vendredi 18 novembre 2011

Gina a lu pour nous :






La Tristesse des Anges



Roman de Jon Kalman Stefansson, traduit de l’islandais et paru chez Gallimard en 2011




On est dans une histoire très islandaise où les personnages aux prises avec une nature particulièrement ingrate et d’ardus problèmes quotidiens ont à se déplacer dans la faible clarté diurne d'avril en pleine tempête de neige parmi les anges, ces flocons aveuglants venus du ciel ou de la terre quand le vent les soulève. Le froid est glacial qui dépose ses glaçons dans les barbes et les sourcils.
Jens, le postier et « le gamin » chargé de l'aider, doivent délivrer le courrier dans les villages éloignés, au fond de fjords auxquels on accède en traversant le bras de mer, en contournant un cap ou en franchissant des terres, des landes, des montagnes. On s’enfonce plus ou moins, on s’épuise à se dégager, on se laisserait mourir, on ne voit pas les refuges, ni les maisons, ni le rivage quand on descend de sa barque, ni les précipices, ni les chemins, on tire sur la jument quand ses pattes s’enfoncent, on la déleste du poids de ses sacoches chargées de courrier, on se laisse emporter par un traîneau dévalant une pente. L’ épopée est d’autant plus pathétique que les deux protagonistes s’opposent par l’âge et la culture. L’un est fruste, pragmatique et silencieux, d’une rigidité très cartésienne, épris de liberté et d'indépendance. L’autre, adolescent de quinze ans est bavard, rêveur, curieux, amateur de mots, de poèmes, de chansons et de lecture.
Au cours des étapes, apparaît dans l’ arrière-fond tout un monde d’êtres faibles, alcooliques ou ivrognes, isolés et démunis car l’hiver est long, des veuves de pêcheurs et des orphelins, des veufs, des enfants maigres et bronchiteux, des mourants, des morts - comment les apporter au cimetière dans la tempête ? Ou, inversement, des nantis, des gens de pouvoir volontiers exigeants, cruels, abrités qu'ils sont des intempéries, de la maladie et de la précarité, que l’auteur aux idées sociales avancées fortement teintées de christianisme, pointe du doigt. C’est un notable qui exige que le courrier soit livré dans les temps ! Seul élément positif dans cette Islande des SAGAS où s'est maintenue une tradition littéraire d'origine celtique bien après que les bardes s'étaient tus dans notre pays, le livre n’est pas le privilège de quelques-uns, il est répandu chez le menu peuple des campagnes éloignées.
Les remarques du gamin naïf font surgir de nombreux et passionnants problèmes sur la mission des mots, de la poésie, des chansons, des questions qui traduisent l'éveil, l'étonnement devant la sexualité, la femme, l’amour tandis que se dégage une image véridique de la vie et de la condition humaine au point qu’on peut dire de ce voyage initiatique qu’il est la métaphore de toutes les vies. Difficiles, semées d’embûches à vaincre, de regrets, de sentiments de honte et de culpabilité, mais aussi embellies par le rêve qui est omniprésent dans la marche, l’endormissement, qui nous rapproche de ceux qu’on aime, de ceux qui nous ont émus vivants ou morts, fantômes qui parlent, conseillent, tant corps et âmes ne font qu’un. Rêve qui crée des flash-backs, des scènes parallèles, des restes d'insouciance, des visions d’été quand l’Islande est colorée, pleine de lumière et d’oiseaux.
Pourtant, finalement, au-delà de l’exotisme, même à travers la traduction, c’est l’aisance de cette parole écrite, moderne, vivante et poétique qui retient le plus l’attention. Les mots voltigent comme les anges floconneux, dans les extraits de poèmes, les réflexions nombreuses au « présent éternel » qui surgissent à chaque page au fil du texte, sans transitions, sans mots introducteurs si bien que le passage de l’abstrait au concret se produit en souplesse, les citations, sans guillemets ( un seul emploi, dans tout le roman), les dialogues (rares) sans tiret. La phrase se déroule en douceur, longue de ses nombreuses juxtapositions et c’est à pas feutrés qu’avance le lecteur dans les subtilités des métaphores empruntées à la nature et dans les allusions bibliques qui l’acheminent vers le message de fraternité final essentiel dans cette vie fragile inséparable de la mort..
Quand on pose l’ouvrage, on se demande depuis quand on n’a rien lu d’aussi beau..




GINA

20 commentaires:

el Chulo a dit…

bravo gina, je le commande illico sur internet!

el Chulo a dit…

marc j'aime beaucoup ta photo de ta "période clown".

