mardi 19 juillet 2011

Santana : Light and Love...




C’est sur le coup des 23 heures que papi Carlos, 64 ans, fit son entrée sur le ruedo goudronné et ''débarriérisé'' pour rappeler que c’était toujours de sa main gauche agile qu’il gagnait les oreilles de la foule. Avant, Keziah Jones était venu faire étalage de son auto-marginalisation dans la gratouille syncopée et brouillonne qui soulagea le brouhaha de l’arène lorsqu’elle prit fin, ''Rythm is love'' excepté, plus clair et audible.
Avant lui encore, il y avait… Asa, artiste auquel on n’associera aucune image, Maja Lola instigatrice de cette soirée m’ayant concédé qu’il fallait aussi se sustenter, finalement d’accord pour suçoter les coquillages de son assiette ''del mar'' au bistrot éponyme voisin…

Donc, l’homme au chapeau noir, toujours fringuant, entra pour une intro quasi cacophonique qui ne portait en rien sa couleur. Puis, il m’a semblé comprendre ce choix, c’était l’avalanche décibelle indissociée de tous les possibles, gangue incongrue de tous les chaos musicaux d’où allait bientôt s’élever sa note singulière, ronde et chaude, presque lyrique, incantatoire, qui vous étire les boyaux aussi sûrement qu’il étire ses cordes, d’autant que, rappelez-vous, bande de quinquas dégénérés, c’est sur ses standards comme Samba Pati ou Europa que vous roulèrent la première pelle, celle qui allait irrémédiablement vous faire basculer dans le monde à la con, inextricable comme une jungle, des gonzesses amoureuses où il vous est interdit de progresser à grands coups de machette, malgré l’envie.

Europa, c’était la soupe selon Santana. La soupe, dans le langage des musicos c’est la musique alimentaire, celle qu’on ne se plait pas à jouer mais qui, plaisant au plus grand nombre, fait parfois ''Tilt'' avec la foule. Et où il y a tube, il y a fric. Ce fameux été ou Europa déversait jusqu’à l’écoeurement ses notes dégoulinantes de mièvrerie sucrée pour qu’on ait le temps de ''pecho'' la vacancière nordique sous le charme de l’exotisme latino, je l’ai vécu dans ma courte expérience de musicien des plages. On le jouait tous les soirs, à la terrasse des cafés surpeuplés de Port-Camargue à…... la Grande-Motte, contre un sandwich ou trois francs six sous. Les filles nous regardaient. Et leurs pères, aussi… Pendant un mois, on avait réussi à en vivre, c'est-à-dire à ne pas mourir de faim et à payer notre camping. On rêvait de ces filles à côté de qui on se baignait, regardant leurs petits corps souples qui sentaient bon l’ambre solaire Piz Buin à la noix de coco, jusqu’à s’en crever les yeux, mais que jamais on étreignit. Parce que l’époque était plus romantique ou qu’on était n’osait rien leur dire, ou parce qu’elles nous faisaient comprendre qu’on leur plaisait la veille de leur départ et il n’y avait plus alors qu’à envoyer lettre sur lettre enflammée et désespérée à la Hollandaise de passage pour lui dire combien elle était belle et lui faire découvrir avec un effarement satisfait combien sa féminité pouvait troubler. Lettres qu’elles devaient lire en s’esclaffant dans leur chambre avec leur meilleure copine, le diamant du pick-up labourant inlassablement les sillons langoureux d’Europa de ce salaud de Carlos Santana qui en ''pecho'' plus facilement lui, des girls... Au moins cela leur permettait-il de progresser dans notre langue. Mais nous, c’est du goût de leur langue qu’on avait rêvé… ça sent peut-être le Gouda au cumin la langue d’une Hollandaise, non ? Et leurs seins protégés par des maillots jamais quittés, qui deviennent comme des diamants blancs purs, des triangles de signalisation réfléchissants dans la nuit ont-ils goût au lait d’alpage qu’ils suggèrent ? Sont-ils aussi froids que le marbre de Carrare ? Sont–ils aussi doux qu’ils sont blancs ? Nous n’avons jamais su. Mais combien d'érection bétonnées se sont dissipées dans les dunes chaudes de la plage du Grand Travers ? Satan seul le sait !

