samedi 6 novembre 2010

Voyage au campo 2


Circulations

Il faut donc qu’un type impatient se lève, parfois moi, parfois un autre, mais dégourdir ses jambes dans ces conditions n’est jamais une corvée, pour aller glisser dans l’oreille du chauffeur qui prend les décibels du moteur comme la buse en béton le vent, que les loupiotes, si elles s’allumaient, on serait bien contents ! Par contre, en ce début de trajet, la ventilation souffle un bon air frais qui évite l’estouffade de machos. Las… les femmes, qui sont des êtres précieux et résistants - elles s’éclateront dans ce genre de voyages huit ans durant après notre mort, en moyenne, d’après l’OMS…- mais à la mauvaise circulation sanguine et à la déconcertante facilité à nous enquiquiner quand tout va bien, ne tardent pas à rouspéter de l’émission de cette brise rafraîchissante :

- Il fait froid ! crie une mamie alerte au look de lolita andalouse. Quelqu’un doté d'un puissant organe, pourrait-il demander au chauffeur d’arrêter la ventilation ?

Aussitôt ‘’GG’’ le goguenard, relaie aimablement d’un tonitruant :

- Plus fort l’air frais !

Ce qui lui vaut instantanément le regard noir et l’inimitié définitive de la frileuse. On ne plaisante pas avec les risques de torticolis a frigore chez la femme ménopausée. Tous les hommes au même instant pensent la même chose : que la dame pourrait peut-être fermer les écoutilles qui l’entourent pour soustraire son uncarthrose cervicale au courant d’air en évitant de plonger l’ensemble du car dans la ‘’couffissure’’. Sans parler du foulard de soie qu’elle a fatalement dans son sac. Mais tous se gardent bien d’apparaître comme ce mufle-là en se lançant dans cette proposition de manipulation High-Tech à laquelle les femmes sont quasi hermétiques de façon congénitale.

Ne serait-ce que par principe galant acquis dès la douce enfance à cause d’une bibliographie débile sauce princesses endormies et princes charmants hippomontés, aux dommages résiduels indélébiles, pour lesquels les psys verront d’abord leurs canapés se défoncer, avant que d’atténuer ces espoirs infantiles de célibataires endurcis loin de se douter que les mariés viennent aussi défoncer les mêmes canapés, pour accoucher de leur culpabilité à éprouver l’envie de liberté qu’ils avaient du temps où, solteros, la grisante conviction du ‘’tout est possible’’ les nourrissait : j’ai froid, on ferme... (...c’est le principe galant… Ah ben oui mais si vous avez perdu le fil au cours de cette phrase trop longue, c’est qu’au lieu de mener des études supérieures, vous éclusiez des jerrycans de pastaga entre coursaïres, pendant que nous coursions nous, les étudiantes montpelliéraines dans les soirées ‘’furonculoses et cystites’’ de haute tenue )

Cela fait maintenant quelques heures que ‘’Roule ma poule, le bus’’ ronronne sur le macadam. Derrière moi, depuis 20H57 un jeune homme dort. Gros bébé, va… De l’autre côté, une jeune femme à fort accent italien fait du crochet. De petits étuis de toutes les couleurs pour MP4 ou téléphones portables. Son copain exhibe le sien et évidemment ‘’GG’’ commande un string pour ses ablutions de Sanlucar de Barrameda lorsqu’il offre à cuerpo limpio à l’embouchure du Guadalquivir, la pollution de ses miasmes. Peut-être espère-t-il absorber ainsi par le ruissellement, tous les duendes et sortilèges andalous de son corps si… - ici vient le territoire de la description mais s’offre à moi une telle foultitude de qualificatifs qui pourraient si bien s’accoler à ‘’son corps’’ que devant l’alternative infinie, je préfère renoncer, car quel qu'il soit, il obèrerait la vie de tous les autres, ce qui serait profondément injuste - je dirais seulement pour aiguiser votre impatience à lire les épisodes suivants, que ce corps, il l’offrira au sacrifice cornu, avec ses 106 KG de courage. C’est beau.