Marc Delon a dit…

gracias chulo, c'est ce qu'on appelle en photographie "l'instant décisif" et à moins d'avoir des acteurs, de répéter la scène, etc, c'est assez rare que le hasard fasse que tu sois prêt à l'instant "T"

el Chulo a dit…

oui je pense en effet que ce n'est pas posé!faut être là!

Maja Lola a dit…

Merci Gina pour ce riche, dense et intéressant compte rendu.
Tu nous évoques un foisonnement si vivant de son contenu, un lyrisme envers la nature si évocateur que, comme Chulo, on n'a qu'une envie : le lire en s'égarant dans ces contrées islandaises pour aller à la rencontre de personnages si étonnants.
Ton voyage islandais l'a certainement magnifié, n'est-ce pas ? En tout cas ton enthousiasme et ton bonheur sont palpables en te lisant ...

Marc Delon a dit…

On sent que vous n'avez pas vu ses photos de voyage... ;-)))

Maja Lola a dit…

Etonnant, le geste d'apparent recul de la jeune fille face au tuyau ... On dirait que celui-ci "sort de sa boîte" par surprise ! Comme quoi, un bout de tuyau coudé peut être expressif !
Sans doute l'influence période clown.

Maja Lola a dit…

Elles pourraient venir illustrer son texte Marc, et ne feraient que l'enrichir davantage ...
Nous attendons !

Marc Delon a dit…

C'est qu'il s'agit d'une petite fille (9 ans) et d'un très gros tuyau bien menaçant...

j'vais p^'têt mettre la seule photo potable que Gina m'a montré...

Marc Delon a dit…

je réalise que c'est une photo que je pourrais vendre - très cher, le plus cher possible - à EELV car ne symbolise-t'elle pas aussi le danger de la pollution par le CO2 sur les générations futures, mmmm ?

Eva Joly se demande si elle fait tjrs campagne parait-il, depuis qu'Hollande lui a unilatéralement couiqué l'EPR sur le texte de leurs "accords"... keskon va se marrer dans c'te campagne... se pourrait que je me lâche une fois ou deux ;-) surtout maintenant que le patron de Lola rique de se retouver ministrable en Sarkosie... chuuuut... ;-) z'a rien dit... m'enfin c'est sous-entendu dans le journal... chuuuuut putain et si j'intriguais pour être nommé secrétaire d'état au toro bravo et aux zantis... ?
ça chierait !

Maja Lola a dit…

J'avais reconnu cette petite fille ... mais je la trouve très jeune fille sur cette photo.

Et si au lieu de censurer les photos de Gina tu nous les montrais pour que nous nous en fassions notre propre opinion ? Mmmmm ?

Marc Delon a dit…

je la protège, j'ai peur que tu les juges de façon trop péremptoire comme tu le fais de la mienne car ce n'est pas ma fille si c'est ce que tu as voulu dire...

Anonyme a dit…

Macarel !C'est quoi ce cirque!
Après les bovidés énormes ,voilà les éléphants métalliques...

Tolosa

el Chulo a dit…

et les phallus forgés!

Maja lola a dit…

C'est ce que j'ai voulu dire en effet car j'ai cru la reconnaitre.
Désolée si cela t'a incommodé ...

Marc Delon a dit…

cela ne se peut, puisque ce n'est pas...

Anonyme a dit…

A propos de la photo :
Le regard étonné de l'enfant, c'est le nôtre.
Puis on se dit que certains chasseurs-photographes sont habiles et chanceux, que voilà une belle façon de parler de recyclage, de récupération, d'antipollution, d'écologie, ou de réchauffement climatique
Ou alors on voit la trompe d'un éléphant, ou de la pub pour St Claude et ses fabrications.
Gina

Anonyme a dit…

Merci aux lecteurs de mes remarques.
C'est vrai Lola, qu'un auteur islandais ne pouvait que m'attirer. Mais je n'ai pas magnifié le livre, au contraire, à manipuler un objet trop fin et précieux avec lourdeur, on l'abime.

je voulais préciser que l'Islande est particulièrement investie dans la littérature et la poésie. On voit célébrés dans des coins reculés sur les panneaux touristiques, photo ou buste à l'appui, de grands poètes et j'ai eu la surprise de voir affiché un poème sur le phare d' un cap très reculé..
Gina

el Chulo a dit…

gina, c'était parfait!

Maja Lola a dit…

OK Gina mais exalter la beauté ne me semble pas empreint de lourdeur .... tout au plus un enthousiasme appuyé. Mais je reconnais bien là ta délicatesse lorsque tu abordes le sujet comme un objet fin et précieux.

Peut-être une explication dans nos approches différentes de notre SMS this morning ? L'empereur CLAUDE nous inspire ...