mercredi 6 décembre 2017

Johnny Hallyday le chanteur qui durait.


Comment dire, s’il y a quelqu’un qui n’aurait jamais pensé écrire un hommage à Johnny Hallyday , merde je ne sais même pas écrire son nom, c’est bien moi. En pratiquement soixante ans de carrière, je suis à jeun d’avoir acheté le moindre vinyl – avant on disait 33 tours - ou CD, de lui. Le Rock pour moi, c’était pas lui, l'homme aux trois "Y". A mes yeux, il en était même le plus ridicule des représentants. Sauce franchouillarde, pas crédible. A vrai dire, je le trouvais même un peu con… Je me demandais comment un type à la pensée si fruste pouvait récolter tant de succès… Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ???
Un pauvre type, un déclencheur de bagarres provincial, aux raisonnements pauvres qu’il exprimait avec force fautes de français, syntaxe, grammaire et tout ce que vous voulez… Je m’étonnais que des femmes intelligentes que je côtoyais, le déclarassent beau… un mec con pouvait donc être beau… ? Soit, même Nathalie Baye, que j’admirais, s’était empressée d’épouser ce mystère suant et soufflant… ça, on ne pouvait pas l’accuser de ne pas mouiller la chemise. On n’avait jamais vu un mec transpirer de la sorte ; des litres d’incontinence sudoripare ; impressionnant. Quand je pense à lui c’est l’image qui vient : des rigoles de sueur dégoulinantes contre lesquelles venaient se frotter ses fans pas dégoûtées…bèèeerk…on s’échange les liquides intimes qu’on peut…
Et puis la plaie des plaies pour Johnny, celle qui infectait la construction de son mythe, qui ne rassurait pas sur son Art, c’était ses fans. On a un peu les fans qu’on mérite quand même, non ? Et lui… question fans…ça a toujours fait frémir…des cas psychiatriques, quasi… Un cas unique… qui d’autre que lui peut se targuer de compter une armée de sosies décolorés, de ringards cinématographiques sublimes, de névrosés débiles, de créatures hybridées à partir de danseurs de Country des plaines du Cantal et de rocker de HLM en Assurancetourix porte-voix du ridicule de toute la Gaule ?

Et puis il a duré. Et puis il y a eu des accrocs à mes convictions.

Il y a eu ce fameux été en fusion de lave tumescente, où il m’a chopé au moment où je m’apercevais que les filles avaient des fesses et des seins, au moment où je subissais la plus formidable poussée d’hormones de ma jeune vie, quand ce type tout transpirant ahanait partout et tout le temps "quand tes cheveux s'étalent comme un soleil d'été et que ton oreiller ressemble aux champs de blé" dans tous les juke-box des bars de ce fameux été au Grau du Roi, "quand l'ombre et la lumière dessinent sur ton corps des montagnes et des forêts et des îles au trésor" de toutes les vitres ouvertes des bagnoles qui passaient lentement au long du front de mer "quand ta bouche se fait douce et ton corps se fait dur quand le ciel dans tes yeux d'un seul coup n'est plus pur" de tous les postes de radio ensablés "quand tes mains voudraient bien quand tes doigts n'osent pas" sur cette plage du Boucanet où il fallait soudain enfouir dans les dunes nos érections parasites quand les filles allongeaient face à nous les galbes de leurs corps ruisselants pendant que ce type hurlait comme un fou "quand tu ne te sens plus chatte et que tu deviens chienne et qu'à l'appel du loup tu brises enfin tes chaînes" de sa voix puissante qui pénétrait ses détracteurs jusqu’aux tripes, là j’ai compris "Que je t'aime" qu’il n’y avait plus débat, que par ses couplets lancinants, oppressants, qui montaient inexorablement en pression jusqu’à l’obsession, nous ramenant aux êtres de chair et de sang que nous étions, j’ai compris, avec tous les autres, qu’on resterait lié par ses cordes vocales à jamais, à des souvenirs indélébiles, des tranches de vies auxquelles ses chansons toujours nous ramèneraient qu’on le souhaite ou non. C’était ainsi, il nous accompagnait.

 

Et puis il a continué à durer. Décennie après décennie, avec d’autre paroliers aux thèmes plus élégants, plus nobles, plus distingués et on a alors entendu dans sa gorge des tonalités émouvantes du temps qui passait, chez lui aussi. Alors on l’a écouté avec plus d’attention, reconnaissant des situations familières qui nous rapprochaient petit à petit toujours plus, parce qu’il durait. Des fautes de français de ses interviews on ne riait plus, on en était plutôt attendris. C’était lui ; depuis le temps on en était fatalement proche. Tellement il avait duré.

A chaque duo où il ‘’enterrait’’ gentiment de sa puissance son partenaire, à chaque reprise forcément insipide que se permettaient d’autres artistes, peu à peu on a admis que Johnny quand même, ça dépotait grave… qu’il était irremplaçable, qu’arriver à sa cheville s’avérait périlleux… Et puis on a encore levé les yeux au ciel du ridicule de le voir épouser, incrédules, une jeune femme qui pouvait être sa fille. Notre quotidien est tellement éloigné des mœurs du show-biz et nous sommes tellement rassurés par les conventions... Sauf qu’on a soi-même par les chemins tortueux de la vie rencontré une très jeune femme qui aurait pu être notre fille…sauf qu’on ne brille d’aucune richesse ou talent particulier et que c’est encore plus énigmatique… Alors on ne se moque plus, on tente de comprendre, d’être à la hauteur de ce don émouvant, au milieu des regards d’incompréhension hostile. Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?

Et puis il a duré encore, il s’est encore rebellé alors que l’on croyait ses démons calmés, il a traversé à nouveau les scènes de son hymne incendiaire qu’on ressentait pulser au plus profond, frénétique, terrible scansion irrésistible, Ah Marie, si tu savais, ça tenait du miracle, jambes écartées et prothèses aux hanches. L'été dernier j'ai dit à ma compagne : si tu veux qu'on ait une chance de la voir une fois dans notre vie, en concert, on devrait y aller... Nous nous sommes abstenus, il donnait l'impression qu'il n'y avait pas d'urgence...

Et puis, durant, il bossait dur, toujours en tournée, toujours sur scène, toujours en projet de quelque chose parce que chanter c’était exister. A force il a convaincu. On ne pouvait que respecter un type qui durait tant. Souffle de vie, souffle de voix, dernier souffle, en pénitence, devant les portes de l’au-delà. C’est la vie. Même D’Ormesson ne put se douter du départ d’un Johnny incombustible. Aujourd’hui, pourtant, on peut allumer le feu.
photos Paris Match