Le chauffeur de bus a deux accessoires pour se sentir important : le volant, avec lequel, sur l’autoroute, cette affirmation reste aussi limitée que sa vitesse dans son interprétation, et le micro, qui lui, s’avère mortel, car alors, le mystère de son psychisme se révèle. C'est l’instrument pas lequel il existe et se révèle… il y développe ses traits ‘’d’esprit’’, promulgue des annonces qui devraient rester laconiques mais sont transfigurées par sa joie de parler dans la machine amplificatrice qui vous invente un public en moins de temps qu’il n’en fallait à Curro Romero pour comprendre qu’avec ce tio, non, décidément, il n’accorderait pas son art fragile et profond…

Le ‘’busiste’’, jamais ne doute de rien, et nous avertit des pauses et de leur timing, entre deux questions calamiteuses du style :

- person è fâché avèque nous ?

Vu, on le constatera par ailleurs, qu’avec la réglementation française pour chauffeurs, conjuguée à la fatigue des voyageurs et à l’impondérable météorologique, l’ambiance peut virer très vite au flamenco sauvage.

Une question si con, que personne ne répond… donc Vroum-Vroum réitère :

- a person qué fâché con nosotros ?

- Noooooooooooon.... fait la moitié de l’encierrona qui a compris qu’il ne nous lâcherait pas le bout de gras tant qu’on ne lui aurait pas lâché une épiphyse cartilagineuse à mâchouiller…

Ouf, on s’en est momentanément débarrassés. ‘’Roule ma poule, le bus’’ va donc faire une halte. A cause du ‘’GG’’ qui n’arrêtait pas d’évoquer la poésie des vol-au-vent à la brandade et des supions grillés ail et persil brumisés à l’huile d’olive, on avait la gargoulette qui faisait l’ascenseur depuis un moment. J’ai mangé à côté de lui, il a pris un truc léger : cuisse de canard confite et poêlée sarladaise, un plat diététique pour le soir, qui n’a pas fait un pli. Il ne parlait plus, mangeait concentré, rapide et technique : résection, dissection, découpage, engloutissement. Recta. Gloutée aussi la carafe de rosé. Au retour de la cafèt, la population voyageuse a réintégré son siège comme un seul homme. Aux places attitrées remportées de haute lutte. ‘’GG’’ enfin repu, fit une révélation : selon lui nous étions attendus à la Jonquera dans le plus grand bordel d’Europe. Pour digérer. Cinquante chicas nous espéraient, impatientes… Pour avoir lu Midi-Libre quelques jours plus tôt, qui y consacrait un article, je lui ai précisé qu’elles étaient cent soixante- dix. Il était enthousiaste, toréait de la main gauche son espace aérien en de larges gestes templés qui évoquaient une sorte de délire de satiété. Sa femme n’était pas là. Les hommes présents avec leur moitié, ne commentèrent pas l’information affriolante. Se gardèrent bien d'en plaisanter. On l’encouragea à réviser sa géographie, on était déjà dans le sud-ouest comme son repas aurait pu le lui indiquer. Il adopta aussitôt un masque ‘’déçu-soulagé’’ du plus bel effet judéo-chrétien. Il ne poussera donc pas son ‘’caddy’’ au rayon frais du dernier supermarché du sexe. L’honneur est sauf. L’éducation et les interdits sacrés reprennent le dessus, mais fuse soudain un projet de voyage masculin : ‘’Toros y Putti-Club’’ qui ne fait rire que les hommes seuls. Quand même, cent soixante- dix chicas à consommer au rayon frais, ça en faisait rêver. Toutes d’accord. Viande déjà à l’étalage, désinhibées, tétons dressés et effluves de caoutchouc brûlé. Je sens que la prochaine feria de Céret va avoir un succès fou…

