dimanche 27 février 2011

Cano

Après les travailleuses occasionnelles Gina y Maja Lola, douces agnelles bienveillantes, j'ouvre grand la porte du blog et un loup entre dans la bergerie : JLB ! Il vient de m'envoyer son premier texte et je le passe aussi sec sur le seul critère qui prévale à mes yeux : le plaisir supposé pris par nos lecteurs. Personnellement, des anecdotes comme celle-là où transpirent l'Espagne et l'aficion, j'en redemande.

photo de www.madrimasd.org

Depuis le temps que dans les arènes d’Espagne, Francisco Cano Lorenza passe à côté de moi, sur son éternel chemin entre la sortie du patio de caballos où il mitraille les toreros se préparant au paseo, et sa place dans le burladero des photographes. Depuis le temps qu’il me salue comme des dizaines d’autres personnes sur son passage, sans trop prêter attention aux visages.


¡ Hola Canito ! Il soulève sa casquette blanche devant les personnages importants. Il envoie des baisers aux amis dans les gradins. ¡ Hola Paco !


Il a quatre-vingt-dix-neuf ans aujourd’hui et au cas où des señoritos incultes l’ignoreraient, il a inscrit le chiffre 1912 tout autour de cette fameuse casquette. Il raconte qu’il en tient chez lui une autre, identique, sur laquelle il a fait broder 2012. Cent ans ! Soixante-douze ans à photographier des toros, des toreros, des artistes, des écrivains.


Cano n’a jamais été un grand photographe, privilégiant la qualité du cliché, le cadrage, la lumière, le décor, puis le papier, le traitement, etc. Cano mitraille. Tout. Et comme il a un flair infaillible, un culot monstre et une chance insolente, il est toujours là quand il faut. Il était donc normal qu’il fut à Linares le 28 août 1947. Linares théâtre des jeux de la mort et du hasard.


C’était il y a quelques années à Séville, en avril, par un matin de « cielo andaluz », j’allais lire les comptes-rendus de la corrida de la veille à la terrasse de La Leyenda. Le groupe des vieux habitués s’était déjà emparé de trois tables et la discussion battait son plein. Il y avait Manuel Risueño, Fernando Dominguez, Pepe Peña, Pepe Lerdo de Tejada, Manolo Carmona, Julio Perez « El Vito », Alfonso qui avait conduit tant de camions chargés de toros, el Presidente des abonnés de la Maestranza toujours aussi grincheux et vindicatif et d’autres vénérables. Le Vito m’aperçut et me fit signe de m’asseoir avec eux. J’offrais des cafés et j’ouvrais tout grand mes oreilles.


Au bout d’un moment, arriva vers nous Cano et son épouse. ¡ Hola Cano ! ¡ Hola Canito ! ¡ Hola Paco ! Ils parlaient d’un peu tout, el Presidente s’énervait.


Paco, l’autre jour j’ai vu machin qui m’a dit que l’année dernière tu avais fait une photo de lui et de sa femme en barrera, tu lui avais dit que tu la lui ferais passer et tu as oublié…

¡ Hombre ! si tu savais combien de gens je photographie comme ça et ensuite je perds les clichés, je ne sais plus ce que j’en ai fait, j’en ai partout, j’ai du mal maintenant à les trier. Qu’il attende, peut être que dans vingt ans je la retrouverai sa photo !


- Cano, ça te fait quel âge maintenant ?


- Quatre-vingt-quatorze.


- Tu en as vu des toros, des toreros, des accidents…


- ! Hombre ! Ne m’en parle pas !


Et là, quelqu’un pose LA question dont je n’aurais jamais soupçonné qu’elle eut pu encore lui être posée.


- Et Manolete, Paco, tu y étais aussi ?


- ¡ Claro !


- Et alors, comment ça s’est passé ?


Je n’en crois pas mes oreilles. Je me dis que c’est pas vrai… Cano, il ne va quand même pas, pour la millionième fois raconter la mort de Manolete, le 28 août 1947 à Linares ! A tous ces vieux briscards qui connaissent l’histoire par cœur ? Hé bien si, il l’a fait ! Debout sur le trottoir, sa casquette blanche repoussée en arrière, mimant la faena avec ses mains déformées par l’arthrose, il nous a raconté comment Islero avait pris Manolete. Et soixante ans plus tard il y avait encore de l’émotion dans sa voix, de l’émotion aussi dans ses yeux rougis de vieillard. Sa femme, fluette, habillée très simplement d’un tailleur beige, tenant à deux mains un sac à main marron, est tout le temps restée derrière lui, effacée, silencieuse mais hochant la tête pour ponctuer les étapes du drame et en même temps nous faire comprendre que c’était la vérité, que cela s’était bien passé ainsi.


