jeudi 3 novembre 2011

Parenthèse Orientale


Une jeune lectrice de ce blog ayant vécu un émoi aussi vaporeux que "frictionnel", m'adresse ce texte. Ma foi, pourquoi pas, si elle se sent bien ici. Evadons-nous avec elle, tout nus et à la queue leu-leu, couverts de savon noir dans les volutes de brouillard chaud... Il n'y a pas que les toros et les photos, dans la vie... Voici donc une narratrice qui nous fait vivre son expérience au travers de son double, Manuela...



Manuela passe tous les jours devant cette façade ocre décorée d’arabesques. Son regard est attiré par l’enseigne : « Hammam oriental ». Dans une rue bruyante et passante d’un quartier sans attraits, cette entrée détonne auprès de garages, boulangeries et autres petits commerces.

Puis un jour d’oisiveté, de curiosité, la décision est prise … elle pousse la porte.

« Bonjour. Quelle est votre pointure ? »

Et l’hôtesse lui remet une paire de sandales de plage.

Coup d’œil circulaire …. Décor d’orient, faux moucharabiehs en pur matériau synthétique, tables basses « marrakech » où s’étalent des théières argentées ouvragées, multiples tapis colorés, miroirs shéhérazade, salle d’attente, sas de décompression avant le passage dans l’arrière salle ….

Mais il faut encore sacrifier à l’étape suivante, moins exotique : vestiaires très piscine municipale où l’on se déshabille, se démaquille pour se dépouiller de tout ce qui peut faire obstacle à l’exposition du corps à cette vapeur intime, bienfaisante et complice.

Traversée d’un salon où des nattes moelleuses attendent les corps qui voudront bien s’abandonner, plus tard, quand ils leur seront rendus détendus, lascifs et consentants.

Soudain, la peur de la nudité la terrorise. Et si elle était la cible des regards ? Non, elle n’a pas honte de son corps mais cette exhibition soudaine la paralyse. Ce lieu l’intimide.

Mais, curieusement, dans l’atmosphère douce, ouatée, entourée de ces femmes qui lui semblent tout à coup complices, elle lâche prise et se défait de sa serviette.

Apparaît la salle des ablutions. Début du rituel ….. Elle se oint d’un savon noir pâteux qui glisse sur la peau mouillée, s’immisce dans tous les creux, les pores … puis elle pénètre dans l’antre, le cœur du volcan : salle ouatée, bruits étouffés, vapeur légèrement odorante, carrelage blanc immaculé, soleil qui tente de percer à travers un vitrage martelé opacifié par la moiteur ambiante. Il n’y a plus qu’à fermer les yeux, lâcher prise, se laisser saisir par cette chaleur humide à la fois douce et violente, apaisante et stimulante au gré des entrées en force de jets de vapeur, comme des attaques sournoises et intempestives d’un volcan invisible et capricieux.

La léthargie et l’abandon à ses songes sont interrompus par ces tempêtes, parfois si denses qu’il devient impossible de rester plus longtemps dans la pièce …. Une sortie précipitée devient urgence. Une fois, deux fois encore, elle affrontera l’orage brûlant mais captivant, cette morsure de la chaleur qu’elle réussit à dompter.

Puis le massage râpeux de la Loofa la réveille, l’étrille, la purifie. Moment de stimulation que couronne une douche froide vivifiante.

« Votre thé à la menthe, avant ou après le massage ? »

Avant. Elle a besoin de reprendre ses esprits, de se situer dans cet espace inconnu et intemporel, de revenir sur terre.

Abandon sur une natte moelleuse, dans l’attente de l’huile parfumée qu’elle sent couler sur le corps.

Le massage commence. Des mains féminines et complices, des mains auxquelles elle s’abandonne sans équivoque, en confiance, en toute connivence. La détente est totale, le « voyage » se poursuit. Pas envie qu’il s’arrête. Elle sourit : « Je dois avoir du sang maure, juif, chrétien … « se dit-elle en se souvenant de ses racines andalouses. Sept siècles ! Sept cents ans de cohabitation harmonieuse où mosquées, synagogues, églises étaient nombreuses dans son Andalousie, où les échanges humains, culturels, se produisaient en toute tolérance, où la créativité musulmane avait laissé des trésors d’architecture merveilleux, démonstration de ce que les hommes savent bâtir avec génie et beauté.

