C’est un instant de calme avant que la passion
Ne s’épanouisse enfin, une crucifixion
Du vent. Une retraite éphémère et sereine.
Au-delà du repos, il aperçoit l’arène.
Manolo,
cependant, vient troubler le silence.
Il est celui qui sait, son peón de confiance ;
Il apaise d’un mot, inquiète d’un regard
Et peut mieux que personne éclairer tel un phare.
Il parle des Toros
en longs gestes précis
De façon qu’on croirait les deviner. Et si
Son Maestro se
perd dans des pensées obscures,
Il devient un ami qui protège et rassure.
Au sortir du chapeau, deux silhouettes noires
Ont donné à son cœur un délicieux espoir ;
Celui d’un grand succès. Un triomphe majeur,
De ceux-là dont on rêve au terme du labeur.
Le hasard - sans un mot – a pris sa décision ;
Le meilleur de l’envoi sortira en second.
Il l’annonce au diestro,
c’est le sien. Un sourire,
Puis la concentration revient dans un soupir.
Il s’en va, Manolo.
L’homme doit
s’habiller
Pour devenir un dieu. Sa chemise est pliée
Dans les mains du mozo
de espada. D’un geste,
C’est sa taleguilla
aux broderies célestes
Qu’il désigne à présent. Il met son collant blanc,
Ses medias de
soie rose au-dessus, puis attend ;
Pour passer sa culotte, il aura besoin d’aide.
Que ce soit à Bayonne, à Séville ou Tolède.
Car tel est fait l’habit ; Quelques tissus fragiles
Qui forment sans mentir une armure d’argile…
Les chevaliers, déjà, dans les temps très anciens,
Pour se vêtir de fer avaient besoin des mains
De leur valet. Andrés
porte son matador
Depuis longtemps déjà et pour longtemps encore.
Il a vu des murs blancs ; Bien plus que de raison,
Sur les deux continents, et par toutes saisons,
Il a vu des murs blancs et fait rouler des malles,
Recousu des machos
arrachés aux Etoiles,
D’eau froide et de magie, il a gommé les traces
Laissées par le grand fauve en parcourant la place
Au plus près du frisson. Là, il noue sa cravate,
Lui ferme son gilet pour cacher les stigmates,
Puis couvre avec douceur le dos du combattant.
D’une chaquetilla,
il étoffe le temps.
*
* *
On part.
*
* *
La
cuadrilla, par le très long couloir,
Se présente à la porte.
Abrazos.
Des regards,
Illuminés d’argent, donnent la communion
Comme si la folie effaçait la raison.
Ils ont un point commun, ces guerriers valeureux ;
Une naissance au jour qui les rendit heureux.
Il fallut qu’un instant change leur destinée…
Mais quand ? Et où ? Pourquoi ? Devient-on
obstiné
Sans ne maîtriser rien ? Charrié simplement
Tel un limon fécond, lorsque chaque moment
Est un hymne aux Toros
et puis que l’étincelle
Se change en un brasier glorieux et immortel ?
La place est à deux pas. On ira en fourgon,
C’est ainsi. Comme pour quitter le tourbillon.
*
* *
Juste le temps d’un souffle, il ouvre grand ses yeux
Pour vivre dans le ciel un souvenir heureux ;
Celui d’un crépuscule éclatant de quiétude.
Protégé par sa cape et par sa solitude,
La dehesa pour
lui, pour lui seul à jamais,
Il jouissait de l’instant et du soir parfumé.
Seule une brise bleue accompagnait la lune.
Chaque respiration était une fortune,
Inestimablement. Il avait ce trésor
Tout au creux de ses mains, à portée de ce corps
Qu’il mettait en danger. Oui… Mais quelle
importance ?
Quand la mort vient rôder, puis propose une danse,
Il faudrait être fou pour fuir l’invitation.
Songerait-on au Christ esquivant sa Passion ?
Le feuillage d’un chêne enchantait le silence
D’un flamenco soyeux. L’homme attendait sa chance
Pour figer le tableau dans un long mouvement.
Un village, là-bas, aux maisons de murs blancs,
Dormait. Inconsciemment, le miracle à venir
Glissait sur la pénombre et semblait retenir
Les heures qui fuyaient vers des terreurs inouïes.
Naissante d’un bosquet, il avait vu la nuit
Et l’avait toréée d’une embrassade unique
Qui pleura très-longtemps. Juste une Véronique,
Infinie de lenteur. Puis il avait dormi,
Savourant son triomphe enfanté sans un bruit.
*
* *
Il s’éveille à la vie, ébloui de murs blancs.
*
* *
La chapelle est très-belle et d’un calme troublant.
Un prêtre a dessiné, à force d’afición,
Cet ultime rempart. D’une génuflexion,
Chacun parle au Destin
avant de s’évanouir
Jusqu’à l’inéluctable et pourquoi pas…
Mourir.
C’est l’instant mélodieux où les pas des chevaux,
Comme des clapotis, résonnent au patio.
Ainsi qu’une cascade immense et bigarrée,
La foule, en filigrane, est prête à déclarer
Son amour, ou sa haine, ou son indifférence.
Que ce soit au Mexique, en Espagne ou en France,
Le silence, à la mort, est le pire verdict.
