dimanche 1 septembre 2013

Jeux de Mains...

Le toro de Bilbao a-t-il quelque chose à envier au toro de Madrid ? Je ne vois pas comment ce serait possible. Les Victorinos Martin qui déboulent sont imbattables en présentation et on les voit mieux qu'à Las Ventas où l'on est souvent plus loin. Des estampes de parade. Des beautés pour podium. Même le bouton du col de chemise qui étrangle Karl Lagerfeld en sauterait sous le râle de plaisir de l'esthète s'il les découvrait. Les sunlights sont en panne et les nuages menacent. De temps en temps une micro-goutte vient rappeler qu'il est possible que ça se déchaîne. Mais nous sommes équipés. En prenant l'immense parapluie je pense avoir conjuré l'averse. M'encombrer de l'accessoire est en général un bon indicateur du fait qu'il ne pleuvra pas. Aujourd'hui, pas d'antis et même pas une moitié d'arène...



Ma voisine de tendido est une petite mamie alerte qui parle seule. Elle transporte un énorme paquet de pipas qu'elle entame dès le contact auguste avec son siège. Elle est plus habile qu'un perroquet : elle plonge une main leste dans le paquet grand ouvert, en retire une graine de tournesol qu'elle pose sur la tranche entre ses dents et dont elle craquèle le tégument par une pression dosée qui va par l'entremise de sa langue agile, libérer le cœur comestible. Bien sûr, elle postillonne machinalement sur le dos de son voisin du rang inférieur, ce qui ne l'est pas. Elle va plus vite que moi pour ce petit coquillage méditerranéen ensablé, qui m'a valu le titre de « Lucky Luke de la telline de Beauduc » non contesté à ce jour. Huile d'olive, ail et persil compris. Louise qui n'a pas eu droit à son paquet de pipas, boude de jalousie. Le débit de déglutition de la mamie est proprement affolant. On sent les nonante ans de pratique intensive dans l'absorption des angiospermes dicotylédones ibériques torréfiés...



En bas, les choses sérieuses ont commencé et Zébulon ne zébule plus. Ferrera s'applique, joue les classiques. Le capote ample et cadencé, il révise les fondamentaux, progressant vers le centre et rematant par une demie de gala. L'arène apprécie. Festival habituel attendu et réalisé aux banderilles où il est certainement un des plus virtuoses interprètes avec le bondissant skieur de Grenade, El Fandi. Sur son second à la charge ardente, il mettra le turbo pour garder son temps d'avance, sans défaut.

D'entrée, un sentiment d'insécurité le conduit à essayer la main gauche où ça passe plus gentiment. Sur la fin, au prix d'un bel engagement il continuera à arracher des passes des deux côtés. Hélas, ce n'est qu'au troisième envoi, et affecté par cet échec, qu'il se défera de son adversaire d'une demie épée, ce qui dans une arène sérieusement administrée, le prive de trophée.



Urdiales, avec sa face de mouette, n'a pas l'envergure d'un goéland, ça non... il complète la triplette des petits toreros cojonudos avec Robleno et Aguilar. Tous petits mais vaillants. Vaillants parce que petits ? Tous les grands cons dans mon genre imbus de leurs centimètres pensent des trucs de psychologie de comptoir dans le genre. Mais... et si c'était vrai ? Comme dit l'autre raconteur d'histoires pour ménagères de plus de cinquante ans. Dans un Oscar Higares, combien vont d'Urdiales ? Aurais-je pu demander à ma fille en lui faisant bosser son cahier de vacances... Au moins deux. C'est bien les blogs, on peut simuler être un père parfait, personne pour vérifier.


Il va démarrer par une série de véroniques jugée par le fameux Barquerito comme la plus pure et émouvante de tout le cycle d'Aste Nagusia 2013. Après lui, médaille d'argent, qui l'eût cru, celle de Ferrera dont on vient de parler. Ça bouscule la hiérarchie et les pronostics et c'est ce qui est agréable. La tauromachie du combat, celle qu'on n'écrit pas d'avance est pleine de surprises. Le petit Urdiales se baisse encore en fente avant pour « arregler » son toro par doblones en ventilation sous le mufle. Se suivent alors des séries engagées et profondes, graves, baissant la main, courant la main, sur les deux côtés, sans désemparer, avant de boucler la boucle en revenant à des doblones forcément moins cassants, plus doux, qui parachèvent la faena. Quand Urdiales lève l'épée la pluie surgit dans le ciel de Bilbao. Il règne alors une certaine confusion sur les tendidos qui hurlent soudain d'apercevoir la mouette en vol désarticulé. Le toro n'a pas apprécié l'entrée à matar et le lui a fait savoir : voltereta. Descabello, ovation et oreille. Tout y était : courage, science, vérité, art.


La bomba latina qui était venue s'asseoir non loin de nous dans sa mini robe fourreau noire est trempée mais elle a de la caste : elle est là, elle, tandis que son compagnon est aux abris... Ses belles cuisses couleur tabac ruissellent d'une eau douce comme sa peau, jusqu'à ses hauts talons. Elle me sourit de plus en plus – j'ai un grand parapluie je vous le rappelle – sous lequel on s'abrite tous les trois avec ma fille et sa mère – pour ceux qui ne suivraient plus – je lui fais signe de venir s'asseoir avec nous, devant nous, pour bénéficier de l'abri. Elle n'attendait que ça et approche par moults contorsions et déhanchés caraïbes entre les sièges, sous l'oeil amusé de l'infirmière lozérienne – oui, heureusement ma compagne est intelligente...- Soy de Cuba, y tu ? Et allez, la discussion s'engage, la Havane, Trinidad, Cienfuegos, Chucho Valdès, Robert Fonseca, Partagas, etc, sous l’œil interloqué de Louise qui prend en pleine figure et comme une éponge une – tout – autre féminité que celle de sa mère... Pourtant aujourd'hui elle a eu l'autorisation de vernir d'abricot les ongles de ses petites mains. Mais là, elle est largement battue question sophistication féminine et ça la fascine. Elle est dans les effluves de son parfum capiteux, dans le jeu des bracelets qui tintinnabulent à ses poignets, ses formes musiciennes qu' Urdiales a bien fait de ne pas regarder pour rester concentrer, sa robe fourreau qui a encore rétréci, ses cuisses mama mia... ses cuisses vuelta abajo ruisselantes... ses ongles longs et décorés, son exubérance gentille et typée, sa cubanité décomplexée, quoi... 

