samedi 28 juin 2014

JUIN DE CULASSE d'Antoine Martin

Histoire de l’humanité, fragment 2

Odyssée

La succession des titres nous indique très vite qu’on ne doit pas attendre de ce livre matériellement aussi léger que coloré trop de légèreté.
Il est banal dans les années 70, 80, qu’une famille de classe moyenne ait des désirs d’évasion modestes dans une voiture modeste au-delà de la frontière espagnole pour trois jours. Mais la Nature et la Société se liguent contre les vacanciers car tel est le sort des Humains. Se développe donc dans cette Odyssée, le contraste incessant entre les désirs de l’homme et ses difficultés à les satisfaire.
Pourtant tout démarrait bien dans le récit. Les personnages sont portés par un idéal politique généreux ; dans la Renault sortie des usines autrefois d’Etat, on chante un monde sans frontière. Les enfants entassés avec leurs bouées braillent leur joie et leur chanson, et le Père, vrai et seul chef tout puissant, croit-il, de sa famille, supporte le charivari.
Mais la Nature malmène le joyeux équipage avec ses excès. La canicule surchauffe très vite le moteur, les corps et les esprits. Il faudra attendre, - on l’aura compris- la réparation d’un joint de culasse. Comme dans « Chauffe-eau », c’est encore un problème de calories qui nous interpelle aussi sur l’homme et son temps, l’Homme face à la Technique qu’il ne saurait refuser mais qui le domine avec ses mystères, ses pièges et ses techniciens ou assureurs imbus d’eux-mêmes, irresponsables, plus soucieux d’argent que d’efficacité et d’altruisme. Et cette Technique n’est-elle pas responsable aussi des nuisances apportées à la Nature qui souffre - pour plagier Michel Serres -, à cause de l’homme qui la malmène ?
On le savait mais pas de la manière délicieuse dont nous l’expriment avec le talent qu’on lui connaît, le sourire ou l’ironie et l’érudition d’Antoine Martin. La structure du roman séduit déjà car le récit est délivré en courts chapitres, suivant l’ordre chronologique à mesure que se rencontrent les tout puissants spécialistes. Les chapitres du récit sont séparés par d’autres courts chapitres réservés au personnage-Père qui livre ses réflexions personnelles et tous ses souvenirs et connaissances scolaires ou vécues sur les véhicules, les transports, souvenirs qui sont aussi les nôtres et qu’on retrouve avec émotion.
Dans le récit, chaque rencontre avec les techniciens-garagiste est hilarante. Réduits sans tendresse, à quelques grands coups de crayon significatifs de leur caractère et de leur comportement qui permet d’anticiper la suite de l’histoire, leurs propos sont rapportés dans un registre de langue approprié, souvent celui d’ une classe sociale moyenne et masculine, que le narrateur enrichit de mots ou expressions familiers ou argotiques (à contrôler par moments sur Google), de calembours, d’images et d’autres jeux sur les mots jaillis spontanément, semble-t-il de l’imagination de l’auteur. Les personnages nous sont ainsi plus proches, on les reconnaît, on les devine car nous aussi nous les avons rencontrés. S’oppose à eux, l e personnage du Père, cherchant à impressionner sa famille, à ne pas déchoir. Après son psittacisme technique «  c’est une durit » il va s’enfonçant de plus en plus dans l’ humiliation tandis que les lecteurs s’imprègnent de tout un lexique automobile qui donne sens aux titres de chapitres mettant en correspondance l’univers technique et la psychologie des personnages ou les moments importants de l’histoire (ex. : Feux de détresse ou Tuyau d’échappement » réservé au passage du poste frontière).
Car le plaisir du texte, riche, érudit, rempli d’allusions empruntées autant à l’actualité qu’à l’Antiquité ne peut se savourer que lentement si on veut ne rien perdre des images, des mots d’esprit du et des jeux de mots, de la façon dont ils sonnent à l’oreille, dont ils se heurtent ou s’associent pour produire du sens et soutenir notre plaisir d’une manière jamais laborieuse ou forcée.
C’est qu’Antoine Martin met à notre service son goût pour les mots et les choses, sa prédisposition pour le badinage, l’enjoué, le décalé avec un plaisir qui n’a d’égal que le nôtre même pour évoquer un moment commun et sérieux de l’ existence.
GINA

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Vous rentrez de vacances après un mois d'absence : le frigo n'a pas supporté la solitude. Sitôt posées les valises, vous vous bouchez les narines et remplissez des poubelles. Antoine Martin aurait bâti un chef-d'oeuvre !
Gina