L’acmé du concert fut pour moi sur ce morceau dont il m’est impossible de retrouver le titre – Soul Sacrifice ? – qui nous prenait tout entier, ne s’arrêtait jamais, dont on avait envie qu’il nous entraîne jusqu’à l’aube tandis que sur l’écran géant passaient en boucle des images fascinantes de transes africaines, d’incantations Baoulé, de possessions Dogon, de révulsions Songye, danse des masques, pulsions d’oripeaux déchaînés, toute cette énergie Africaine seule capable de suivre la fréquence frénétique de cette scansion envoûtante. C’est alors que toute l’énergie vibratoire de ma voisine, Maja Lola herself, qui m’avait invité à ce concert, surgit des profondeurs de son duende tripal et commença à s’exprimer … Oh putain… Gâaassp… au secours… soudain, son corps de rêve produisit une ondulation si lascive que celle de Kâa le serpent du livre de la jungle pourtant référence ondulatoire suprême et incontesté dans la mémoire collective, n’était qu’une gaucherie pitoyable de pré-pubère complexé... son corps en proie à la magie noire des sorciers, au duende de la marisma et tout autant à la dévotion obstinée des prêtresses Vaudou était agité souplement comme une liane tropicale humide à laquelle se serait agrippé un Tarzan permissif et tolérant entamant avec elle une session de haute voltige dans la canopée… Total respect Maja Lola, que le duende soit avec toi !

On a aussi eu droit au quart d’heure de philo du café du Commerce pendant lequel Carlos se crût obligé de nous dire d’affligeantes banalités qui le démythifiaient grave, like : makes every day like it was the best day of your life (or anything like that, if you see what i mean…) you are light and you are love… light….love…light…love… qu’il a clignoté un moment… ok Carlos… light…love… if you want... it’s our pleasure.... light....love…

C’est alors qu’impressionné de la pulsion qui s’emparait de Maja Lola je me suis tourné vers ma voisine de droite, une inconnue qui allumait une cigarette. Dépourvu de cigare je lui en ai demandé une. Elle me montra un exemplaire de ses ''modules'', les toutes fines, ''grosses'' comme des pailles, me demandant si cela ne me dérangerait pas.

- me déranger ?
- oui, c’est très féminin… tout fin…
- mais ce n’est pas dérangeant ou infâmant de ressembler à une femme…

Je vous dis pas les points subliminaux que j’ai instantanément marqués… voilà un homme assez viril pour ne pas craindre une apparence efféminée et qui trouve en la femme des raisons de l’admirer, a-t-elle dû penser… je suis trop fort… mais bon, c’était pas le moment de batifoler vu qu’à ma gauche, la Maja Lola maintenant complètement déchaînée, avait quitté le stade de l’ondulation discrète, pour entrechoquer toute la rangée de tendido comme si Tarzan et elle, jouaient au pendule contre les baobabs ! Oh putain… pourtant je ne l’avais pas poussé à la boisson au restau… elle n’avait bu que trois ou quatre flacons de blanc de l’Hermitage, pas de quoi tenter une excommunication.

Bon et puis Santana infatigable, enchaînait les standards : ça dépotait sec ! Et vas-y que je te retiens la note, que je te la glisse et la prolonge, papi était déchaîné lui aussi... Deux chanteurs, deux batteurs, deux percus, une petite section de cuivre mais bien tonitruante, une sono à dégommer des portugaises ensablées par deux siècles de pelletage égyptologiques, pas de répit… je ne vous dis pas l’état de Maja Lola à la sortie, que j’ai vite perdue dans la foule complitely euphorisée, hagarde, répétant hébétée l’incantation peacefull : light…love…light…love….light…love… mais bien sûr… allez dodo maintenant Maja Lola… je te la dédie cette resena et merci pour cette soirée dont toute ressemblance avec des personnages existants, toi par exemple, ne serait que le pur fruit de mon imagination débordante si bien mariée à une moquerie congénitale. ;-)))

