mardi 3 avril 2012

Une Promesse de Comptoir tenue par Antoine Martin



La nuit parfois, tu croises des types incroyables. Après un trasteo gitan quasi privé par taquilla boudée, j'ai croisé le type qui disait "oui". I'am quand même a fucking opportunist of the night... because le type il ne doit pas avoir que ça à foutre, t'sais, pondre des bafouilles à ta demande expresse. Et pour pas un rond évidemment. Eh bien, par urbanité ou par éducation, par gentillesse naturelle, va savoir, il a dit "ok". C'est pour moi un grand plaisir. "Enjoy", donc...



C’était samedi soir quand, un peu comme l’autre con qui mévendit son droit d’aînesse pour un plat de lentilles, j’ai bazardé mon sens du ridicule à Marc contre un verre de vin blanc. C’était au foyer du théâtre de l’Odéon, juste après le récital d’Alba et Manuel Molina, et le Ciel m’est témoin que j’ai insisté pour remettre la mienne (lo formal no quita lo valiente), histoire de me délier de la dette. Pas moyen. Me voici donc dans la situation grotesque de devoir faire la critique d’un spectacle de flamenco (plus ou moins), comme je m’y suis mollement engagé (pour un verre de vin blanc, faut quand même être con) moi qui suis à peu près incapable de faire la différence entre une saeta du Vendredi des Douleurs, mettons par exemple, et une rumba catalane.



Et puis, je dois à la vérité de révéler que j’ai prolongé cette veillée avec les artistes, à boire d’autres verres de blanc et manger quelques bricoles (pas des lentilles, il n’y en avait pas), jusqu’à assez tard dans la nuit, ce qui altère pas mal l’objectivité de ce que j’aurais à en dire. Si j’avais eu quelque chose de moyennement pertinent à dire. À part regretter que Nicole et Andres Roé, qui se bougent un certain cul pour faire exister le genre à Nîmes en dehors du mois de janvier, fussent, ce jour-là, si mal récompensés au guichet.



Sinon, on était venu là pour prendre des nouvelles de la famille Molina, particulièrement de Manuel, de l’ancien duo Lole y Manuel, promoteurs ensemble, vers les années 80, d’une manière qu’on qualifierait de flamenco post hippy tardif (les papillons qui gentiment butinent et le monde tout en couleur). Bon, pour Lole, on n’ignorait pas, car on l’avait croisée par ici il y a deux ans, qu’elle professait désormais la foi pentecôtiste à tout crin et pratiquait le style andalusí comme une glossolalie. Pour Manuel, on n’avait pas trop de détails sur ce qu’il était devenu. Et Alba, on se demande même si on savait qu’elle existait, vu qu’on n’est pas spécialement spectateur des télé-crochets espagnols auxquels elle participe, paraît-il, comme jurée.



Alba, donc. Voilà une fille qui prend le flamenco avec toutes sortes de pincettes. Qu’elle matérialise généralement par deux mouvements en crochet de l’index et du majeur de chaque main, dès qu’elle prononce des mots du genre « palo » (entre comillas) ou « buleria » (entre comillas), enfin, dès qu’elle convoque le vocabulaire spécialisé. D’ailleurs, elle préfère prévenir tout de suite le respectable public : elle ne se considère pas comme flamenca. Comme gitane, oui, pas comme flamenca. Et en administre aussitôt la preuve en annonçant qu’elle va interpréter un thème forcément familier à tous ceux qui sont familiers de Séville. On écoute et on se dit, en effet, que ça dit vaguement quelque chose. Pour moi, ça m’a trotté une bonne partie de la soirée et il a fallu encore plusieurs verres de blanc pour avoir la révélation, un peu comme la leçon que sa mère Lole reçut des Apôtres du Cinquantième Jour : cette mélodie si typiquement sévillane, c’était Copacabana (At the Copa), de Barry Manilow, que Line Renaud francisa avec tant de brio. Moi, c’est vrai que je n’y entends pas grand-chose, mais il me semble que je serais plus ou moins capable de faire la différence entre la Giralda et le Corcovado.



À part ça, Alba Molina a une voix, pas extraordinaire mais parfois joliment voilée, qui ne touche jamais aussi juste que quand elle entre dans le répertoire de sa daronne. Dans d’autres registres, on ne sait, elle semble se trouver au milieu d’un gué bizarre, quelque part entre sa grand-mère La Negra, Isabel Pantoja, les ascenseurs Otis et Massiel, la première et avant-dernière gagnante espagnole du concours de l’Eurovision. Et voilà pour la musicologie.



Pour le reste, un dernier détail. J’ai remarqué, au cours de la petite fiesta qui a suivi le spectacle, qu’elle avait tatouée, sur la tranche de la main droite et jusqu’à l’avant bras, une sorte de guirlande de fleurs. Je lui ai évidemment demandé de quelle espèce de fleur il s’agissait, assuré qu’elle allait me répondre un truc bien pipeau, du genre « le jasmin des balcons de Séville ». Non, elle m’a dit : une fleur du Pacifique (sic), c’est une fleur du Pacifique. Et là, j’ai parfaitement compris ce qu’elle avait annoncé, quelques heures auparavant. C’est vrai, Alba Molina n’est pas flamenca. Des fois, elle est juste un peu caraque (entre comillas et avec tous les respects).