Manuela ferme les yeux. Le massage est long, doux, professionnel … Ses pensées semblent comme perdues dans cette moiteur, le cerveau ne répond plus. Ce doit être cela qu’éprouvent les gens qui expérimentent la fameuse « sortie du corps ». Corps abandonné dans l’intemporel … chaque geste de la masseuse lui rappelle une main amoureuse, une caresse oubliée qui devient presque « ressentie ». Oui, elle se remémore d’autres instants … il caressait ce creux de reins, sa main ralentissait pour s’attarder sur les fesses, caresse ronde, douce, chaude …

« Vous vous allongez sur le ventre ? »

Son regard s’attarde sur les femmes qui l’entourent. Aucun signe social distinctif. Corps nus et anonymes, tous à la recherche du bien-être et de la parenthèse enchantée du lieu. Seins lourds ou à peine esquissés, largeur de hanches, croupes puissantes et voluptueuses ou bassins étroits et androgynes … chaque corps « parle », chaque courbe évoque une histoire, un poème, un âge pas toujours définissable … Quelle importance ? Elle se prend au jeu de l’imaginaire et réalise le plaisir éprouvé à cette observation sans aucune arrière-pensée. Elle aime, sans ambigüité, le sexe opposé. Mais le trouble qui s’empare d’elle, ce bien-être, ne sont-ils pas en réalité les signes d’une irrémédiable et incontrôlable reconnaissance des êtres de son sexe. Union sacrée, complicité mythique de toutes les femmes ? Amies, inconnues, dans ce gynécée où toute la connivence et la générosité féminines se dévoilent, où confidences, conseils, consolations, solidarités, deviennent leur force et leur courage ?

Elle les observe. Femmes musulmanes, européennes, tous âges confondus, mères, épouses, amantes. Pas de discrimination, ni racisme, ni différence sociale : femelles, lascives, complices, rieuses, rêveuses, posées.

Le temps s’est à nouveau arrêté. Elle ne sait plus où elle se trouve. Comment expliquer ces picotements soudains sous la peau, si doux, comme des milliers d’ailes de papillons qui l’effleurent, ce petit courant qui parcourt ses reins, cette chaleur soudaine entre les cuisses qui remonte et se glisse plus haut, dans un lieu dédié à d’autres visites, d’autres honneurs, d’autres caresses ?

La raison n’est plus là. Plus question de convenances, de contrôle, de maîtrise … Livrée à qui ? Consentante à quoi ? Questions inutiles. La sensualité du lieu, la complicité virtuellement rassurante de ces femmes, la détente, l’émotion profonde de ces instants, le corps purifié et offert, tout concourt à faire exploser et s’épanouir ces sensations.

Tout naturellement elle pense à la burqa : ces femmes enfermées dans leurs tombeaux de bure donnent une image tellement triste et vide, tellement éloignée de ces libertés du corps exposé objet de tant de soins.

Faut-il que le vêtement protège, masque, enferme, pour mieux libérer le corps dans l’intimité ? Pour mieux le faire exulter avec raffinement ? Ces femmes musulmanes, dans l’intimité la plus cachée de leur hammam compensent-elles l’aliénation de leur soumission vestimentaire ?

Rhabillage au ralenti de Manuela. Ses gestes sont lents et calmes, chaque vêtement reprend sa place.

La rue bruyante, l’agitation, les embouteillages l’attendent … qu’importe : elle a repris sa voiture calmement, sereinement …. Un feu rouge la stoppe. Elle se sent bien … un jeune homme dans sa voiture arrêtée la regarde et lui sourit … oui, elle se sent bien.

Manuela appuie sur “Play”…. « Fly me to the moon » chante Sinatra. La vie est belle !


22 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci a Manuela de nous dévoiler les secrets de cette enseigne ocre "Hammam oriental", je passe aussi tous les jours devant et je m'étonne des mêmes choses,ce hammam dans cette rue, quel contraste, quel paradoxe , mais que peut il y avoir a l’intérieur? Me voilà informée , rassurée, encore un peu de temps et je passe à l'action, j'y vais !!!