8 commentaires:

Maja Lola a dit…

L'euphorisée hagarde, après une traversée nocturnement périlleuse de la mythique Placette, est revenue on the floor.
Chouette reseña. Du Delon en grande forme.
Peut-être le voisinage des nombreuses femmes qui t'ont entouré comme un coq en basse cour ... Même le puro ne t'a pas manqué puisque nicotiné par ces dames aux sourires ravageurs.
Allez, va, ne te la joue pas modeste, tu étais aux anges !
Au fait, qu'est-ce que c'est que cette condescendance pour Europa ? Ingrat qui craches dans la soupe. Tant de slows torrides sur cette musique qui te parle à tout le corps et te le met en émoi. Tu ne vas pas la jouer méprisant parce que succès commercial ?
En tout cas le tendido était chaud bouillant sous certaines assises pendant les pincements langoureux des cordes de Carlitos.
Dans les transes incantatoires et possessions diverses, n'oublie pas Jin-go-lo-ba.
P.S. (1) ASA est une jeune chanteuse qui aura laissé moins de trace scénique que coquillages et crustacés (sous la plage ensoleillééééé ...)
P.S. (2) C'était donc toi, le boutonneux hagard derrière les dunes du Grand Travers ?

Anonyme a dit…

Y'en a qui ont de la chance de vibrer sur Santana entouré de filles. Mieux qu'une corrida ?
Vous nous faites rire et je me suis régalé, té, en vous lisant. Même si je râle d'etre trop loin pour avoir pu venir le voir
Je me console : un Hoyo de Monterrey en regardant mes vignes !
Salut aux nimois

Maja Lola a dit…

Le peon de la photo fait penser à un Modigliani ....

Elixirman a dit…

La sacralisation du passé nous vaut un florilège d'expressions populaires:
"En ce temps là..."
"C'était le bon vieux temps..."
"L'âge d'or..."

En y réfléchissant bien, nous sommes passés :

- de la convivialité des bistrots...au triomphe des réseaux sociaux (facebook, tweeter, blog de Marc Delon...)
- du travail facile...à l'obsession du chômage
- des bonbons à la sortie de l'école...au triomphe de la chimie des additifs alimentaires
- du tour de France...au tour du fric
- de la liberté sexuelle...au sida !
- des cortèges funéraires...au déni de la mort
- des joies de la baignade en été...à la pollution des rivières et des plages
- de l'enseignement de la géographie et la distribution des prix à l'école...au débat sur l'identité, au racisme et au déclin des valeurs républicaines.
- des facteurs en mission de service public...à la poste société a-no-nyme !!
- des abeilles par millions...à la fin de notre civilisation ???

Merci, le libéralisme...!

Olé Toros !

Maja Lola a dit…

Monsieur Olé Toros
Non. Pas de sacralisation du passé. Ni nostalgie passéiste. Simples moments de plaisir et de fraîcheur en évoquant plus une jeunesse insouciante et découvreuse avide de la vie dans son sens le plus vaste qui était la nôtre (et qui pourrait être celle, intemporelle, de tant d'autres ...)
On sait qu'un instant n'est vécu qu'une fois, qu'il est fugace et qu'il peu laisser des traces indélébiles.
Mais votre constat sans concessions nous ramène à des réalités bien peu idylliques en effet. Il n'en reste pas moins, malgré votre énumération éloquente et lucide, que tout n'est pas aussi résolument noir, que les échanges humains et la convivialité existent encore.
Les réseaux sociaux que vous citez permettent de "toucher" des personnes inconnues et géographiquement éloignées, mais n'entravent en rien la convivialité d'un échange dans un café, un restaurant, ou entre amis.
Les bonbons des années 60 comportaient déjà des additifs (moins contrôlés d'ailleurs).
Les cortèges funéraires concernaient surtout le monde rural ... la désertification des campagnes et la fuite vers la cité a effectivement détruit cet accompagnement si indispensable et solidaire entre famille et amis.
Dans l'ensemble, vous avez raison, le monde a changé mais le libéralisme seul n'explique pas tout.