Un Matador
préfère une saine vindicte
Aux magistrats muets.
*
* *
Mais
sonnent les clarines…
*
* *
Le cortège éphémère à la grâce divine
Dessine un arc-en-ciel parfait de rectitude
Conscient que le combat sera sublime et rude.
Les capes se déplient puis vont de tout leur poids,
Comme des papillons sur un chemin de foi,
Caresser l’Eternel.
Voici que l’alguazil,
Gardienne du bon ordre et des clefs du toril,
Dans un élan puissant galope vers la porte.
Le Toro va
venir. Juste avant qu’il ne sorte,
Des regards silencieux dévisagent la place,
Espérant qu’il sera la fierté de sa race.
Parmi les amoureux, il en est un plus blanc,
Plus poëte sans doute. Il a juste douze ans.
Il reste des années assis sur les clôtures,
Revivant le passé, glorifiant son futur
Qu’il voudrait de lumière, abhorrant l’idée même
D’une vie sans la Course
et les fleurs qu’elle sème.
Il tient sa muleta,
cachée sous son manteau.
Aura-t-il le courage, en espontaneo,
De rejoindre le ciel ? Dérober une passe
A l’heure où ses amis se morfondent en classe ?
Et le Chef de Lidia,
serait-il courroucé ?
Crierait-il au peón
l’ordre de se pousser ?
Il a tant espéré la sublime seconde
Qui figerait enfin l’éternité du monde.
Juste une naturelle
– il n’aurait pas d’épée –
Avant de disparaître, étourdi, mais en paix.
Quand la Guardia
Civil appellerait sa mère,
Il l’entendrait pleurer d’un désespoir amer
Qui est toujours égal.
Elle ne
rêve plus.
Ses nuits ne sont hantées que par ce qu’elle a lu
Dans les yeux de son fils ; Ce livre sans chapitre
Qui ne finit jamais et qui n’a pas de titre.
*
* *
Depuis le callejón,
le Maestro observe
Le premier Matador
qui panique et s’énerve ;
Son bicho est manso, il n’en tirera rien.
Il attend qu’il le tue et que sorte le sien.
Un pinchazo,
puis un second.
Une demie,
Concluante pourtant. Le Bête est endormie.
On traîne sa dépouille au-delà des barrières
Pour l’oublier demain comme on l’ignorait hier.
*
* *
Alors le jour se lève, et bien loin des murs blancs,
Le Torero
s’avance, ivre et ensorcelant.
De ses zapatillas,
il embrasse le sable
Et vient s’agenouiller, dans un geste impensable,
Face à sa Destinée. Plus rien n’existe alors
Que ce lien invisible entre le noir et l’or.
Un abîme de nuit apparaît au lointain ;
Il a ouvert l’enfer d’un signe de la main.
Son capote
s’envole et chante une arabesque.
L’Animal a chargé d’une fougue dantesque,
Projetant dans l’éther ses pitons indicibles,
Dessinant un sillon qui chercherait sa cible
Avant de revenir à la source de tout.
D’un vertige sensuel, l’homme reste à genoux
Pour déployer l’étoffe et guider la furie.
Des myriades d’instants montent vers l’infini.
C’est le fer, maintenant, qui déchire le cuir.
Lorsque tout ce qui vit
aurait choisi de fuir,
Ecrasé de douleur, ce castaño
claro
Soulève sans effort monture et piquero.
Il y revient trois fois.
C’est
aujourd’hui si rare…
Manolo le
savait, c’est un divin nectar
Qui, inlassablement, inonde le ruedo,
Pourchassant sans répit son flamboyant credo.
Une valse d’argent, d’azabache
parfois,
Fait fleurir un bouquet de couleurs et de bois
Sur le dos de l’Idole.
Ainsi va
la légende…
La serge rouge flotte, enjouée comme une offrande
Au Dieu resplendissant qu’il doit hypnotiser.
Les cris du Matador
sont précis, aiguisés.
Dans un derechazo,
il tient tout l’univers,
Fait brûler les saisons, du printemps à l’hiver ;
Il est debout.
*
* *
Pourtant, sous un épais brouillard,
Un bruit d’acier qui chute attire son regard.
Sur le sol, un plateau finit de tournoyer,
Le chien, dans le salon, s’est mis à aboyer,
Tout devient si confus.
Juan
a peur, il est mort.
Rien ne lui obéit, ni son cœur, ni son corps.
Seule son âme chante un couplet tourmenté ;
« Coule, Guadalquivir,
sur ma nuque argentée,
Tandis que face à moi l’Arène se dessine.
Coleta
mystérieuse, infinie et divine,
Foule, Guadalquivir,
de ton pas incessant
- Chemin de soie, toujours, qui versera le sang
Vers l’ocre de ma vie et ses Toros énormes -
La plaine imaginaire où mes regrets s’endorment. »
*
* *
Il rêve à son Campo
qui brille sous la lune.
Ici, les murs sont blancs et l’infirmière est brune.
Nice, Oct-Nov 2017
3 commentaires:
An ben dites donc, ça file !!! Il est déjà bide monumental moins deux jours... :)
C'est des rats ! Ou des fantômes : 807501 au compteur quand même... A moins que ce soit toi qui sois venu toutes les trois minutes pour espincher... ;-)
Promis que non :)
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