En cinq minutes elle sait presque tout de ma vie, a posé ses mains fines et soignées sur mes genoux, machinalement, en m'expliquant qu'elle était étudiante à Toulouse avant, bref le mega courant qui passe et me troublerait si je n'avais pas une conscience aiguë de toute cette eau qui tombe et de l'usufruit judicieux d'un magnifique et immense parapluie. Parfois le parapluie génère une rigole d'eau qui tombe de la baleine médiane, juste là, entre ses cuisses. Elle se retourne en riant, me regardant comme si j'y pouvais quelque chose. Si j'arrive à peu près à gérer mes geysers liquidiens personnels, je ne peux répondre du parapluie ! Soudain elle s'envole mais reviendra moulée dans un, ''comme qui dirait'' préservatif géant translucide qui donne encore plus de peps à sa silhouette qui en renfermait déjà beaucoup !



La mamie d'à côté a cessé ce genre de couillonnades depuis bien longtemps maintenant, et, impassible sous l'averse, continue son entreprise froide et déterminée d'éradication de l'angiosperme torréfié de sa péninsule ibérique natale. Question toros, elle s'y connaît. Et si ça s'y connaît qu'elle s'y connaît, c'est qu'elle parle seule et à bon escient. 
- Si, señor ! 
Qu'elle lui persifle à Urdiales quand il termine une série. On ne l'a lui fait pas, d'ailleurs elle est venue seule, et vraiment pour jouir de la course, pas pour papoter avec des copines.

- Muy malo ! 
Qu'elle lui envoie au picador Boterien qui passe devant nous.

- Esso es ! 
Qu'elle renvoie à son copain Urdiales.

Jamais plus de deux mots, pipas obligent, mais toujours a gusto.

A partir de là, lecteur, entre la petite famille à gérer, la Cubaine capiteuse à abriter, le pantalon à protéger de ses mains, des ''crachures'' de pipas et du crachin océanique, j'avoue avoir un peu perdu le fil de la course... j'ai quand même cherché en vain le sitio croisé du Cid, ses naturelles de sous-sol qui roulaient les grains de sable aussi sûrement qu'un japonais les gravillons de son jardin Zen. Envolés. Comme une mouette au dessus de l'océan qui sépare un torero de celui qui ne l'est pas. D'ailleurs, Barquerito a titré :
Urdiales y Ferrera, dos toreros. 
Laissant le Cid en dehors, comme ça, l'air de rien. Le souvenir d'Urdiales perdurera comme les yeux rieurs de la Cubaine qui me prendra la main pour rétablir son équilibre à hauts talons en quittant son siège puis la serrera pour me remercier sous les yeux de l'infirmière qui me dira sur le chemin du retour dans le silence pensif du grincement de l'aller-retour des balais d'essuie-glace : 


- Elle était sympathique cette cubaine, elle avait de belles mains...

 Je vous le disais qu'elle était intelligente...

De belles mains ? Oui... aussi. 

10 commentaires:

Maja Lola a dit…

Joli texte qui ne se résume pas à une reseña tauromachique .... Exotisme cubain et charmante petite famille.

Il n'y a pas à dire, c'est là que Delon excelle !

Finalement, la recette anti-papoteuses des tendidos c'est ça ?
Un sachet de pipas ?

Marc Delon a dit…

Enfin lola is back, elle me manquait la petite musique fraîche de tes commentaires...

Anonyme a dit…

Muy Bueno. Enfin quelqu'un qui considère la tauromachie comme un tout et sait la rattacher à la vie. S'en servir de lorgnette pour observer l'âme de l'Espagne que nous aimons

Maja Lola a dit…

Exact, anonyme. Et parfois il semble que notre Marcos ait une vision à 360° tant il capte et "désosse" à s'en repaître l'évidence incontournable comme le plus petit détail ...

Et puisque nous parlons de come back, what about notre cher Chulo ?

Anonyme a dit…

C'était Lupita de "Cuban Missile Crisis" ! et tu l'as pas reconnu !!!

Marc Delon a dit…

Incroyable ! Mais oui ! Bien sûr ! qu'elle vienne à moi comme ça au milieu de toute une arène : mais oui, cela ne peut être qu'elle !!!!
C'est fou !

Maja Lola a dit…

Quieto, Delon .... Lupita n'aime que les toreros ;-)

Marc Delon a dit…

ça ne fait rien, je suis son papa moi, à Lupita... c'est ça qui est émouvant... n'ai-je pas l'air pétri d'instinct sex... paternel dans chacun de mes articles... ?

Anonyme a dit…

Qui touche à tout de son regard à multi facettes, et de ses pattes antérieures ?
- La libellule? Non.
- Le criquet? Non.
- Le hanneton? Non.
- Le frelon? Non.
Je pense que c'est Marc Delon.

Pedroplan a dit…

Ah, les pipes de la voisine de tendido. Voilà qui me rappelle le bon temps...