C’est là-dessus qu’on a dû vouloir s’endormir car, un quart d’heure après, un terrible bruit de soufflerie se propagea : les chauffeurs crurent qu’on avait crevé… Moi, je crus un temps, qu’un des chauffeurs avait voulu tester l’aérodynamisme de son crâne en passant la tête par la fenêtre. Histoire de voir si le vent des steppes glacées soufflait aussi fort, hors de sa tête qu’à l’intérieur, d’une oreille à l’autre. Mais non, comme si un couvre-feu l’avait ordonné, tout le bus soufflait dans son petit coussin de nuque gonflable en fer à cheval, pour se caler dans son fauteuil… Il faut que je vous explique là, qu’au fur et à mesure que l’on vieillit, par l’action conjointe de la pesanteur et des soucis de la vie, la cyphose de la portion dorsale haute se majore et la distance nuque-mur s’accroît… Il faut donc compenser. Je crois même avoir vu une dame enfiler des pantoufles, poser un masque occultant sur les yeux, caler ledit coussin de nuque en feutrine gonflable, et s’affairer toujours à l'aveugle, jusqu’à s'envelopper d'une mini-couverture bien douillette. Je venais juste de déboutonner un peu plus mon col de chemise dans l’étuve roulante. Y’a des pros du voyage quand même. Elles ne sont pas construites comme nous les femmes, elles ont toujours le bout du nez froid, ainsi que l’extrémité des quatre membres. Ca leur donne nuitamment l’autorisation de vous plaquer soudain leurs pieds glacés sur vos cuisses chaudes et leurs mains frigorifiées sur votre torse bouillant sans crier gare… mais c’est pas de l’amour, non, ce n’est que du réchauffement…et si vous ne faites pas le dur qui ne craint rien, ben vous êtes marron, question réputation… le plus injuste c’est qu’elles ne se réchauffent jamais : c’est vous qui vous glacez petit à petit, car leur sang stagne dans leur giron et elle ne pulsent de leurs extrémités que givre et verglas !

Tout le monde semble ok pour s’abandonner à Morphée, sauf que les loupiotes zénithales maintenant, ne veulent plus s’éteindre ! Nouvel aller-retour auprès du ‘’busiste dézélé’’ pour régler le problème. Franchement je suis dégueulasse, non ? Qu’est-ce que j’ai contre cette catégorie de travailleurs ? Et vous, là, qui lisez ça, rigolards, au lieu de vous insurger contre ma moquerie permanente à leur endroit ? Ca vous défoule, ou quoi ?

Tout est maintenant éteint, sauf ma loupiote. Je suis la seule loupiote allumée de cette boîte à sardines rallongée. Les jeunes et les vieux, c’est toujours crevés, finalement, il n’y a guère que le quinqua pour être endurant. Jérôme, l’interface France-Espagne, est venu s’affaler face contre terre dans l’allée entre les sièges, il a les jambes allongées lui au moins ;le problème c'est que celui qui aurait besoin d'aller pisser dans le car - bon courage...- doit lui masser les gouttières para-vertébrales à coups de tatanes. Le repas m’a rechargé en carburant et je suis stimulé par l’écriture puisque Moleskine, le carnet, m’accompagne. Et vas-y que je te tartine tout ce qui me passe par la tête, avant de réaliser que tout cela devra être saisi à l'ordi. Lors d'une de mes nombreuses rotations de biais vu que mes rotules commencent à saturer de s’écraser contre le dossier incliné du voisin, je remarque qu’un petit moustachu reluque mon carnet noir essayant de lire ce que j’y compile. Alors là, mon bonhomme t’es tranquille… avec mon écriture, t’auras du mal. Méfiez-vous des moustachus. Devant lui une jeune villageoise est recroquevillée dans sa doudoune… Son visage a gardé une expression de l’enfance. Je la regarde assez longtemps comme pour percer ses rêves. C’est beau une jeune femme endormie, enfin abandonnée à son état de base. Qui ne joue plus, ne compose plus. Qui livre juste la finesse de ses traits à l’œil du portraitiste. Comme elle viendra sûrement ici me lire : oui, c’est toi, de Fontvieille, que j’ai regardée pendant une minute trente-cinq secondes à peu près, pendant que son pêcheur de Dorades dormait aussi.



On entend pas mal de monde tousser. De petites toux arides, bloquantes, de congestion pulmonaire, et déjà quelques toux grasses entrecoupées de râles sibilants qu'on espère pas productives. On entend parfois aussi du froissement de papier trahissant des doigts avides de se saisir de frites trop salées et de biscuits trop sucrés.

Un fan de Sudoku enchaîne les grilles. Les aficionados dorment. Tout est calme. C'est le moment pour le chauffeur tout pénétré de son irrésistible charme, d'entonner son ''Besame mucho'' de derrière les micros... Ah sûr que le sommeil des gens, il l'a bien baisé.

12 commentaires:

Marc Delon a dit…

Bon, vous avez vu le toro stylisé quand même, au fronton de la station essence La Rad ?