- C’est terrible ! Le pauvre ! Quel malheur !


Un peu plus tard, en jetant un œil sur les premières pages de l’ABC, d’El País et du Diario de Sevilla, j’ai cru lire qu'hier, à Linares, le grand Manolete avait été tué par un toro. Photos de Cano.


JLB

25 commentaires:

el chulo a dit…

extrait d'un article de l'immense durand dans libe : "Un peu plus tard, il photographiera le coup de corne d'Islero et se souvient même du bruit qu'il a produit : un bruit de jambe cassée «comme une planche qui craque». A la fin de la course, il se rend à l'infirmerie. Il voit le picador Pimpi qui tient la main de son maestro. Manolete bouge la bouche, tourne sa tête d'un côté et de l'autre mais aucun son ne sort. Plus tard, il le photographiera mort sur son lit avec la serviette pour lui tenir la mâchoire, le crucifix entre ses mains, les gens accablés autour du cadavre, dont Lupe Sino, la fiancée du torero. Un reportage de 200 photos qu'il négociera à la hausse à 1 000 ou 3 000 pesetas l'une, il ne sait plus bien, mais refusera d'en vendre à Lupe Sino. A l'époque, un ouvrier du textile gagnait 65 pesetas par semaine. Cano devient «le photographe de la mort de Manolete», les stars du Technicolor posent avec lui : Rita Hayworth, Ava Gardner, Gary Cooper, Orson Welles, Bing Crosby, Hemingway, que lui présente Ordónez et qui lui paie l'avion pour venir fêter son anniversaire. Il prendra avec lui de monumentales cuites à Pampelune."

Anonyme a dit…

L'anecdote ressuscite la gloire de Manolete avec l’émotion, la compassion que sa mort a soulevées chez les gens simples ; avec Chulo, on a la suite, le triomphe du photographe profiteur, froid et indifférent, gonflé de vanité et de cupidité.
Gina

Maja Lola a dit…

Anne Plantagenêt, dans sa biographie de Manolete édition RAMSAY 2005, illustre par de nombreuses photos de Cano la vie du maestro. Une signature d'autographes sur le capot d'une limousine, una cojida et un séjour à l'hôpital, la fameuse photo sur son lit de mort, visage serré par une serviette et Lupe en larmes ...
Il faut reconnaître que ses photos revêtent une charge plus symbolique et émotionnelle qu'artistique.
En tout cas, son oeil semble toujours à l'affût !

Anonyme a dit…

Je sens poindre, dans le commentaire précédent, l’irrépressible besoin de donner, du photographe Cano dont j’ai parlé, une description plus « critique ». Encore eut-il fallu que j’étalasse une quelconque admiration pour Cano et ce n’est absolument pas le cas. Je ne le connais pas plus que ça et je pense qu’il a toujours été excessivement roublard. Luis Miguel Dominguin disait de lui : « Canito no es trigo limpio ». Mais ils étaient en même temps très amis.
Jacques Durand, que j’admire, parle des prix exorbitants réclamés par Cano pour ses photos du drame de Linares. Salaud de Cano ! Indignons-nous, dans notre univers de bisounours, que l’on marchande ainsi la mort d’un ami. Salaud de Cano qui ne veut pas vendre de cliché à Lupe Sino ! Salaud de Cano qui a oublié qu’il en avait chié dans sa jeunesse et qui ne connaît plus le salaire misérable des ouvriers ! Indignons-nous. Salaud de Cano ! aurait crié Stéphane Hessen en espagnol.
Peut-on croire voire soupçonner que J. Durand porte un jugement « politique » lorsqu’il compare le prix des photos de Cano avec le salaire d’un ouvrier en 1947 ? Loin de moi la pensée d’un J. Durand contraint d’écrire selon le goût de « Libération ». Certes, je me pose des questions lorsque je lis dans ce journal, en janvier dernier, un article (point critique du tout) intitulé « Et l’Espagne zappa ses toros » à propos de la suppression des retransmissions des corridas sur la chaîne TVE. Illustré par un dessin d’un goût plus que douteux. Je n’ai pas compris comment ce cher Jacques Durand avait pu accepter cela. Salaud de Joffrin ! Sans doute un grand signe de tolérance et surtout, je crois, pourvu que ça ne perturbe pas sa partie de pétanque. Voila, c’est comme aux boules, ça touche l’une sans faire bouger l’autre. Là où d’autres font péter le cochonnet. Tolérance et pétanque n’étant pas mes passe-temps favoris, vous vous en seriez douté...
Je me marre : salaud de Cano qui vend une photo du Calife à la serviette trois mille pesetas et pauvre mastre de Marco qui vend son cliché du mayoral trois cent euros ! Et ils se font engueuler tous les deux ! Trois cent euros alors qu’un grutier de Marseille gagne quatre mille euros par mois ! Salaud de Marco ! Tu casses le marché. Indignons-nous camarades.
JLB