Elixirman a dit…

Haaa ! j’adore, tout est dit dans votre définition des réseaux sociaux :
« toucher des personnes inconnues et géographiquement éloignées » !!!
Quels progrès et quel modernisme de pouvoir dialoguer avec des inconnus aux antipodes alors que pendant ce temps le grand père, la grand-mère isolée, la vieille tante malade ou le voisin sont oubliés, vivent et meurent dans la solitude !

Oui, le libéralisme est un cancer pour la société.
Rappel de définition : Un cancer est un développement incontrôlé d’un petit amas de cellules néfastes à l’organisme. Et le libéralisme est néfaste à notre société.

Quelques exemples récents peut-être pour vous rafraichir la mémoire qui vous fait défaut ?
- Fukushima,
- les guerres récentes pour la possession des champs pétroliers d’Iraq et de Libye,
- Les graisses hydrogénées fabriquées à base d’huile végétale et contenues dans la bonne alimentation industrielle,
- La manipulation génétique sur les végétaux interdisant aux agriculteurs de ressemer les graines issues de la 1ere génération
- Les fruits et légumes couverts de pesticides neurotoxiques déclenchant à terme la maladie de Parkinson,
- Les suicides liés au stress au boulot…

Un beau panel diversifié n’est ce pas ?
Toutes les générations nées après 1960, y ont été exposées largement.
N’ayez crainte pour votre retraite à 60ans vous n’y arriverez pas.

Olé Toros...

Maja Lola a dit…

Pauvre Monsieur Olé Toros ...

Vous êtes d'une mauvaise foi patente lorsque vous assénez des citations en faisant semblant de ne pas comprendre.
Qui vous dit que communiquer par les réseaux sociaux empêche de veiller sur ses parents, sur la voisine malade et sur les gens en détresse ?
Le jours où j'ai découvert le blog de Marc et décidé d'y participer c'est pour le plaisir de le lire et de lire les échanges qu'il déclenchait. Pas par manque de vie sociale "vraie". Oui, il touche des personnes inconnues et géographiquement éloignées et il est plaisant d'y lire des opinions diverses fussent-elles venant d'inconnu(es).
Il faut avoir un esprit aigri et pessimiste comme le vôtre pour y voir une rupture avec le monde réel (sauf cas pathologique que vous auriez pu noter dans votre entourage ...!)

Quant à votre litanie, je vous rappelle que chaque période a comporté son lot de malheurs et que tremblements de terre , bombes et guerres, maladies ne sont pas hélas l'apanage de notre génération.

Et puisque vous avez la délicatesse de me prédire que je n'atteindrai pas la soixantaine, je vous informe que pour l'instant ma santé est excellente, que je n'ai pas d'envies suicidaires et que je fais confiance en la vie : en ce qu'elle m'apporte de bonheur et de générosité. J'ai d'ailleurs grand plaisir à appliquer la réciproque envers ceux qui m'entourent que je n'ai pas pour habitude d'oublier.

Marc Delon a dit…

on est bien d'accord, le libéralisme est un cancer, le communisme en est un autre avec en prime quelques libertés en moins, le "sécuritarisme" est une plaie, le communautarisme en est une autre, le religionisme n'en parlons pas, le dandysme une futilité, le sexisme assez inévitable, le guerrisme concomitant de la nature humaine, le torisme fait chier les empresas, quoi d'autre ? Et tout ça parce que l'homme est l'homme... Alors l'humanité cherche, cherche, elixirman fait des listes, d'autres s'adaptent, s'indignent, s'égocentrise ou s'écologise et... donc... ?
Enfin, ça me fait toujours des commentaires sur le blog... et de bons bouquins bien cyniques.