jeudi 4 octobre 2018

JP.COMBE 2e partie (suite et fin)


C’est un instant de calme avant que la passion

Ne s’épanouisse enfin, une crucifixion

Du vent. Une retraite éphémère et sereine.

Au-delà du repos, il aperçoit l’arène.

 

Manolo, cependant, vient troubler le silence.

Il est celui qui sait, son peón de confiance ;

Il apaise d’un mot, inquiète d’un regard

Et peut mieux que personne éclairer tel un phare.

Il parle des Toros en longs gestes précis

De façon qu’on croirait les deviner. Et si

Son Maestro se perd dans des pensées obscures,

Il devient un ami qui protège et rassure.

Au sortir du chapeau, deux silhouettes noires

Ont donné à son cœur un délicieux espoir ;

Celui d’un grand succès. Un triomphe majeur,

De ceux-là dont on rêve au terme du labeur.

Le hasard - sans un mot – a pris sa décision ;

Le meilleur de l’envoi sortira en second.

Il l’annonce au diestro, c’est le sien. Un sourire,

Puis la concentration revient dans un soupir.

Il s’en va, Manolo.

                                
L’homme doit s’habiller

Pour devenir un dieu. Sa chemise est pliée

Dans les mains du mozo de espada. D’un geste,

C’est sa taleguilla aux broderies célestes

Qu’il désigne à présent. Il met son collant blanc,

Ses medias de soie rose au-dessus, puis attend ;

Pour passer sa culotte, il aura besoin d’aide.

Que ce soit à Bayonne, à Séville ou Tolède.

Car tel est fait l’habit ; Quelques tissus fragiles

Qui forment sans mentir une armure d’argile…

Les chevaliers, déjà, dans les temps très anciens,

Pour se vêtir de fer avaient besoin des mains

De leur valet. Andrés porte son matador

Depuis longtemps déjà et pour longtemps encore.

Il a vu des murs blancs ; Bien plus que de raison,

Sur les deux continents, et par toutes saisons,

Il a vu des murs blancs et fait rouler des malles,

Recousu des machos arrachés aux Etoiles,

D’eau froide et de magie, il a gommé les traces

Laissées par le grand fauve en parcourant la place

Au plus près du frisson. Là, il noue sa cravate,

Lui ferme son gilet pour cacher les stigmates,

Puis couvre avec douceur le dos du combattant.

D’une chaquetilla, il étoffe le temps.

                                      *

                                    *  *

On part.

                                      *

                                    *   *

                 La cuadrilla, par le très long couloir,

Se présente à la porte.

                                         Abrazos.

Des regards,

Illuminés d’argent, donnent la communion

Comme si la folie effaçait la raison.

Ils ont un point commun, ces guerriers valeureux ;

Une naissance au jour qui les rendit heureux.

Il fallut qu’un instant change leur destinée…

Mais quand ? Et où ? Pourquoi ? Devient-on obstiné

Sans ne maîtriser rien ? Charrié simplement

Tel un limon fécond, lorsque chaque moment

Est un hymne aux Toros et puis que l’étincelle

Se change en un brasier glorieux et immortel ?

La place est à deux pas. On ira en fourgon,

C’est ainsi. Comme pour quitter le tourbillon.

                                         *

                                       *  *

Juste le temps d’un souffle, il ouvre grand ses yeux

Pour vivre dans le ciel un souvenir heureux ;

Celui d’un crépuscule éclatant de quiétude.

Protégé par sa cape et par sa solitude,

La dehesa pour lui, pour lui seul à jamais,

Il jouissait de l’instant et du soir parfumé.

Seule une brise bleue accompagnait la lune.

Chaque respiration était une fortune,

Inestimablement. Il avait ce trésor

Tout au creux de ses mains, à portée de ce corps

Qu’il mettait en danger. Oui… Mais quelle importance ?

Quand la mort vient rôder, puis propose une danse,

Il faudrait être fou pour fuir l’invitation.

 

Songerait-on au Christ esquivant sa Passion ?

 

Le feuillage d’un chêne enchantait le silence

D’un flamenco soyeux. L’homme attendait sa chance

Pour figer le tableau dans un long mouvement.

Un village, là-bas, aux maisons de murs blancs,

Dormait. Inconsciemment, le miracle à venir

Glissait sur la pénombre et semblait retenir

Les heures qui fuyaient vers des terreurs inouïes.

Naissante d’un bosquet, il avait vu la nuit

Et l’avait toréée d’une embrassade unique

Qui pleura très-longtemps. Juste une Véronique,

Infinie de lenteur. Puis il avait dormi,

Savourant son triomphe enfanté sans un bruit.

                                      *

                                    *  *

Il s’éveille à la vie, ébloui de murs blancs.

