vendredi 16 décembre 2011

Sur le Quai

J’avais bien reconnu la silhouette d’Alain Montcouquiol tandis que sur le parvis de la gare de Nîmes, je promenais mon labrador en attendant l’heure du train qui venait de Paris. Un peu plus tard, nous sommes montés sur le quai C et sommes allés nous placer devant le repère W, à l’emplacement où la voiture 7 devait s’arrêter.
Il était là avec son baluchon, en partance pour Montpellier ou Perpignan.

Je m’étais mis un peu en retrait, comme d’habitude, afin d’éviter que les débordements de joie de la chienne n’encombrent tout le quai…

C’est lui qui m’a abordé en me demandant quel âge avait mon labrador. J’ai dit trois ans. Il caressé la chienne ravie de l’aubaine et il a dit que ces chiens-là, c’était ce qu’il y avait de plus adorable. Il a parlé de celui de son neveu :


"Il s’appelait Max. Et il est mort, il avait 13 ans. Mon petit neveu ne s’en est pas remis. Il s’appelle comment votre chien ?"

J’ai dit Adèle. C’est une chienne. Elle est belle comme tout, a-t-il-dit.

Ah, je le dirai à mon neveu que j’ai rencontré une chienne comme Max.

Et je lui dirai qu’elle s’appelait Adèle. Il sera content.

Vous êtes bien Nimeňo ? ai-je demandé.

Oui, oui, c’est moi. Enfin, Nimeňo, n’est-ce-pas, c’était plutôt mon frère. Moi, je crois que je manquais un peu de courage…

Je lui ai dit que je l’avais vu toréer. En Arles. Et puis au Grau-du-Roi. Ailleurs aussi. Je ne lui ai pas dit (mais je le pense) qu’il était le plus doué des toreros français de son époque.

Et puis je lui ai dit que j’avais lu son livre.

Le dernier ?


Oui, celui qui vient de sortir.

J’avais lu l’autre aussi. Mais que je venais d’acheter et de lire le dernier. Et qu’il était bien.

Il est un peu triste, vous ne trouvez pas ? a-t-il dit. Et avec un geste d’excuse : Je ne sais faire que ça.

Il avait un air infiniment triste en disant cela. C’était comme s’il s’excusait. Et cela m’a ému, cette souffrance que rien n’atténue, pas même le temps depuis la tragédie. Comme si une chape de tristesse s’était emparée à jamais de lui. C’est pour ça que je consigne aujourd’hui ce bref échange avec un homme triste. Le TGV arrivait. Je lui ai dit que j’avais toujours pensé qu’il avait été un bon torero. Mais aujourd’hui, ce qui était sûr, c’est qu’il était un véritable écrivain.
Pedroplan





6 commentaires:

el Chulo a dit…

voilà un texte magnifique!
bravo!
rien à ajouter ou oter!

Maja Lola a dit…

Je trouve votre texte très beau Pedroplan. Il me semble que vous avez saisi avec finesse et pudeur la profondeur humaine et discrète de cet homme.
Sa plume est limpide, délicate et triste ... et sa discrétion mesurée masque sans nul doute des orages très intérieurs.

Marc Delon a dit…

Ayyyyyyyy Pedroplan, c'est la gloire ! Il m'avait envoyé ce texte en commentaire mais l'ayant apprécié aussi, je l'ai publié à la une ! Le voici donc bombardé collaborateur de "Photosmotstoros" !!! ( Comment ça y'a pas d quoi être fier ?)

Maja Lola a dit…

Ne serait-ce pas ce charmant garçon que j'ai initié à la tilde ?

Anonyme a dit…

En tout cas, ce texte empreint de douceur,prouve que le fait d'avoir toréé n'interdit pas l'amour des animaux, contrairement à ceux que tant d'autres pensent.
Gina

Pedroplan a dit…

Mais si Maja. Et je suis très fier, Marc.