mardi 23 septembre 2014

Le Toro qui avait un bon son

Il faut se rendre à l’évidence : réunir trois artistes majeurs comme Finito de Cordoba, Morante de la Puebla et Manzanares, ne remplit plus l’arène. Il est vrai qu’à Nîmes, on a pris la mauvaise habitude de se résigner face à la faiblesse chronique des toros.  Ca ne décourage pas vraiment  mais ne doit pas non plus, on l’espère, créer d’engouement ! C’est un peu comme notre rapport à la politique, quoi… On a donc assisté au défilé habituel de toros faibles sortant au ralenti, aussi désabusé qu’un militant PS jadis intensément rosifié d’enthousiasme avant que ne l’afflige la pâleur de la honte. (eh, oh, ça va, hein… je suis gentil je trouve… parce que depuis deux ans et demi, si j’avais voulu me défouler, y’avait matière, hein…)


On passera rapido sur les nimoiseries ordinaires consistant en l’occurrence à attribuer un trophée après le troisième avis – en pleine despedida Chavaniesque ! *-  et à la montée au créneau transgressive de Casas himself s’insurgeant sur  la bêtise d’un règlement  brimant les artistes. Il y aurait à discuter, l’Art ayant  montré qu’au contraire, les contraintes suscitent souvent plus de créativité… (débattez entre vous, moi je bosse, je dois pétrir des lombaires de « sans-dents » ça fait des boulettes brunes – crasse ou bronzage ? - Mystère… Mais j’ai bien peur qu’ils n’aient pas pu acheter d’Ambre Solaire…)


Et on arrive enfin à ce qu’on peut retenir, comme la deuxième prestation de Finito dont Cordoue n’aurait pas renié l’art, même si le revistero a pu le trouver trop distancié. Mais le clou de ce spectacle fut sans conteste la faena au troisième toro qui réunit trois virtuoses. L’animal émit soudain un retentissant – Schlak ! – à moins qu’il se fût agi d’un – Plek ! – en tout cas les pierres du vieil amphithéâtre en diffusèrent l’écho sec jusqu’à nos tripes déjà malmenées et du coup on avait nous aussi, mal au genou. Alors quoi ? Fissure du plateau tibial ? Tendon rompu ? Ligament dilacéré ? L’autopsie ne nous le dira pas car tout le monde s’en fout. Toujours est-il que l’animal supprima immédiatement l’appui de ce membre à la façon d’Iron – mon chien – quand il est à l’arrêt sur libellule… (Je raconte bien, hein… je sens pedroplan captivé et même, même, un léger frémissement du fléchisseur commun superficiel par lequel on taquine le clavier quand on est moins inhibé que vous tous, anonymes timorés du commentaire) et que Manzanares dépité, partit chercher l’épée, la vraie, la lourde, celle qui ne tranche pas que l’ersatz de beurre, ce Saint-Hubert mollasson farci d’omega 3 auquel je m’astreins pour préserver la nouvelle palpitation de mon cœur.


Bon, maintenant que les gens sérieux sont repartis lire les colonnes de ''TOROS'' et que nous sommes entre intimes vu que vous connaissez même la composition de mes tartines matutinales, il est temps de vous expliquer à quelle conjonction sensible je dus soudain faire face : le toro reposa son antérieure au sol car sa noblesse le prédisposait à la charge, et Manzanares le reçut comme il se doit, souple de ceinture, alluré, majestueux. Des gradins dégringolèrent les premières notes du concerto d’Aranjuez, lentes, profondes, servies par un trompettiste appliqué, ce qui réduisit ma déglutition tandis qu’un frisson parcourut rapidement ma peau ; En bas, ce toro à la race insensible au handicap, qui avait un bon son, poursuivait, patte en appui - Aaaah si seulement mes patients pouvaient montrer la même race...! - avec abnégation, la muleta que lui présentait un jeune homme inspiré ; et puis la couleur des notes de cette trompette dans mon oreille comme le taraud cuivré d'une Espagne toujours hospitalière à ma sensibilité ; et sur mon épaule une tête, un parfum familier, des cheveux qui caressaient le territoire de ma joue soudain traversée de la loupe d'une larme scrutant l'intensité de ce nouveau bonheur, aussi improbable et beau que l'accord subtil d'un homme rationnel, civilisé, avec l'animalité radicale d'un toro au combat.

