jeudi 7 juillet 2011

La Valise Mexicaine






RENCONTRES D’ARLES 2011
Film de Trisha Ziff

On attendait la narration des pérégrinations de cette fameuse valise contenant les négatifs de photos prises pendant la guerre civile espagnole par Robert Capa, Gerda Taro et Chim. Un film documentaire sans doute … un déroulé chronologique des errances secrètes de l’objet, un jeu de piste, une mise en lumière des clichés, un catalogue sur écran de la découverte de ces trésors …
Nous étions bien loin d’imaginer que telle la boîte de Pandore, cette valise nous délivrerait des choses bien plus profondes, humaines, cruelles, déchirantes … l’histoire du drame d’un peuple confronté à l’horreur de la guerre.
La réalisatrice, en faisant témoigner des survivants, des réfugiés, leurs descendants, nous livre toute la richesse profondément humaine, dramatique et émouvante de cet épisode de l’histoire.
Puis les photos apparaissent ….
Capa et ses prises « en vivo », à même le champ de bataille, près des combattants, Gerda Taro et ses photos dérangeantes de morts où sang et visages d’enfants défigurés glacent les veines, Chim qui immortalise les êtres dans leur quotidien, enfants aux yeux magnifiques autour d’une assiette de soupe, femmes à la couture, travaux des champs… toute la vie quotidienne qui s’écoulait au moment du drame.
Les divers choix d’approche de la photo par ces trois jeunes juifs exilés nous sont révélés de manière évidente. Mais au-delà de la particularité de capture de l’image, bien vite les photos dévoilent les conditions de traitement des exilés politiques, ces républicains qui durent fuir les vainqueurs.
Et le film prend une autre tournure : celle de faire revivre l’histoire sous un éclairage autre. De l’exil de républicains vers le Mexique où le peuple du Président Cardenas les accueille avec une chaleur bienveillante (Cardenas avait largement fourni de l’armement aux républicains), il est rappelé que seules les classes nanties, intellectuels, ingénieurs, purent bénéficier de cette destination d’exil. Intégration immédiatement réussie dans un pays hispanophone ayant la complicité de leurs racines latines.
Les classes plus humbles, ouvriers, paysans, atterrirent au camp d’Argelès. Terribles photos. Longues colonnes de femmes, enfants, vieillards, soldats … Sur le sable, sans toit, entre barbelés, se lavant à l’eau de mer, se protégeant du froid en s’enterrant dans le sable … Des gradés, des officiers, sentant perdre leur dignité dans ce traitement et ne pouvant s’embarquer pour la Mexique, préférèrent retourner en Espagne … où ils furent fusillés.
Oui. Les images révèlent, évoquent, gênent, effraient, indignent.
Couleur actuelle. Celle des petits-enfants des républicains qui creusent le sol, tamisent la terre, « archéologues » à l’œil en éveil qui photographient les ossements des fosses ouvertes, les époussettent avec respect et précaution, cherchant inlassablement « mi abuelo » dit une fraîche et vivante jeune fille …. « je veux le faire sortir du néant … l’enterrer dignement … qu’il revienne parmi nous ».
Un jeune photographe fixe sur pellicule inlassablement ces fouilles puis, interrogé par le caméraman, finit par éclater en sanglots … « je veux que nous les retrouvions tous …. parce que tous sont mes grands-pères » avant de fuir pudiquement la caméra pour ne pas montrer son chagrin.
Film fort, poignant, qui nous interroge : qu’est l’histoire …. Est-elle la même selon l’époque à laquelle nous l’abordons ? Que devient-elle dans le cheminement du temps ? Faut-il oublier ? Faut-il faire revivre l’indicible pour la mémoire ?
L’image, la photo, jouent un rôle à part entière dans ce film : ils sont les « personnages », ils sont la mémoire vivante qui dit, qui montre, qui accuse.
Le côté surréaliste de l’aventure de cette valise est incroyable car, disparue depuis 70 ans, elle nous restitue de manière brutale cette histoire en faisant abstraction du temps passé dans l’ombre et l’oubli, nous donnant ainsi la curieuse sensation que la guerre s’est déroulée …. hier, la semaine dernière !

Film magnifique. La gorge était serrée, les yeux embrumés mais le cœur grand ouvert.



Maja Lola

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout est dit, et fort bien, Maja Lola, sur ces extraordinaires documents arrivés « après la bataille » dans la valise et dans les témoignages des vivants.
L’histoire y gagnera-t-elle en objectivité, je crois que c’est impossible, mais notre vision de l’humanité en sort bien assombrie.
Gina

Anonyme a dit…

Chance d'avoir été invité. J'ai vu le film. C'est un fouillis. T. Ziff a tellement voulu montrer, démontrer, prouver, qu'elle a réalisé un montage techniquement nul.
Heureusement (si l'on peut dire) il y a les images et alors quelle émotion ! Finallement, on s'en fiche de la technique. On s'en fiche même de la façon abracadabrante et pas du tout claire dont a été "retrouvée" la valise de Capa. La "famille" Capa en a tellement fait, des montages, des trucages, des bidouillages, des marchandages !
Mai bon, devant les images hallucinantes de cette guerre si compliquée, il est vrai que l'on a "la gorge serrée, les yeux embrumés mais le coeur grand ouvert". La France ne resort pas grandie de cette projection.
Ah ! il était chouette le Front Popu ! Belle brochette de minables.
JLB

Anonyme a dit…

Au risque de surprendre tant, à un moment, on s'en est envoyé l'un et l'autre, je voudrais citer une belle phrase du Chulo à propos de la guerre civile espagnole.
"Savez vous que tout ce qui touche à l'Espagne et à son histoire est horriblement complexe et mérite au minimum réserve, respect et réflexion".
Le "horriblement" est parfait.
JLB

Maja Lola a dit…

Le fouillis du montage et les séquences entremêlées de manière désordonnée ne m'ont pas gênée ...
car, comme vous le dites, on s'en fiche de la technique. C'est bien pour cela que "l'emballage" a rapidement cédé la place au "contenu" et que l'émotion a bien vite pris le pas ... je crois que le texte le démontre.
Je suis certaine que nous avons été nombreux à avoir éprouvé ce que vous décrivez.

ELIXIRMAN a dit…

"J’ai vu tant de choses, que vous, humains, ne pourriez pas croire... De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion, j’ai vu des rayons fabuleux, briller dans l’ombre de la Porte de Tannhaüser.

Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie."

T’endors pas lecteur, c’est l’heure de la mise à mort. Regarde cette bête, regarde la bien dans les yeux, elle n'a pas peur, la peur n'est pas de son regard, la peur n'est pas de son côté. Elle s'est bien battue n'est ce pas ? et dans un instant pourtant c'est elle qui sera abattue.

Vivre dans la peur, voila ce que c'est que d'être un esclave...