jeudi 18 novembre 2010

Voyage au Campo 7



La suerte de la levrette

Admirez un peu toute la force qui se dégage de cet arrière train musculeux, matérialisée fort à propos par ce losange évoquant l’accélération ici aussi fulgurante qu’imminente, dont la direction encore indéterminée reste possible d’un côté comme de l’autre, selon le besoin, grâce à ce double pied d’appel dont il est doté et que tout Nîmes lui envie. D’où que vienne le danger cornupète, il bondira tel un félin, non pas, mesdames et messieurs pour s’y soustraire avec couardise, comme nous l’aurions fait nous-mêmes, non, mais pour nous faire admirer sa maîtrise de l’art du recorte à cuerpo limpio. Car cet homme est torero, cela se lit dans la posture, se trahit dans l’intensité d’un regard qui a toisé plus d’un tio en Andalousie comme en Extremadure, cela se ressent d’instinct dans la puissance statique qui émane de cette phase que l’on nommera avantageusement : l’Aguante suprême. Se faire voir, se donner au sacrifice rituel, perpétuer de cette abnégation héroïque, la légende des siècles en offrant ses viscères à la corne ''éviscérante'', justement. Dans les tribunes, le cœur des femmes palpite, comme palpite dans le pantalon de ''GG'', comme on le comprend, le doute existentialiste : to beat it or to protect my bite ? Excusez la crudité du propos mais l’heure n’est plus à la poésie quand se joue sur le sable la question de l’absorption de son propre sang. Tenez et buvez, ceci est mon sang, il ne dit rien de moins à l’éventualité de la cornada… Va-t-il d’un quiebro ajusté, mancornar soudain la bête comme le faisait son ancêtre néanderthalien à la chasse ? Va-t-il la razeter avant de sauter le burladero, aérien et grâcieux ? Ou bien va-t-il l’écarter à la Landaise en la feintant de la largeur d’une escalope de foie poêlé de chez Maïté ???

Partout autour, fusent les encouragements désintéressés :

- Allez, Zou, avance, tu risques rien….

- Ben couillon, vas-y toi, si ça risque rien…

Car je vous rappelle que si j’ai surnommé l’impétrant, ''GG'' c’est surtout qu’il a toujours la répartie qui convient.

- Vas-y, vé, regarde comme elle est bravette cette vachette… avance…

- Voui, tu peux… tu es plus gros qu’elle, elle te bougera pas beaucoup, va…

- Quitte tes lunettes, tu auras moins peur si tu la vois plus…

Mais ''GG'' ne répond plus. Le fauve, soudain, a tourné la tête vers lui et ''GG'' est à bloc : son cœur est monté très haut dans les tours, son souffle est court, ses muscles tétanisés : la fauvette a fait un pas dans sa direction… décidée à bouter hors de sa vue l’inconscient qui foule son terrain jusqu’alors inviolé. Alors ''GG'' sait que tous les regards sont sur lui, il sait qu’à cet instant c’est lui, qu’idolâtre la foule, lui, qui monopolise l’attention du respectable, et il cite, d’une abduction élégante de la dextre qui rappelle l’auguste gestuelle impériale pétrie de bravitude, ce qui va déclencher la charge sauvage venue du fond des âges, la férocité originelle et enfin la suerte originale, celle, inspirée, inimitable et dantesque dont lui seul peut se prévaloir. Le fauve hirsute et monstrueux démarre, la bave au mufle, dans l'œil l’indicible lueur d'homicide prémédité avec toutes les circonstances aggravantes.

Alors GG-le-Magnifique produit son effort, arrache aux sables, mouvants de toutes les incertitudes, le quintal dépassé de sa carcasse d’airain, d’un magistral coup de rein qui le propulse, oh, pas loin, à quelques décimètres de là, avant que le bel ordonnancement cinétique de sa foulée athlétique ne subisse la traîtrise d’un abominable mélange de pinceaux sous les yeux horrifiés d’une foule déjà résignée à sa perte inéluctable. L’Homme choit au cœur de l’adversité, assez lourdement je dois dire, présentant au terrible frontal, l’offrande d’un quatre pattes soumis à l’arrière duquel son postérieur arbore la mention idoine : ''cible''.
Non, pas ça…, hurle silencieusement l’effroi commun pas vraiment préparé à l’horrible vision, à la violence innommable de cette collision-collusion anti-naturelle parce qu’inter-spéciste.

