samedi 12 novembre 2011

Six et cinq ?

Cela faisait bien onze heures que je dormais. Faut dire que la veille, j'avais éclusé onze Mojitos au Shoot Bar. Cela m'avait d'ailleurs coûté un bras, mais la serveuse était si jolie et si gracieuse que j'aurais eu l'impression de la décevoir si j'avais répondu « non » à ses sollicitations enjouées. Ça, c'est du personnel. Je dormais et je rêvais d'un type qui tournait la manivelle d'un panier à salade grillagé où dansaient des boules de buis numérotées devant un parterre de vieillards aux doigts crochus et aux yeux plissés. Crachotant dans son micro nasillard, il s'est soudain écrié :

« li cambe de moun grand : onze ! »

Puis, cette scène s'est évanouie et j'ai rêvé que je m'éveillais. Sur la table de chevet, le réveil à affichage digital indiquait de ses gros chiffres rouges aux contours encore flous, onze heures, onze minutes et onze secondes. Je me suis alors rappelé que nous étions le onze novembre 2011. Ça foutait la trouille. J'ai traîné ma carcasse jusqu'à la cuisine où la cafetière High-Tech m'apprit qu'elle venait de moudre pour moi onze grammes de café dans une tasse de, devinez combien ? Oui, onze centilitres. Là, l'angoisse montait peut-être bien jusqu'à onze sur l'échelle de Lexomil qui n'a pas plus de douze gradations. J'ai pris l'ascenseur quittant mon onzième étage – putain – pour rejoindre le petit marché de producteurs qui se tenait tous les vendredis sur la place... Pie XII. Ouf. J'avais lu quelque part que les brocolis renfermaient un taux phénoménal d'anti-oxydants dont on avait besoin pour paraître plus jeune, disons... onze ans de moins, à peu près.

  • Combien je vous en mets ?

  • Une douzaine, ça ira...

Je lui ai donné onze euros et j'ai attendu la monnaie en vain. Sur le chemin du retour, j'étais fort troublé car il m'a bien semblé que le type avait six doigts à une main... Me retournant j'ai compté les étals : il y avait onze marchands, que vous me croyiez ou non. J'ai relevé le courrier dans la boîte aux lettres. Il y en avait... une. Dans l'ascenseur qui me remontait à l'étage que vous savez, pris d'un doute, j'ai entrouvert le sachet de papier Kraft et compté les brocolis. Il y en avait onze. Suspicieux, j'ai appuyé à nouveau sur le bouton RDC que j'ai atteint en onze secondes pétantes. A la remontée itou. Mon Iphone a vibré, c'était mon ex-femme qui par SMS m'enjoignait de venir partager son horrible gâteau au yaourt qu'il m'avait fallu consommer onze ans durant, en n'omettant jamais de feindre de m'extasier sur sa texture « d'estouffagary » comme on dit sur la place Massena de Nice. Pour l'anniversaire de notre fils qui fêtait ses... oui, exactement. Cette perspective m’écœurait un peu plus mais bon, pour le petit, fallait y aller. A tous les coups il faudrait que j'aguante les regards en coin de ses trois copines abandonnées aussi par leurs mecs respectifs, qui composaient sa nouvelle famille dont l'occupation principale était de dauber sur les hommes, ces grands irresponsables partis pour de plus jeunes et accortes camarades de jeux. Enfin, ça, c'était la version sociétale communément admise. En vérité, si chaque fois qu'ils étaient rentrés fatigués, contrariés ou angoissés, elles avaient pris la peine de les sucer plutôt que de leur tirer une gueule de six pieds de long, rancunières et mesquines, elles auraient encore un mari.

La dernière relation sexuelle que j'avais eue remontait à onze mois. Une jeune femme pleine de vie, de onze années ma cadette, vibrante, gaie, insouciante, sensuelle, magnifique, capricieuse, jalouse et au bas mot, onze fois plus chiante que toutes celles que j'avais connues. Mais tellement vivante.

