samedi 19 juin 2010

Carnets de Ruedos...


A GENOUX TORERO
D’ordinaire, avant que le toro ne sorte, le torero fait le vide – il y a tant de raisons de ne pas y aller - ou se concentre, prie peut-être, ou lutte contre la peur, auto-centré, visage enfoui dans la montera, puis observe menton appuyé sur la barricade, la sortie de son toro, ses réactions face aux sollicitations des peones. Pour lui qui sait lire le toro, ces premiers tours de piste donnent les premiers renseignements, permettent déjà de décoder un peu du mystère propre à chaque fauve. Se livre-t-il ou se réserve-t-il ? De quelle corne frappe-t-il plus volontiers ?
Mais parfois, avant que la bête sorte, court sur l’épiderme du public attentif, le picotement d’un frisson collectif transmis d’épaule à épaule et doublée d’une interrogation angoissée. Contre toute attente, le touriste un peu perdu dans la foule entend monter un grondement qui ne cesse d’enfler, sans comprendre ce qui le motive. Sur la piste il n’y a rien, rien qu’un type qui marche. Il se détache du callejon, traverse le rond d’un pas lent sous la rumeur. Il traîne son capote derrière lui ou l’a jeté sur son épaule. Face au trou noir qui l’attire, il se laisse choir genoux en terre, le visage pâle, l’âme à fleur de peau. Il va l’attendre là. Il est vraiment seul. Les secondes sont longues comme des minutes et la palpitation de son cœur accélérée. Qu’est-ce qui pousse un type à se tanquer là, à la merci d’un danger imminent, brutal, sauvage. Cet instant m’a toujours fasciné. A quoi pense un torero ainsi offert aux ténèbres du toril ? Peut-il penser dans ce moment-là ? L’esprit est-il vide ? Entend-il le brouhaha de nos émotions ? Son cerveau n’est-il qu’une buse offerte au hurlement du vent de la steppe ? Les idées se bousculent-elles comme un carambolage de voitures sous un tunnel ? Cette suerte dite à Porta Gayola n’est pas prisée des exégètes, qui la considèrent vaine, ne portant que sur l’esbrouffe, ne pesant pas plus sur le toro que le vent qu’elle déplace. Elle est plus un acte liturgique, politique ou philosophique que tauromachique, d’accord. Et alors ? Il n’évoquerait rien parce qu’il ne toréerait pas ? Il dit beaucoup, il dit son état d’esprit, il dit qu’il s’offre. A-t-il dit la veille à sa belle « Demain, par amour pour toi, j’attendrai à genoux la charge du toro et si la mort ne me prend pas …» ? Il dit : Prenez moi, démons des ténèbres, au besoin, quand vous me frôlerez, mais je ne broncherai pas. Il témoigne de son acte de foi, il ravage sa mère de mépriser ainsi la vie qu’elle lui a donnée, de s’offrir en pâture, il expie ses péchés, il vérifie si Dieu existe, il défend la prééminence de l’idée sur la force brute, il est intelligence et courage humain, il est ce qui nous fait pleurer, nous fait honte, nous rapproche, nous dérange, il maintient debout son exigence en dépit du danger, nous renvoyant à notre lâcheté, il nous fait un don des plus émouvants. Peut-être ne torée-t-il pas, mais il est, à cet instant et dans sa tête, on ne peut plus torero.

13 commentaires:

Xavier KLEIN a dit…

Alors petit canaillou, on s'allonge aussi dans les callejons, comme Dédé du Boucau!
Avec ou sans tapis de sol?

Marc Delon a dit…

Ni allongé, ni dans le callejon où je n'ai pas accés (sauf à Orthez peut-être ?) mais sur mon fameux poste d'affût alésien...
Accroupi, je glisse l'objectif sous la planche.

Maja Lola a dit…

Ca vallait la peine de s'accroupir sous une planche pour saisir ce beau garrot allongé et décidé al embiste.
Mais l'oeil de Marc ne se réduit pas à son objectif : le texte l'enrichit davantage.
Avant la faena avec ses déceptions ou surprises, ses douleurs ou jouissances, il y a ce prélude imagniné par MD. Toutes les nuances sensorielles sont dans cette description. Effectivement, quelle solitude parmi cette foule dense et exigeante. Acte liturgique certainement et plus particulièrement empreint de la nécessité du combat contre ces démons des ténèbres que le torero défie. Mais concentration absolue pour ne rien voir, ne rien entendre si ce n'est ce tête à tête imminent et inéluctable, ritual sagrado y gozoso.
Quelle autre situation, quel autre sentiment, quel autre "transport" (y compris hallucinogène) peut mettre dans cet état ? Ou du moins s'y approcher ?
Seul le torero pourrait le décrire mais c'est certainement ..... indicible.