Marc Delon a dit…

je crois savoir que la seule chose que n'écrit pas Durand c'est le titre de ses articles, laissés à l'appréciation de son rédac-chef.

C'était l'Espagnol d'à côté qui vendait ses photos trois cent euros...

Il a eu bien raison Cano, de vendre très cher ces photos-là, mais je doute que ça l'ait remboursé de toute une vie d'investissement en matériel photographique et des consommables, chimie de développement, papiers, pellicules. D'autant qu'entre-temps il faut bouffer un peu de chorizo et payer ses factures.

Maja Lola a dit…

"Critique" ? Pas assez professionnelle et compétente pour me le permettre. Sans rapport avec la quelconque admiration que vous eussiez pu étaler et que je n'ai d'ailleurs pas perçue.
Pour ma part, simplement une appréciation toute personnelle sur les photos de Cano illustrant le livre de Plantagenêt.

el chulo a dit…

Décidemment, JLB!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Anonyme a dit…

Non non, Maja Lola, mon commentaire ne répondait pas au vôtre mais au premier de la liste, celui d'El Chulo. Que j'ai apprécié d'ailleurs parce qu'il a ouvert la porte à la discussion sur le côté déplaisant de Cano, en choisissant une figura maxima : J. Durand. Et vous avez raison Gina, d'écrire que Cano est distant et suffisant. Comme souvent ces nains à qui on a eu la malencontreuse idée de prêter attention.
Vous savez, lorsque j'ai assisté à cette scène, je me suis posé la question de savoir si Cano était gaga mais surtout si ses spectateurs étaient sérieux ou ironiques. Je crois que tout le monde était, tout simplement, andalou et du mundillo.
Quant à Marc, il aggrave son cas en appel puisqu'il revendique un prix encore plus bas pour ses clic-clac au Brownie-Flash. Le procureur parlait de 300 euros, le prévenu avoue 50! Le photographe a dit la vérité, il faut l'exécuter !
Et il n'était pas obligé de fayoter avec Cano : et gna gna gna que Cano il a bien eu raison de vendre aussi cher, et gna gna gna sur les dépenses en matériel. S'il arrêtait de photographier du king-size et du XXXL, ça coûterait moins cher en papier et en chimie. Et sa famille nourrie au Justin Bridou... Pitoyable !
JLB

Marc Delon a dit…

On a du mal à te suivre, JLB... je pense que parfois il n'y a que toi qui comprends ce que tu veux dire !

Anonyme a dit…

Ben oui, tiens ! J'ai écrit comme je me comprenais ! Ni fuerte ni flojo, en su punto, como el gazpacho de Campanillo !
JLB

Marc Delon a dit…

Ah ok... si l'essentiel est que tu te comprennes toi...

Bon enfin, si tes textes sont aussi intéressants que sont abscons et agressifs tes commentaires, on va se régaler ( ça s'appelle rester positif...)

Anonyme a dit…

Pourquoi tu mets un S à abscons alors que je suis le seul con à me comprendre et que je ne t'ai pondu qu'un texte pour l'instant ? Une Isa t'a dit un jour que tu pouvais être très blessant : hé bè je confirme, hou !
Et vous El Chulo, arrêtez de vous exclamer "Décidément JLB" avec dix huit points d'exclamation. Y en a qui pourraient prendre ça pour de la passionata...
Bon, les chéris chéris comme disait la Sapritch, vous me gâtez !
JLB

Marc Delon a dit…

et ceux à venir alors ? et gna gna gna...