Son père Manuel, ce n’est pas avec des pincettes qu’il prend le flamenco, mais à quatre épingles. Il est arrivé sur scène habillé (tâchons d’être précis) comme un gros mandataire en bétail à viande un jour de comices : costard sombre, gilet rouge, souliers vernis, chaîne dorée pendant du gousset. Et puisqu’on était venu prendre de ses nouvelles, il en a donné tout au long de son tour de chant. On a ainsi appris successivement qu’il souffrait d’un cancer de la gorge (je l’écrit tout net, puisque lui-même en fait tout le contraire d’un mystère), que la compagne qui partage sa vie s’appelle Lola (j’écris bien « Lola », je ne sais pas ce que vous en pensez, moi je trouve que c’est ce qui s’appelle avoir une certaine suite dans les idées onomastiques du conjugo, non ?), qu’elle était une excellente personne (je ne sais pas comment je prendrais un tel compliment, si j’étais la compagne qui partage sa vie) et que, bref, il était tellement content d’être là avec nous, un public si extraordinaire, pas nombreux, nombreux, c’est vrai, mais extraordinaire, putain, que pardon. Avant ça, il y avait eu des solos de l’une et l’autre, des duos des deux, pardi, quelques bon « toques » (entre comillas) de la guitare de José, des impros de Manuel parfois hasardeuses (on pense en particulier à une sorte de compte à rebours par seguiriyas, tel quel, à propos duquel on est encore perplexe) et d’autres fois au poil. Aux rappels, il y eut de l’enthousiasme dans la salle, mais pas indescriptible. Une bonne soirée, quoi.



Dimanche matin, je me suis réveillé avec une légère gueule de bois, une curieuse envie de manger des lentilles et une idée qui faisait comme un caillou au fond de la semelle de mon pauvre cerveau (si on voit) : j’avais (mollement) promis à Marc de faire un compte-rendu du spectacle pour son blog. Non, pas un compte-rendu. Lui, il dit une reseña. Entre guillemets.


Antoine Martin

6 commentaires:

Maja Lola a dit…

Tu as vraiment de la chance, Marc.
T'offrir un reseñador comme A. Martin est un must ! Et qui ne t'a coûté qu'un verre de blanc .... faut-il qu'il t'apprécie, le maestro ...

Tant de regrets de ne pas avoir pu être là ce samedi soir sont vite balayés par ce texte si riche, petit bijou de notre écrivain.
Tout à fait d'accord : Alba Molina n'est pas vraiment flamenca. Mais le plaisir du partage d'une soirée de juerga musicale n'exige pas une authenticité garantie.

Anonyme a dit…

Il y a des nuits de pleine lune, arrosées, qui portent conseil. Raconter sans ennuyer en accrochant l'attention du lecteur ignare, c'est tout un art, ici consommé. L'auteur fut bien choisi.
Gina

Ludovic Pautier a dit…

dans les lentilles, les vraies , on dit qu'il y a toujours un caillou.là c'est un diamant. avec ce qu'il faut de couenne flamenca pour en faire un vrai plat de juerga de titans, à déguster sans couteau ni fourchette, ces guillemets inutiles de la pringa' de catégorie.ezo é, Antoine.
cordialement,

ludo

El Jipe a dit…

Merci, monsieur Martin... Merci de me faire regretter une nouvelle fois de ne pas résider dans une région taurine. De n'être qu'à una pareja d'heures de ces spectacles qui déchirent l'âme et de ne pas pouvoir y assister plus souvent. Merci pour le récit car grâce à vous, je n'y étais pas... mais j'y suis.

Marc Delon a dit…

Antoine je te fais une pro... ah ! tu vois que t'es là à lire les éloges, hein... ;-) une proposition :

les gens en ont marre de moi et comme je les comprends... si tu veux, je te sous-loue ce blog pendant un mois. Gratos ! Carta blanca... Tarjeta delavada...Ccartolina palita... enfin bref chai pô comment qu'on dit... tu serais chez toi, quoi... un mois d'éclate en tête à tête avec une cohorte de lecteurs qui grossirait d'autant plus que ce serait toi. A tout seigneur...
Pas chouette cette idée ? Une bloggidence d'écriture en quelque sorte... Mon public n'a qu'à y gagner, je suis sûr qu'ils sont d'accord... J'entends d'ici les feulements chauds, les gloussements excités du gynécée Nimois...
Et moi, je me re-po-se ! Pour les photos tu n'aurais rien à craindre avec la banque d'images ramenée par Gina d'Islande...

La bise... euh la bourrade d'épaule bien virile, enfin salut, quoi.

Maja Lola a dit…

Voilà une idée séduisante Marc ...
Antoine Martin "en résidence" sur ton blog !!! Ni feulements ni gloussements mais attente impatiente d'une acceptation plutôt. A ver ...