Anonyme a dit…

Les surprises du jour.
Une photo de taureau inédite - en plus avec cette ombre de corne projetée sur le flanc et comme sortie d'on ne sait où.
Un aficionado qui s'interroge enfin, avec une délicate empathie sur le courage d'un petit homme agenouillé à la sortie du toril, tout ça après la compassion qui fut accordée à Domenech. On est dans la tendresse anti machiste.
Gina

el chulo a dit…

chère maja, et c'est avec respect que je m'accapare le tutoiement, dont tu as bien voulu me gratifier. je connais son sens castizo qui n'est ni de familiarité ni de superficialité. graces t'en soit rendues, maja.

tu touches en effet le point central du débat. il est en effet indéfendable de payer pour voir un animal ou un homme se faire torturer. quoique longtemps, les exécutions furent publiques.

pas un aficionado, je pense ne va payer sa place pour voir un toro se faire massacrer ou l'entendre "hurler" de douleur.

j'ai toujours eu des chiens qui ont pratiquement toujours fait ce qu'ils voulaient chez moi. je ne les ai jamais lardés ni de fourchettes ni de couteaux.

bien évidemment, tout aficionado qui réfléchit, je pense qu'il en est, a un conflit avec cet "inexcusable", et ne le résoud pas si facilement, lorsque précisément, naît la notion de "compassion".

ce jeu inexcusable, ne peut se "justifier", à défaut de se comprendre totalement, que par une relation, me semble t'il au divin ou au rituel, ou simplement une relation à la mort, ou une interrogation sur la vie et la mort, qui se "banalisant" désastreusement, n'est plus une "spécificité" espagnole, tu sais, la fameuse "hispanidad" qui a expliqué tant de choses..

lorsque la corrida s'est codifiée, et n'a plus privilégié la seule violence, encore présente dans certaines capeas, est née cette improbable certitude de la beauté et de l'art.

c'est bien la raison pour laquelle, lorsque la corrida bascule dans la compassion de ces "torosniais" de mon ami deck, indultés scandaleusement, de ces "borregas" disent les espagnols, mais aussi de ces figuritas qui trichent, nous craignons pour lorca et bergamin et quelques autres y compris jean cau.

mais bien sûr là est la raison de l'impossible dialogue avec les antis. tout simplement, nous ne voyons pas les mêmes choses.

Maja Lola a dit…

Cher El Chulo,
En effet, je ne vois pas la corrida en la disséquant ou l'analysant. Ce n'est pas une simple pièce de théâtre ou spectacle organisé mais bien "como una pasion" au sens religieux hispanique. Dès lors, aucune analyse cartésienne n'a de sens pour moi. La mort présente m'est aussi "familière". Non pas morbide et triste mais bien "la muerte" comme une composante naturelle, compagne omniprésente qui chemine près de tout être humain (como el dia y la noche, el amor y el odio.... la vida y la muerte).
J'ai ces mêmes ressentis lors des processions de semaine sainte : dans les silences graves, les roulements de tambour, la flamme des cierges, las saynetas où la déchirure de un quejio me rappelle cette alchimie que dégage la corrida.
Tu as raison de citer Lorca. Tout son être : sa vie, ses poèmes, même ses attitudes (ojazos profundos y ardientes) jusqu'à sa fin tragique, sont un symbole de ce duende qui traverse musique, cante et tauromachie.
Ta dernière phrase sur l'impossible dialogue avec les anti est le triste constat de la réalité : nous ne voyons pas les mêmes choses, hélas.
Gracias por tu claridad.

Marc Delon a dit…

Tiens... je viens juste de leur laisser quelques lignes de Lorca aux zantis sur le débat du blog de xavier. je m'en veux, vu que c'est comme pisser vers le ciel pour arroser les nuages...

Maja Lola a dit…

Cher Marc,
Je suis allée lire vos lignes déposées chez les "zantis". J'y ai découvert votre compréhension de ce mystère qu'est la tauromachie. Pris plaisir à voir que vous ne vous bornez pas à être un simple spectateur qui l'analyse avec son humus culturel extra-pyrénéen mais qui cherche (et trouve) ce qu'est cette fête aux qualificatifs multiples. C'est le cas de tous ceux qui, sans certitudes inébranlables ou jugements péremptoires, savent avec empathie et générosité comprendre l'autre.
Merci pour ces quelques lignes de Lorca.

Marc Delon a dit…

Oui, quoique je n'ai pas assez réfléchi car Lorca quand il écrit :

<>

se fourvoie, parce que la mort du football français en Afrique du Sud a bien été annoncée à l'arrivée du printemps par les vuvuzelas ;-)

el chulo a dit…

certes mais manque le troisième pilier, la "muse" et son académisme.