Victorina

Marc Delon a dit…

ce dont il faut le plus se méfier finalement c'est du regard du jeune homme au feu rouge, émoustillée comme on l'est par la loooooooofa...
et dire qu'à 500m de là vous pouviez avoir un vrai massage par un homme de l'art aux mains chaudes et non pas une friction par une grosse dondon... mais ça je j'avais déjà remarqué : plus c'est pipo et exotique, plus ça plaît aux femmes... c'est surtout leur imaginaire qu'il faut toréer...

fly me to the moon, ouais... et pourquoi pas "sex me to the..."

explication à l'auteur : j'aime jouer les cyniques provocateurs, ne vous offusquez pas jeune fille... ;-)

Maja Lola a dit…

Je trouve ce texte très ..... intime. D'une intimité peu compatible avec le cabinet de Don Marcos (à son grand dam apparemment). Heureusement, parce qu'il nous te mettrait en ligne de ces textes post-papouilles .... !
Non, je plaisante. Marc est un vrai professsionnel respectueux du secret professionnel.

"C'est surtout leur imaginaire qu'il faut toréer ...". Tout à fait d'accord Marc. Et là, la partie n'est pas gagnée.

Je préfère "Fly me to the moon" par Tony Bennet.
En tout cas merci pour cet épisode féminin sur ton blog ... ça change un peu des toros et des mamies à bigoudis et prouve que tu es assez généreux pour "partager" ton espace avec d'autres sensibilités.

Anonyme a dit…

"Quelle est votre pointure ?"
J'ai eu peur, mais j'ai eu peur !
Il s'agissait des babouches.
On pourrait envoyer ça à "Charlie Hebdo".
JLB

Maja Lola a dit…

Malheureux ! Ne donnez pas des idées pareilles ... Marc, s'il faut t'héberger, on est là ...

Anonyme a dit…

Dis,Marc, tu l'invites au repas ta jeune plumitive ? Et le savon NOIR, pas de Marseille fatche de con !
Ya se me hace la boca agua !
Ole ole y ole !
JLB

Anonyme a dit…

C’est une fort élégante page. Le déroulement précis de la séance avec ses divers moments ponctués de sensations, l’éveil des impressions, des souvenirs, nous sont livrés avec sincérité et pudeur.
Pas facile de s’exposer nue même devant des femmes, notre culture s’y refuse. C’est une expérience courageuse... qu'on la vive ou qu'on la raconte;
Gina.

Anonyme a dit…

Ce texte est un vrai loukoum. On en dégusterais bien allongé et allanguis.
C'es tu thé a la menthe avec des pignons ?

Marioleplombier

Anonyme a dit…

"Bienheureux les simples d'esprit, le royaume des cieux leur appartient".
La pauvrette ignore sans doute la signification, en argot américain, de "Fly me to the moon".
Ben oui, Sinatra, DSK, Dean Martin, Berlusconi... pensent qu'au bonga bonga.
JLB

Maja Lola a dit…

"Honni soit qui mal y pense" M. JLB.
Ce n'est pas parce que vous cataloguez les Sinatra, Berlusconi et autres DSK parmi les obsédés du bonga-bonga (la belle découverte ...) qu'une chanson qui parle d'amour chantée par l'un d'eux n'évoque pour vous qu'une saillie culbuteuse.

Et bien moi je suis comme cette jeune Manuela, aussi "simple d'esprit" ... j'adooooore "Fly me to le moon". Et peu me chaut que vous lui attribuiez une signification argotique certainement grossière (?). Je ne connais ni ne veux connaître l'argot yankee, mais ce qui me fait plaisir. Et si le royaume des cieux m'est ouvert, j'espère faire un loooong sejour au 7ème (ciel, bien sûr !)

Marc Delon a dit…

Moi j'ai joué des bongos et des congas mais pour le reste vous tambourinez de travers, c'est du Bunga-Bunga qu'il s'agit !
Un spécialiste des per cul ssions.

Anonyme a dit…

Les "simples d'esprit" dont a parlé JC n'ont rien à voir avec les "pauvres d'esprit", les "simplets", les "niaïs" provençaux, los "mentecatos", les idiots, les crétins, les abrutis.
Faut revoir votre catéchisme, dame patronesse.
En montant au septième ciel, arrêtez-vous donc sur la lune.
JLB

Maja Lola a dit…

Tu as "percuté" aussi ? Je comprends maintenant ton goût pour ton voyage à la Havana. Merci pour la précision orthographique sur le Bunga-bunga qui manquait à ma culture.