J'irais donc souffler les onze bougies avec Enzo devant le harpie-team. Je décidais d'y aller super sapé, rasé et parfumé par Guerlain histoire d'inspirer le plein épanouissement célibataire pour faire des envieuses. Machinalement j'ai regardé le road-trip du tableau de bord qui m'indiqua un truc que je n'avais jamais remarqué : elle habitait à onze kilomètres de chez moi. Elle commença par me reprocher mes onze minutes de retard tandis que j'eus la délicatesse de ne pas remarquer les onze kilos qu'elle avait pris depuis notre séparation. Je fus particulièrement gentil et distingué avec ses trois copines pour chacune desquelles j'eus un compliment ou un mot gentil ce qui l'ulcéra en silence. Elle me balança ma part de gâteau au yaourt ce dont je la remerciai chaleureusement sans y goûter. Je fus particulièrement paternel avec mon fils et agréable avec la plus jolie de ses amies à qui je fis sentir ostensiblement par quelques regards insistants que ses longues jambes parlaient à ma fragile condition d'homme qui n'en n'avait pas caressé depuis onze mois. Peu de temps après, au sommet de l'intérêt que les trois femmes portaient à mon discours spirituel et habile, je pris congé pour les laisser dans la banalité de leur terne après-midi matriarcal. Pour elle, d'un hochement de tête, pour les deux anodines, d'une amicale poignée de mes grandes mains toujours chaudes, tandis que je fis la bise à la surprise de la plus jolie en lui pressant le bras afin de fracturer quelque peu la magnifique solidarité fémi...niste, qui les unissait. Dans les yeux de mon ex-femme, onze balles traçantes de gros calibre luisaient. Au volant, sur le trajet du retour, la radio bien forte, j'ai chantonné tout au long des onze kilomètres qui me séparaient de mon appartement. Cette visite m'avait finalement comblé.

Chez moi, j'ai mis une version cubaine très langoureuse du fameux standard ''Besame Mucho'' , je me suis servi un vieux rhum de là-bas, puis j'ai allumé un module de « Romeo et Juliette » mielleux à souhait, aux effluves de cuir vieilli et aux notes empyreumatiques de bois tropicaux. Il n'y avait personne pour me reprocher de boire ou d'empuantir l'appartement, c'était bon. En suivant des yeux la première volute de fumée classieuse, il me semblait être aussi léger qu'elle. J'ai crapoté une ''onzaine'' de ronds de fumée, le plus récent traversant celui, plus élargi, qui l'avait précédé. Puis j'ai ouvert la lettre. Là, il m'a semblé que quelque chose clochait : un ami m'adressait un billet pour le France-Etats-Unis du soir-même au Stade de France. Il n'y avait que deux équipes qui s'y affrontaient... mais il est vrai que le football se joue à onze contre onze.

« Quine » a hurlé une castafiore au fond de la salle, en brandissant son carton.

22 commentaires:

el Chulo a dit…

ça c'est excellent!

Marc Delon a dit…

comme un couillon j'allais dire : je trouve aussi ! ou quelque chose comme ça.. en fait j'avoue avoir éprouvé beaucoup de plaisir à l'écrire (en une heure onze minutes et onze secondes bien sûr...)

Marc Delon a dit…

Chulo (et les autres, El Jipe, etc...) j'ai rajouté une phrase après "camarade de jeux" :

c'est mieux avec ou sans cette phrase ? :-) je souris mais je déconne pas, votre avis svp...

Maja Lola a dit…

Chouette et amusant texte qui aurait pu inclure "les jambes de Simone" (11, nommé au loto ...)
Phrase de trop Marc ...

Anonyme a dit…

Onze, six et cinq..............
Ce texte crée la surprise avec son emploi nostalgique de l'imparfait, et des « cela » - comme on n'en avait jamais rencontré -, un respect de la grammaire et de la ponctuation, un registre soutenu (alors que la familiarité serait prête à revenir au galop), un rythme modéré - du jamais vu -, ce retour habile du « onze » qui rythme une progression calme et méthodique.
Tant de littéralité nous renvoie à de belles pages de grands écrivains. C'est Camus, le début de L'Etranger, qui a soudain surgi de mon inconscient avec la répétition du « deux » quand le personnage parle de la mort de sa mère.
J'en conclus qu'on a droit à une jolie nouvelle en apparence fantastique dans laquelle fantasmes et préoccupations les plus quotidiennes ont trouvé à s'immiscer.
Bravo. tant pis pour la modestie.
Gina

Marc Delon a dit…

Bon, comme c'est la journée de la gentillesse, cette fois-ci je ne couique pas Gina même si je me sens ridiculisé avec Camus, et en public...