Maja Lola a dit…

Et la galerie de portraits continue ...
GGs en puissance, célibataires patentés, mariés en souffrance, dadames à la ménopause "chieuse" (les GGs diront que c'est un pléonasme), chauffeur au micro titilleur ....
Sous l'oeil de notre voyageur à l'analyse méthodique et acérée rien n'est épargné. Son siège colatéral n'étant pas défoncé par un quelconque postérieur (en analyse freudienne ou pas), il a tout loisir pour observer son champ d'investigation.
Au fait, Marcos, l'éducation conte de fées ne fait pas que des ravages. Et il est bien doux à n'importe quelle femme de voir avec quelle élégance ces messieurs se portent à leur secours. Alors arrête de "cassser la baraque", comme on dit à Nîmes.
Moment fort que j'ai adoré : le déclenchement en batterie des gonflages de coussins de nuque.
Tiens, la prochaine fois, prévois ta caisse à outils pour le réglage des loupiotes et des chaussettes et cache-nez pour réchauffer petons et nez de ces dames : ce sera accueilli avec le meilleur enthousiasme. Ah, bien sûr, sauf si on préfère les détours par les TyPC. Mais là, on n'est plus dans le même registre.

Anonyme a dit…

Tu ne t'es pas équipé d'un netbook, tu aurais pu tout taper en live...
Mis à part les chauffeurs, ça ressemble bien à des voyages tels que je connais. Vous avez une spécificité de + dans le SudEst: le chauffeur parlant!!!
Nous c'est le président du cercle taurin qui prend la parole, et encore rarement!
Me tarde la suite!

isa du moun

Marc Delon a dit…

je remarque que jérôme et jacques excepté, personne du voyage ne vient commenter - ils ont pourtant tous reçu ma carte avec l'adresse du blog ! - : ils ne s'attendaient vraisemblablement pas à ça... et doivent lire pétrifiés, redoutant de se reconnaître soudain dans un personnage...
cool les gens, tout va bien, je brode, ce n'est pas vraiment vous... juste mon interprétation de vous, mâtinée de ma pathologique imagination : je suis un grand malade, en fait. On respire un grand coup, soufflez rentrez le ventre...

Anonyme a dit…

J'ai beaucoup aimé votre texte. Vou^s etes inquiet de ne pas avoir de visites d'autres voyageurs ?
Peut-être la fatigue du voyages éreintant ou une overdose de campo.
Pourtant ce serait intéressant d'avoir leur point de vue sur l'aventure.
Ne perdez pas espoir Mr Delon
Emma Toutprix

Anonyme a dit…

J'avais appris une chanson « Ya se van los pastores a Extremadura »...mais eux ne partaient pas en bus, n'avait pas de chauffeur, ne se plaignaient de rien, ne se laissaient porter que par la poésie des sonnailles.
Ici, je trouve la conduite du chauffeur admirable, à manoeuvrer son véhicule et à supporter son troupeau gémissant, ces femmes pas que trentenaires, idiotes, gelées, ces mecs, pas tous « quinqua », trop échauffés, à l'estomac chargé. Le pauvre, il risque une andropause précoce.

Gina

contestin.imagin a dit…

Bravo Marc ! Tout y est !

Par contre connaissant déjà la suite et fin de cette épopée Extremena, ça laisse augurer du Grand Delon !!!!!!

Et sachant que tu nous a déja pondu 3 paragraphes et que Salamanca n'est même pas encore en vue, on va pouvoir se délecter de tes savoureux récits au moins jusqu'a Noel !

Enhorabuena et surtout suerte pour la suite parce que tu a du pain sur la planche !!!!!

Jérôme

Marc Delon a dit…

merci pour les encouragements mais non, y'en a pas pour jusqu'à Nöel ! Le marcus delonus est un hominidé inconstant qui peut tout arrêter si ça lui pète, du jour au lendemain...

contestin.imagin a dit…

Ah non pas ça ! Car le meilleur reste à venir et je sent que quelques épisodes "olé olé" revus et corrigés à ta sauce vont faire à coup sûr le délice de tes lecteurs !

Marc Delon a dit…

je vais faire un caprice : si Marseille, Nimes x 2, Sète, Fontvieille et Clermond-Ferrand ne viennent pas me dire bonjour ici...

Anonyme a dit…

Vous n'avez pas mieux à faire que d'écrire tant d'inepties . Pour qui vous prenez vous pour juger les autres et commenter leur vie. Cela ne vous regarde pas. Et vous d'ailleurs, on pourrait peut être en dire....vieux matou qui drague les minettes...

Marc Delon a dit…

Oui, alors là, évidemment, si on est au premier degré, moi je dis Miaou !