On ne peut pas faire de contrepèterie avec cette affaire ? Parce que je vois que sur le blog de Chulo tu t'en donnes ... !

Maja Lola a dit…

Mais c'est bien dans le sens de JC que j'ai pris "simple d'esprit" ... parce que si l'avais pris dans le sens que vous exposez avec votre riche et documenté vocabulaire, je n'aurais même pas répondu.

Dame patronnesse ? Ma foi pourquoi pas (quelque chose me dit que vous êtes d'une clairvoyance rare).
C'est peut-être pour cela que j'abuse honteusement de la verveine et que je me roule comme une dévergondée dans le boutis.
Tiens, ce soir, pour changer, j'ose une folie ... un tilleul ! ... à moins qu'une camomille ....
Dommage que l'épisode cévenol occulte la lune .... car je ne pourrai pas y faire une halte avant mon septième !!!

el Chulo a dit…

ouais mais j'ai pas compris, je suis nul pour ce truc, manque de 3eme degré surement. moon c'est la lune non? je vois en argot ce que celà peut donner. et puis, en plus le sirop sinatra ça n'a jamais été mon truc!même pas claveau d'ailleurs!que mon père ne détestait pas! pourquoi pas joselito, el ruisenor?

el Chulo a dit…

ah j'allais oublier, très classe la photo! ça donne vraiment envie!

Marc Delon a dit…

De quoi doit-on avoir envie ?

de la dame assise ?

de son alimentation ?

de son fauteuil de chair ?

de son air de professeur en chaire ?

de sa couronne ?

de ses jolis accoudoirs ?

d'un anorexique en os ?

d'un cellu M6 ventouseur ?

de mains palpeuses et palpatrices ?

d'un corps impalpable ?

d'un Papaandreou où ?

Une bonne photo est-ce nécessairement une photo qui donne envie de son sujet ?

Maja Lola a dit…

Ne cherche pas trop Chulo ... on n'est pas dans la haute philosophie. Mais plutôt dans la "comedia", la "burla" dont parle XK dans son dernier post.
Oui, moon c'est la lune et dieu sait si cela en évoque, des "images". Et tu sais le sirop c'est comme tout : il ne faut pas en abuser mais on a parfois besoin d'un peu de douceur.

Apparemment la dame de la photo a eu besoin de beaucoup de douceur ...
J'aime cette photo. Surtout pour l'originalité de la composition du sujet tout de chair constitué.
Le photographe est très créatif !
En plus, il a fait l'économie d'accessoires décoratifs.
Cette ronde opulence fellinienne de chair doit tout de même éveiller quelques envies, non ? Ne serait-ce que d'aller par curiosité vérifier la stabilité de la construction ... quoique l'assise semble solide et les étais latéraux en bon positionnement.
Je m'inquiéterais pourtant pour la couronne posée en oblique qui risque de déséquilibrer la construction.

Anonyme a dit…

Que la photo soit bonne techniquement parlant, n'en doutons pas. Elle est construite avec art. Conçue, on se demande comment : les pièces du puzzle ont-elles été assemblées empiriquement ou l'artiste avait-il son plan dans la tête ? On imagine la manipulation et l'assemblage des objets qui sont des femmes ! Ensuite, ces chairs rebondies ou pas avec des rondeurs qui luisent, bien agencées, érotisme assuré, je les verrais bien illutrerant le mur de la salle d'attente d'un kiné qui ne recevrait que des hommes. Personnellement je préfère Le Bain turc d'Ingres,les chairs s'y étalent avec naturel.
Donc oui Marc, même un roman bien écrit, selon son contenu on n'en continuera pas la lecture. C'est mon humble point de vue.
Gina

el Chulo a dit…

ben écoute, conscient de n'avoir pas tes lumières photographiques, je trouve toutefois cet amas de culs et de cellulite très laid!

isa a dit…

par association d'idée à propos de moon:
http://kissingthemoon.blogspot.com/2011/09/grisha-selivanov.html

Maja Lola a dit…

Merci pour le lien Isa. Belle découverte. J'ai beaucoup aimé la série "Covering".