                                      *

                                    *   *

La chapelle est très-belle et d’un calme troublant.

Un prêtre a dessiné, à force d’afición,

Cet ultime rempart. D’une génuflexion,

Chacun parle au Destin avant de s’évanouir

Jusqu’à l’inéluctable et pourquoi pas…

                                                                      Mourir.

 

C’est l’instant mélodieux où les pas des chevaux,

Comme des clapotis, résonnent au patio.

Ainsi qu’une cascade immense et bigarrée,

La foule, en filigrane, est prête à déclarer

Son amour, ou sa haine, ou son indifférence.

Que ce soit au Mexique, en Espagne ou en France,

Le silence, à la mort, est le pire verdict.

Un Matador préfère une saine vindicte

Aux magistrats muets.

                                       *

                                     *   *

                                        Mais sonnent les clarines…

                                        *

                                      *   *

Le cortège éphémère à la grâce divine

Dessine un arc-en-ciel parfait de rectitude

Conscient que le combat sera sublime et rude.

Les capes se déplient puis vont de tout leur poids,

Comme des papillons sur un chemin de foi,

Caresser l’Eternel.

                                 Voici que l’alguazil,

Gardienne du bon ordre et des clefs du toril,

Dans un élan puissant galope vers la porte.

Le Toro va venir. Juste avant qu’il ne sorte,

Des regards silencieux dévisagent la place,

Espérant qu’il sera la fierté de sa race.

 

Parmi les amoureux, il en est un plus blanc,

Plus poëte sans doute. Il a juste douze ans.

 

Il reste des années assis sur les clôtures,

Revivant le passé, glorifiant son futur

Qu’il voudrait de lumière, abhorrant l’idée même

D’une vie sans la Course et les fleurs qu’elle sème.

Il tient sa muleta, cachée sous son manteau.  

Aura-t-il le courage, en espontaneo,

De rejoindre le ciel ? Dérober une passe

A l’heure où ses amis se morfondent en classe ?

Et le Chef de Lidia, serait-il courroucé ?

Crierait-il au peón l’ordre de se pousser ?

Il a tant espéré la sublime seconde

Qui figerait enfin l’éternité du monde.

Juste une naturelle – il n’aurait pas d’épée –

Avant de disparaître, étourdi, mais en paix.

 

Quand la Guardia Civil appellerait sa mère,

Il l’entendrait pleurer d’un désespoir amer

Qui est toujours égal.

                                       Elle ne rêve plus.

Ses nuits ne sont hantées que par ce qu’elle a lu

Dans les yeux de son fils ; Ce livre sans chapitre

Qui ne finit jamais et qui n’a pas de titre.

                                      *

                                    *   *

Depuis le callejón, le Maestro observe

Le premier Matador qui panique et s’énerve ;

Son bicho est manso, il n’en tirera rien.

Il attend qu’il le tue et que sorte le sien.

Un pinchazo, puis un second.

                                                    Une demie,

Concluante pourtant. Le Bête est endormie.

 

On traîne sa dépouille au-delà des barrières

Pour l’oublier demain comme on l’ignorait hier.

                                        *

                                      *   *

Alors le jour se lève, et bien loin des murs blancs,

Le Torero s’avance, ivre et ensorcelant.

De ses zapatillas, il embrasse le sable

Et vient s’agenouiller, dans un geste impensable,

Face à sa Destinée. Plus rien n’existe alors

Que ce lien invisible entre le noir et l’or.

 

Un abîme de nuit apparaît au lointain ;

Il a ouvert l’enfer d’un signe de la main.

 

Son capote s’envole et chante une arabesque.

L’Animal a chargé d’une fougue dantesque,

Projetant dans l’éther ses pitons indicibles,

Dessinant un sillon qui chercherait sa cible

Avant de revenir à la source de tout.

D’un vertige sensuel, l’homme reste à genoux

Pour déployer l’étoffe et guider la furie.

 

Des myriades d’instants montent vers l’infini.

 

C’est le fer, maintenant, qui déchire le cuir.

Lorsque tout ce qui vit aurait choisi de fuir,

Ecrasé de douleur, ce castaño claro

Soulève sans effort monture et piquero.

Il y revient trois fois.

                                            C’est aujourd’hui si rare…

 

Manolo le savait, c’est un divin nectar

Qui, inlassablement, inonde le ruedo,

Pourchassant sans répit son flamboyant credo.

 

Une valse d’argent, d’azabache parfois,

Fait fleurir un bouquet de couleurs et de bois

Sur le dos de l’Idole.

                                      Ainsi va la légende…

 

La serge rouge flotte, enjouée comme une offrande

Au Dieu resplendissant qu’il doit hypnotiser.

Les cris du Matador sont précis, aiguisés.