Aura-t-elle finalement lieu ? La bienséance et l’amitié que je porte à ''GG'' m’ont empêché de déclencher, et j’ai préféré laisser au repos le rideau de l’obturateur pour jeter un voile pudique sur les détails scabreux capables de froisser la sensibilité de tous les peons d'Extremadure pourtant habitués à la rudesse bestiale de la vie au campo. Par la localisation de la blessure, son caractère de râperie itérative et surtout, surtout, son air finalement réjoui et les liens d’affection qui depuis l’unissent indéfectiblement au jeune toro, votre imagination sans aucun doute, pourra efficacement suppléer à l’auto-censure que je me suis infligée. Car il est aussi des peine-à-jouir qui viennent lire ici.

''GG'', merci… on t’aime, nous aussi.

PS : on n'agrandit pas les photos, c'est déjà assez terrible comme ça.

14 commentaires:

Benjamin a dit…

Au fait, c'était quoi cette inimitable suerte ? Que devait-il en résulter ??

el chulo a dit…

je suis très impressionné par la mâle résolution du GG. on le sent certes attentif et vigilent, conscient du terrible péril, et avec en tête le triste sort du grand Antonio Bienvenida. gloire en tous cas à ces glorieux conquérants des vraies gloires, modestes et désintéressés qui risquent leur intégrité cutanée avec une élégance incroyable.

je pense que ces dames du voyage n'ont pas résisté à une humidifiante admiration devant tant de mâle et prometteuse audace

Anonyme a dit…

J'ai bien une idée, vous avez GG, nous on a Tintin...
http://www.dailymotion.com/video/x3nemj_aiedansle_people

isa du moun

Anonyme a dit…

Grandiose !

Marc Delon a dit…

Benjamin, pour les dessins, y'a eddie Pons...

Pire que Tintin....

Anonyme a dit…

C'est une belle épopée, le personnage est aussi sympathique et admirable que l'écrivain.

Gina

contestin.imagin a dit…

Un grand moment de tauromachie je peu vous le confirmer

sans oublier que nous avions ce jour là toute une flopée de figuras :


Francisco Bedoya de la Cruz

Pedro Jallat "El Chabito"

Tomasito de Fuentevieja "El Pescador"

Je suis déjà en train de monter le prochain cartel mais je ne sais pas si on va pouvoir remettre GG au cartel parce que après cette actuacion magistrale les contrats se chiffrent en milions de pesetas !


Un abrazo

Jérôme

el chulo a dit…

faut voir avec casas s'il n'a pas conclu à abu dhabi!

Marc Delon a dit…

ça y'en a, des abus d'habits de lumière.

Maja Lola a dit…

Finalement, seulement quatre figuras sur le prochain cartel ?
Avec tout le cheptel bipède viril qui abondait, il n'y a pas eu plus de volontaires ?

Marc Delon a dit…

ouais, mais j'ai un super alibi, moi, je dois m'abriter derrière mon appareil photo pour rendre compte... et vu que lorsque j'y suis allé ça n'a jamais été très convaincant...

Maja Lola a dit…

Alors là, je m'y attendais. Parce qu'il n'y avait pas d'autres reporters (ou trices) photographiques qui auraient pu te soulager de cette lourde et responsabilisante charge ?
Pas convaincant pas convaincant .....on demande des témoignages !

el chulo a dit…

maja

sans vouloir te contredire, la simple vue de l'horrible blessure de GG exposée avec une admirable modestie devrait t'inciter à comprendre qu'en général, ceux qui "savent" et surtout à un certain age où les coups font plus mal, évitent d'offrir leurs parties sensibles à ces animalcules intempestifs, brutaux. de plus. on irait plus facilement devant des vierges garanties par le curé de la paroisse, mais ces spectacles programmés impliquent parfois de sortir des choses ou des machins dits de "retienta"'qui n'ont plus la naiveté espérée.
donc plus que jamais, gloire à ce courage forcené et gratuit.

Maja Lola a dit…

Chulo,
Merci d'éclairer mes appréciations béotiennes ....
J'en parlerai au curé de ma paroisse : je serais curieuse de savoir si les "garanties" qu'il délivre aux animaux de Dieu font partie de sa pastorale.
Une pensée pour GG qui, je l'espère, s'est rétabli de son horrible blessure.
Son sacrifice n'est que plus honorable lorsqu'on sait que "ceux qui savent" se sont bien gardés de le dissuader de mettre sa vie en "dangé" : olé !