Anonyme a dit…

J'espère qu'il n'y a pas de "Ginette" parmi les bloggueuses, sinon, elle se sentirait... je ne sais pas quoi... en se rappelant le "11, les jambes de ginette"! hurlé dans toutes les salles où s'affichait "CE SOIR GRAND LOTO".
Pipelette

Anonyme a dit…

Je te l'ai toujours dit, que tu étais bien meilleur quand tu ne parlais pas de toros...

Du coup je ne signe pas!

Pedroplan a dit…

Et personne n'a servi le bouillon de onze heures ?

Maja Lola a dit…

C'est un dompteur ?
Apparemment, vu le sourire épanoui de la dame .... l'affaire est dans le sac !

Marc Delon a dit…

j'adore l'amorce du demi-tour par soulèvement du pied qui répond à l'entrebaillement de la porte... et l'autre pied qui tente de résister pour rester face à la clientèle - il est en train de travailler - bien qu'il soit incapable de résister à l'appel de madame. Celle-ci je crois ne lui sourit pas mais s'apercevant que je les photographie, préfère soudain sourire plutôt que de lui crier ce qu'elle avait à lui dire...

Maja Lola a dit…

Ah .... Et qu'est-ce qu'elle avait à lui dire ? "Au lieu de faire le pitre tu ferais mieux d'aller chercher le pain !"

Marc Delon a dit…

Ouais, sûrement... un truc romantique dans ce genre, ou bien alors :
et tu n'oublieras pas de mettre ta veste au sale si tu veux que je te la lave pour Tarascon...

à moins que ce soit pire :

et c'est normal le tigre en liberté là-bas, qui s'attaque aux petits ?

Anonyme a dit…

Pour moi, ce serait une réussite cette photo, pas seulement pour ses éclatantes couleurs qui accompagnent le sourire non moins éclatant de la dame, mais par toutes les hypothèses qu'il soulève.
Elle doit dire "bonne chance mon chéri, reviens-moi vite" et c'est la perspective d'un moment de paix qui l'enchante. Comme quoi, Lola et Marc, c'est un peu de soi que chacun projette.
Gina

Marc Delon a dit…

Ouais, c'est pour ça... le "reviens-moi vite pour vivre la paix enchantée" au bout de 50 ans de mariage j'y crois pas du tout !

Ceux qui le vivent disent plutôt :
"mais qu'il y aille, que j'ai un peu la paix !"

mmmmmm ?

Mais bon je vous expliquerai ça le 12/12/2012...

Pedroplan a dit…

C'est peut-être du vélo qu'il a envie, le dompteur.

Marc Delon a dit…

Isa, il me semble bien que cela fait onze fois que tu me le dis...

Marc Delon a dit…

Merde, j'ai oublié, j'avais le projet de limiter les commentaires de ce post à ONZE histoire d'être cohérent...

Anonyme a dit…

Donc il faut au moins atteindre Vingt-deux!

Anonyme a dit…

V'là les flics !

Roberto Lebalafrais

Anonyme a dit…

Ce vélo suggéré par Pedroplan pose tout à coup question : que fait-il là ? pourquoi attire-t-il son regard ?
le reconnaît-il ?
Moi j'ai ma petite idée ...

Fripounet

Anonyme a dit…

Personne d'autre n'a une idée .... ?

Et si ce vélo le faisait penser à la Brigade Cycliste célèbre qui patrouillait jadis (22 v'là les flics) nommée "Les Hirondelles" ?

Ainsi nous atteignons les 22 commentaires pour Marc et le sortons de son embarras de dépassement de quota à ONZE.

Marisette