Anonyme a dit…

Négrier
Je repars voir les experts de Manhattan
ljb

Ludovic Pautier a dit…

" mais refusera d'en vendre à Lupe Sino" ...il les lui a peut-être données , tout simplement parce qu'à elle il ne pouvait lui faire ça, la phrase de Durand étant elle aussi, absconne (j'ai pas pu m'en empêcher ). alors tout à coup Canito devient un altruiste. comme quoi.je me renseigne auprès d'une spécialiste de Lupe Sino et je ramènerai des infos si elle en a.

ludo

Anonyme a dit…

décidement, jlb, vous etes un prétentieux, un converso, assumez donc vos erreurs. l'histoire de cano, je peux vous la conter, pas si glorieuse que vous le prétendez ni moins ce qui n'a pas la moindre importance. et qui dira s'il avait du talent et lequel. pas vous ni moi, en tous cas, pas moi. il faut faire très attention, car dans le domaine de la corrida comme celui de la guerre d'espagne, nous sommes dans le domaine des faussaires, des morpions, comme d'ailleurs dans celui de nos glorieux collabos qui rejoignaint le 2e db à grandes enjambées.
chulo

Anonyme a dit…

Il est fada ce type !
Je répète, sourdingue ! Je répète que j'ai raconté une histoire et ensuite, répondant aux commentaires, j'ai dis que oui, le personnage de Cano n'était pas toujours agréable. Basta ! Je n'ai jamais chanté la gloire de Cano ! Vous savez lire ou quoi ? Et qu'est-ce que vous allez me conter sur Cano, vous ? Vous êtes qui pour me "conter Cano" ?
Mais qu'est ce qu'il vient me gonfler les amandons avec sa guerre d'Espagne et sa 2ème DB ?
S'il y a des faussaires qui vous hantent et des morpions qui vous grattent, je prescris : lexomyl et DDT y a la puta calle.
JLB

Anonyme a dit…

Les photos de linares sont Historique pour la bonne et simple raison qu'elles sont uniques, tout comme est unique la photo prise (pas par Cano) de Joselito dans l'infirmerie de Talavera.

Maintenant posons nous une question assez simple.
Hormis ces photos de Linares, quelles sont les photos de Cano qui auront marqué votre vie d'aficionado ?

Déja à partir de la nous pourrons nous faire une idée de l'importance du bonhomme en tant que photographe... Linares mis à part...
hummm

Marc Delon a dit…

Ludo, si l'on en croit le dernier film vu sur Manolete, l'influence ou même la présence de Lupe Sino était vécue comme néfaste par l'entourage et la famille du maestro, presque maudite et pestiférée, elle que l'on aurait empêchée de visiter son amant agonisant... ce qui l'aurait peut-être encouragé à lutter (!)
Dans ce contexte et peut-être pour ces mêmes raisons il n'aura pas cédé ? le petit macho.... qui effectivement ne s'est jamais spécialement distingué par son talent.
Botan marquera plus.

Maja Lola a dit…

Anonyme pose une bonne question : hormis les photos du drame de Manolete et des people de l'époque (dont Ava Gardner qui le captivait)il n'est pas certain qu'il ait beaucoup marqué la photographie.
Mais je viens d'avoir la curiosité d'aller le découvrir .... et il se trouve qu'il a eu une vie assez originale et atypique.

ENTREVISTAS ANTON CASTRO puis tapez "Canito" dans "Buscar".

Un tio listo, Canito.

Anonyme a dit…

Comme photo historique de Cano, peut-être celle du Che à Las Ventas, non ?

Anonyme a dit…

Euh… non même pas..
LA photo historique du Che est de Alberto Korda.
Il en existe d'autre de René Burri ou Eliott Erwitt notamment… et d'autres aussi.
Donc… bof..

Marc Delon a dit…

non mais là anonyme on parle de la photo du Che assis en barrera à las Ventas pas de la fameuse de Korda...

mais bon le problème n'est de toute façon pas là : une photo peut-être "historique" par son contexte sans que le photographe soit talentueux...

Anonyme a dit…

J'ai bien compris oui...:/)
Et je confirme, "l'historicité" de la photo du Che en barrera est à mon sens toute relative eu égard ce qu'il existe comme autres photos ailleurs...

Marc Delon a dit…

voilà : c'est une photo non historique d'un personnage historique faisant du tourisme taurin à las ventas !