jeudi 26 juin 2014

Durand Pédagogue

Voilà, c'est exactement ''ça''. Ce qui distingue le tauromache de l'aficionado, ce qui différencie celui qui connaît de celui qui aime. Celui qui a du recul, ce peine à jouir, à l'expérience tatouée sur la sensibilité, face à l'enthousiasme et la naïveté du jouisseur précoce. Ce savoir cynique, d'Ayatollah pour beaucoup, mais sage et juste, face à l'endoctriné, outil facile de desseins plus obscurs. Ce non-dit, sépare le béotien emballé par tant de triomphes reproductibles, du spécialiste, tant il serait périlleux d'enseigner là, en accéléré, au sortir d'une course, entre deux verres, ce qu'un long cheminement en aficion a, petit à petit, révélé, exemples et comparaisons à l'appui. 
Il faudrait prendre un tel élan, partir de si loin, se lancer dans de telles explications aux nuances alambiquées, que, le plus souvent, ''Ayatollahs'' et ''Parisiens'' (en gros tout ce qui vit à plus de cent kilomètres de Nîmes, Sud-Ouest excepté, tout ce qui est trop riche et mondain pour être critique, tout ce qui préfère le Champagne, les huîtres et le foie aux anchois - petite bête déjà trop encastée - picholines, cacahuètes, sangria, merguez et Ricard, tout ce qui est si snob qu'il préfère s'associer au triomphe, de peur de donner l'impression de n'avoir pas su ''voir'' cet important ''triomphe'') s'en retournent dos à dos plein de morgue et de mépris...
"ça", c'est ce que décrit Jacques Durand dans sa dernière page taurine intitulée
''Joselistres'', ''ça'', c'est cette foule de détail accumulés, ce discernement de l'âme, cette discrimination de l'esprit qu'en peu de mots il décrit. Et ce pédagogue, béotiens applaudisseurs d'habitude, si vous savez le lire, vous fera gagner plusieurs années de cheminement vers la lumière...
Soit... pour celui qui voudrait... car il y a aussi celui ou celle qui vient pour la musique ou les oeillets ou le fessier de Joselito. Mais là, même Jacques Durand n'y pourra rien, c'est bien ton droit, spectateur !



EXTRAIT :

... Dimanche, Joselito est revenu exceptionnellement pour une corrida. Il tombait une pluie fine mais Joselito, comme aux plus beaux jours, était comme un soleil. Au-delà des trophées, 4 oreilles, une queue, le mot exceptionnel garde sa vérité.
Ne serait-ce que pour la magie de ses deux splendeurs qu’il serait aussi opportun de définir comme deux manifestes rayonnants. Deux manifestes du grand toreo. Du toreo exhalé comme un souffle et non pas rabâché comme un pensum, du toreo de muleta en avant, de pieds bien à plat, de toreo por dentro, de toreo sans piétinement ni replacement, de toreo sans pico, de toreo le corps droit et avec le ventre de la muleta, de toreo lucide et passionnel à la fois, de toreo d’abord pour soi dont l’émotion giclait sur tous de chacun des gestes, de toreo sans ressassement, sans démagogie, sans faute de goût, sans dosantinas, de toreo sur les reins, cœur et ventre en avant mais sans ostentation, de toreo arrebujado, réuni, fusionné avec le toro. Aux sons de l’Hymne à l’amour qu’il avait demandé cet hiver que la musique lui joue au cas où, puis du Concerto D’Aranjuez, Joselito, jamais essoufflé, jamais pris de court, toujours concertant n’a pas seulement estoqué Bravucon et Floron et bouleversé les arènes du Palio. Il a envoyé aux oubliettes cette exaspérante et actuelle tauromachie de demi-passes extirpées dans les cornes à des toros arrêtés, exténués, forcés, niés, dans leur être de toro. Niés dans leur être de toro par des toreros qui veulent à tout prix montrer qu’ils toréent, alors que c’est quand on s’oublie qu’on torée le mieux.
Joselito ne s’affirmait pas au détriment de ses toros mais avec eux, dans un tête à tête où sa cape et sa muleta vivaient, comme il l’écrit dans son livre, « comme la queue de la sirène ». Il n’empilait pas les passes, il ne tabassait pas ses toros, ne s’opposait pas à eux. Il les accompagnait.
Joselito est sorti en triomphe porté par un péon chauve : Victor Hugo.
C’est pas donné à tout le monde.

5 commentaires:

el Chulo a dit…

superbe en effet!

Anonyme a dit…

Quelle que soit leur couleur, ces lignes sont remarquables.
Simplement je me demande ce que fait Victor Hugo, à la fin.
Gina

Marc Delon a dit…

apparemment il ne fait que son métier : peon

Pedroplan a dit…

Ce Victor Hugo n'a sûrement jamais posé la moindre zapatilla à Guernesey. C'est un des rejetons de la saga des Pirri.Et ce n'est pas de sa faute (mais celle de son vieux papa) s'il s'appelle, vraiment comme ça.

el Chulo a dit…

Adorable Gina, comme toujours!