"l'ange" façon "pietta", la "muse" académique, et ce "merdeux de duende" qui ne vit qu'à proximité de la mort.

quant au foot français, faut t'il tellement massacrer le malheureux Anelka, dans un incident de vestiaire, quand il s'en produit pas mal, et que notre président dit "casse toi pauv con" ou résoud les problèmes des banlieues au "karcher".

les mêmes journalistes qui voyaient là dedans une émouvante proximité avec la france d'en bas, s'insurgent contre le malheureux Anelka, qui lui utilise son vrai langage, qui plus est dans un vestiaire, dont la moindre des choses serait qu'il soit sanctuarisé.

imagine t'on de gaulle, pompidou, giscard, miterrand ou même chirac s'exprimer publiquement ainsi?

ne vaudrait t'il pas mieux réfléchir aux vrais problèmes d'intégration et de mixité sociale, qu'on pensait naivement résolus après la victoire des bleus champions du monde?

Marc Delon a dit…

Oui, oui il faut le massacrer chulo Anelka, si tant est qu'on appelle "massacrer" prendre la moindre des sanctions on ne peut plus logiquement...
Quant à Sarko il est encore moins pardonnable puisqu'il est président ! Mais si Anelka avait dit à Domenech : ''tu me fais chier gros con'' c'aurait été à mon sens moins grave, c'est un truc de colère entre hommes, que d'en référer à une intromission artistique non désirée et à l'honneur de sa mère (s'il a bien dit ça...) Pour la ''sanctuarisation'' du vestiaire enfin plutôt l'immunité de ce lieu je ne vois pas en quoi une telle injure serait moins grave dans ces 20 mètres carrés qu'en dehors...
Quant à l'intégration sociale, aucun problème continuons à y réfléchir sauf que quand un mec comme Anelka à qui on a tout donné, des installations sportives de qualité, une formation de haut niveau, l'accès répété à l'équipe de France, pour qu'il réussisse à gagner des millions d'euros et qu'au final il t'envoie te faire enculer, t'aurais encore envie de te pencher en avant en lui tendant la vaseline, toi ?
Mèfi des courts-circuits entre l'Ange, la muse et le duende !
Mesdames, mesdemoiselles, les enfants, pardon pour la crudité...

el chulo a dit…

par amitié je ne répondrai pas, mais je déteste ta réponse, à tous points de vues y compris des courts circuits. quant à la vaseline, je ne l'ai utilisée que pour protéger mon visage ou mes oreilles du contact rugueux du tissu des shorts de rugby.

j'estime que le déroulement des faits me donne entièrement raison et vraiment je le regrette.

je t'encourage par ailleurs à aller dans une classe de 6e de collège public ou privé, tu verras qu'on s'y encule joyeusement, et que même les mères y passent, et c'est un soucis permanent du parent d'élève que je suis, tardif donc forcément cacochyme.

ceci dit avec 4 "pions" en surveillance pour 860 élèves, la tâche est bien difficile.

je constate enfin qu'un certain black power a éliminé les "ben" d'après ce que j'ai compris, et réduit au silence les gentils blancs.

ceci dit tout ceci est très opportun, et évite de parler de certaines choses, c'est de la com!

comme dit thibaut, 23 grévistes multimillionnaires et par ailleurs d'une connerie rare, suffisent à mobiliser l'attention du chef de l'état.

je trouve celà bien plus grave que les histoire de gauchistes "convertis".

et je persiste à dire que le malheureux anelka s'est fait avoir, car il fallait bien un responsable à cet échec qui n'a étonné en fait que l'élysée.

Marc Delon a dit…

Mes réponses chulo ne sont pas là pour te plaire et ne disent jamais que j'ai raison ; elles traduisent ma sensibilité avec toute la marge d'erreur possible. Ce n'est évidemment pas parce qu'on est chez moi ici, que je dis la messe. Mais je signe à nouveau. Quand on est un hyper privilégié -qui ne veut même pas donner ses impôts à la France- on peut peut-être souffrir de menus désagréments sans être si dégueulasse dans l'injure. Surtout quand on a été essayé quatre match durant, sans succés. Admettre de sportivement laisser sa place est le B-A BA. Je travaille en banlieue, je soigne des fratries et je ne crois donc pas au discours culpabilisant la société sur la ghettoïsation etc... je crois en un minimum de valeur et d'ambition personnelle. Il y a d'authentiques saloperies qui ont pour frère ou soeur de belles personnes : avec les mêmes parents, dans le même immeuble, à la même école du même quartier. j'entends beaucoup de théories bien-pensantes que je ne vérifie pas sur le terrain.
Tu ressembles un peu à Domenech peut-être chulo, tu voudrais avoir raison contre tout le monde : le visage d'Anelka non, plutôt ses mimiques (sinon je vais être suspecté de délit de faciès...) ne renvoie que l'immense mépris qu'il éprouve pour les autres.
Sinon, j'avais l'autre jour chez moi toute une bande de jeunes de 15 ans et les "vas te faire enculer" ne font pas partie de leur langage, non...
Biensûr que des fils de bourges comme moi..., mais comme j'en connais aussi dans la cité qui s'expriment normalement, je maintiens que c'est une question d'intelligence personnelle.