiesta brava en torture. Mais au lieu de les arrêter, on les encouragea à commettre leurs abus. L'autorité même était complice, et avec elle, les politiques, qui occupent les meilleures places dans les arènes. Il y avait là ceux du parti x et ceux du parti y. Là, ceux qui gouvernent encore et ceux qui peut-être gouverneront. Là, les ministres en fonction et les ministres in pectore, et là, les maires et les mairesses, les députés et les conseillers, silencieux face à la sordide irruption des gardes civils mais divertis par la sinistre mascarade en laquelle les taurins avaient transformés la représentation qu'ils applaudirent. Joselito ne s'étendit pas au premier invalide et il administra une faena longuissime au quatrième, en derechazos et naturelles, courant d'un côté à l'autre de l'arène. Il reçut un avis et coupa une oreille. Maintenant, est-ce cela toréer ? Jesulin ne s'entendit pas avec le deuxième, mais il assena au cinquième, franc, des derechazos et des naturelles de la pointe, y ajouta ensuite un enchaînement de passes hautes, à genoux, de dos - et provoqua l'émeute. Il tua les deux d'un cruel bajonazo, et ça, oui, c'est de la torture ; mais on lui donna pourtant une oreille, on cria au brave, on le couvrit de fleurs et de baisers. Vicente barrera s'obstina à toréer les pieds joints, mauvaise technique étant donné le caractère réservé de ses taureaux qui aurait nécessité d'autres moyens. Et le tout avec des sortes de novillos qui donnaient la sensation d'avoir été afeités et qui furent étripés par le cuirassé qui les piqua acculés aux planches. Telle fut la version atroce et répugnante de la séculaire fiesta brava que nous offrirent éleveurs et toreros, que permit l'autorité et qu'applaudirent les politiques. Et cela n'est effectivement ni art ni culture. C'est de la torture. C'est abject, c'est une escroquerie.
Joaquin Vidal le 19 mars 1996

5 commentaires:

El Jipe a dit…

C'est marrant, à l'heure où je écris que je vous parle, ces Chroniques se reposent près de ma table de nuit, tout à côté de Fantasmatadors. Ce qui m'a toujours marqué chez le señor Vidal, c'est qu'il a réussi à se tenir loin d'un Mundillo dans lequel nous aimerions toutes et tous ici certainement ne mettre que le bout d'un seul orteil d'un seul pied. C'est un peu comme si on vénerait les putes en refusant catégoriquement de mettre les pieds dans un bordel. Comme quoi, l'indépendance est définitivement un choix personnel et raisonné.

Elixirman a dit…

Quel beau raccourci… !
Joaquin Vidal, l’aficionado théoricien des corridas rempli de compassion !
Que c’est beau et noble !
Mais je persiste et je signe, prendre du plaisir pour assister à un tel déchainement de violence où un animal se fait massacrer n’est que flatter les plus vils sentiments humains.
Et ce n’est pas en prenant un court extrait de ses propos que l’on peut établir la vraie personnalité d’un personnage.

Pour démonstration, voici un raccourci épouvantable :
Tout cela est bien entendu vrai sinon cela n’aurait aucun intérêt… !

« Né à Munich le 7 octobre 1900, Il est le deuxième fils d'Anna Maria et de Joseph.
Son père, professeur au lycée de Landshut, est un homme cultivé.
Sa famille est issue d’une famille catholique bavaroise.
C'est un élève modèle.
Petit, peu sportif et myope, il se révèle faible en gymnastique et ses fréquentes absences scolaires dénotent une santé fragile.
De 1911 à 1924, il tient un journal intime, qui trace le portrait d’un jeune homme bien intégré à son milieu et à la société, capable de gentillesse et de générosité : pendant les vacances de Noël, il fait la lecture à un aveugle ; il organise une manifestation de bienfaisance pour les orphelins et regrette les mauvais traitements infligés aux prisonniers français auxquels il a assisté en 1914. »

A lire cette biographie idyllique , voire son journal intime,qui pourrait penser que ce jeune homme allait devenir l’infâme et monstrueux Heinrich Himmler, grand théoricien de la torture envers des êtres humains et fondateur de la SS… !

Marc Delon a dit…

Il faut mettre les pieds dans un bordel, on y apprend quantité de choses sur l'âme humaine. Après, monter ou pas est un choix personnel...

On aimerait tous pénétrer le mundillo ne serait-ce que d'un seul orteil ? C'est bien ce que tu veux dire ? J'ai effectivement connu jusqu'à un revistero réputé intransigeant, prompt à donner des leçons d'indépendance par rapport au mundillo et dont il était évident qu'il le fascinait et qu'il aurait aimé en faire partie...

Perso, je suis trop individualiste, je n'ai jamais aimé les clubs, associations, partis politiques, familles ou regroupements divers d'amateurs, d'opposants ou de militants... je n'ai aucun mal à ne pas tenter d'approcher le mundillo, n'en ai jamais eu le désir. J'ai toujours senti d'instinct que plus j'en saurais, plus cela me désenchanterait sur la tauromachie... Seule frustration parfois, le non accès au callejon, pour la photographie.

Sinon, trop fier de côtoyer Vidal sur ta table de nuit...

Marc Delon a dit…

le plaisir de l'aficionado serait malsain, celui de se repaître de la souffrance du toro, donc... c'est court !

eh oui d'un gentil petit garçon on peut évoluer vers un monstre mais qu'est-ce que cela vient démontrer ici par rapport à l'acuité d'une plume sur son thème de prédilection ?

Pense à ton apodo, concentre-toi, tire le suc, l'élixir, au lieu de te disperser...

Maja Lola a dit…

Que de gentils petits et bien élevés garçons engendrent parfois des monstres ... quelle belle découverte !

Garde ton individualisme par rapport au système Marc. C'est le gage de ta liberté.

J'ai beaucoup aimé le texte de J. Vidal et sa liberté de plume : un homme bien dans ses bottes.
J'ai appris d'ailleurs qu'il avait collaboré à "La Codorniz", journal satyrique à peu près équivalent au "Canard enchaîné", et qui fut publié pendant les années franquistes (ce qui n'était pas chose facile !).
Ceci expliquant cela, "un critique puriste ... qui n'était complice qu'avec son lecteur, personne d'autre ..." (sic)