 

Dans un derechazo, il tient tout l’univers,

Fait brûler les saisons, du printemps à l’hiver ;

Il est debout.

                                      *

                                    *   *

                          Pourtant, sous un épais brouillard,

Un bruit d’acier qui chute attire son regard.

Sur le sol, un plateau finit de tournoyer,

Le chien, dans le salon, s’est mis à aboyer,

Tout devient si confus.

 

                                          Juan a peur, il est mort.

 

Rien ne lui obéit, ni son cœur, ni son corps.

Seule son âme chante un couplet tourmenté ;

«  Coule, Guadalquivir, sur ma nuque argentée,

Tandis que face à moi l’Arène se dessine.

Coleta mystérieuse, infinie et divine,

Foule, Guadalquivir, de ton pas incessant

- Chemin de soie, toujours, qui versera le sang

Vers l’ocre de ma vie et ses Toros énormes -

La plaine imaginaire où mes regrets s’endorment. »

                                      *

                                    *   *

Il rêve à son Campo qui brille sous la lune.

Ici, les murs sont blancs et l’infirmière est brune.

 

 

 

                                                                        Nice, Oct-Nov 2017

                                                                              Jean-Philippe Combe

mercredi 3 octobre 2018

JP. COMBE Première Partie





                                LES MURS BLANCS

 

 

                                                                          Au Maestro Denis Loré                                               

 

 
Les murs sont blancs.

A peine inondés des rayures
Que forment les volets mi-clos.
Blancs sont les murs.
Blancs, bleus peut-être un peu, là où l’air s’évanouit
Depuis que le matin a fait fondre la nuit.
 
Et lui, au beau milieu du chaos silencieux,
Il prie. Déjà, ses mains sont tendues vers les cieux
Dans un élan d’amour, de doute et de terreur.
L’horloge de son âme affirme qu’il est l’heure.
Son habit sur la chaise incendie l’atmosphère
De rose, et d’or, d’espoir, d’effroi et de lumière.
Il ne l’a pas porté, pas encor, pas en course,
Juste chez le tailleur où sa verge et ses bourses
Ont épousé l’étoffe avec délicatesse
Pour mieux époustoufler les antiques déesses
Qui hantent les gradins. Il connait leur regard ;
Profond comme un grand fleuve, étincelant de fards.
Il le croise parfois, à la sortie d’un quite,
Le torée un instant, l’adoucit puis le quitte,
Pour revivre sa vie.
                                   Ici, les murs sont blancs,
Les souvenirs sont purs et les gestes sont lents.
 
Il y a une Vierge, éclatante d’amour.
Son visage est de miel et ses yeux de velours
Font naître un long ruisseau de larmes. Sur l’autel
De sa gloire, un ange a fait murmurer ses ailes
Et leur écho léger s’évapore dans l’onde ;
Il submerge la chambre, et la ville, et le monde.
Mieux qu’une grande affiche et ses mille couleurs,
Il annonce au public qu’il sera bientôt l’heure.
 
Dans les rues, les cafés, les bodegas furieuses,
Déjà montent des mots et des questions curieuses.
« Quelqu’un a-t-il pu voir les Toros aux corrals ?
On dit qu’ils sont de ceux qui grèvent le moral…
L’an passé nous avions un bien piètre bétail,
Celui-ci sera-t-il d’un courage sans faille ?
Aurons-nous un palco très juste et bienveillant,
D’honnêtes assesseurs et un grand Président ?
Et ces nuages noirs qui menacent là-haut…
Auront-ils disparu au temps du paseo ?
Entendrons-nous ce soir résonner la musique
Et pourrons-nous crier d’une voix pacifique ;
Des Toros ! Des Toros ! Et puis des toreros !
Nous avons tant besoin de porter des héros. »
 
Lui ne les entend pas car ici rien ne bouge,
Les murs sont blancs.
                                       Là-bas, les barrières sont rouges.


                       

mardi 2 octobre 2018

Teasing

Jean-Philippe Combe est un poète. Qui se la coule douce à Séville pendant que je bosse... Il m'envoie sa participation au dernier Prix Hemingway vu qu'il considère que ce blog abandonné est l'écrin parfait pour la publier... Soit, pas très cassant pour moi, c'est lui qui a phosphoré...

Moi, je lui ai dit : On devrait n'en publier que la moitié... jusqu'aux "barrières rouges" c'est magnifique, parfait, superbe... sauf que ce serait poème qu'il me rétorque et non nouvelle... enfin, un truc dans le genre... Com' tu veux tu choiz, que lui ai répondu aussi sec... Puis je me suis dit : et si je faisais comme Midi-Libre qui publie la nouvelle gagnante en deux épisodes...? Malin, non ? Comme ça tout le monde est content, en deux passes...

Quand ? Ben faut voir, quand j'aurais le temps, en gros...