 

Moquez-vous les gens, j'ai sombré dans le lyrisme. M'en fous.

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* Chavanieu René : en quelque sorte le doyen de l'aficion nîmoise, volontiers raillé par les uns ou admiré par les autres, intransigeant sur un règlement qu'il essaye de faire respecter à la lettre, à la seconde près - pour les avisos par exemple - ou le calcul du taux horaire du piquero "qui pour ce prix pourrait piquer un peu mieux..."
Son grand plaisir avant de se rendre à la conférence où tel ou tel club taurin l'avait invité, c'était de passer au préalable à l'abattoir récupérer certains morceaux de choix, les émincer et les cuire à la plancha, avant d'avouer à ces dames à la première remarque superlative sur ce fumet si particulier, qu'elles venaient de consommer de bonnes grosses couilles de toro...                   
Un chafouin-mutin le chacha...

photo France bleu.fr

14 commentaires:

Pedroplan a dit…

Je sens comme un toque... Alors, brave comme je suis je fonce. Le rejet des contraintes, ça montre que Casas (au cas où on en aurait douté) n'est en rien un Oulipien. Ce ne sont pas les avis qui vont en finir avec la corrida, mais ce défilé d'invalides (pardon ! de toros à mobilité réduite) qu'on nous impose féria après féria... Enfin, bon, par chance, l'ombrelle de Morante nous a un peu détendus, nous,à notre vomitoire de cancres rigolards.

Anonyme a dit…

C'est un beau texte, spontané et sincère comme toujours.
Le passage du ton badin et railleur au lyrisme romantique ne laisse pas indifférent.
Dommage que la recette de cuisine en vienne rompre le charme !

Gina

Marc Delon a dit…

Gina la recette ne fait pas partie du texte, c'est un renvoi par astérisque !
Encore que, n'est-ce pas dans ces parties que se fabriquent les petites graines qui vont donner un embryon de bébé lequel est le plus souvent le fruit de l'amour ? mmm ? Tout se tient... même suspendus !

Marc Delon a dit…

distingué Pedro-Altiplano bravo pour la référence à l'ouvroir de littérature potentielle...

Anonyme a dit…

Marc, d'accord que l'Evolution ait garanti à ces parties une noblesse et une durée illimitée (et tant mieux ou tant pis pour les mammifères rescapés), mais on n'a pas forcément envie de les consommer à la plancha !
Gina

Pedroplan a dit…

Ah, Marc, mais c'est que,bien que rustre, on a sa culture.

Marc Delon a dit…

ou comment le psychisme peut inhiber les papilles...
La raison pour laquelle chacha chafouin-mutin ne prévient pas...

Anonyme a dit…

Il y a des amours comme le taureau, qui va partout où on l'attire...Mon amour est comme un grand arbre, qui demeure où on l'a enraciné...Love.

Maja Lola a dit…

Ma Gina, il faut les avoir goûtées pour se convaincre que la fonction gustative n'est pas à négliger .... loin de là !

Anonyme a dit…

Lola, tu as sans doute raison et les British mangent bien du haggis aux mamelles de brebis !
Mais, tout vient du serveur...trop brutal !
Gina

Pedroplan a dit…

En lisant ces dames parler avec une telle gourmandise d'émincé de testicules a la plancha, on se cramponne à son slip !

Anonyme a dit…

j'en ai connu qui préféraient les suçoter crues...

Marc Delon a dit…

de toros ?????

Bon, on n'est plus au printemps mesdames et messieurs, et tout ça c'est la faute à Chacha

Pedroplan a dit…

Cela dit, et puisque c'est l'automne comme a dit Marc,soyons sérieux: le haggis,c'est le plat national des Ecossais du monde entier.Ils le dégustent pour commémorer l'anniversaire de la mort de leur poète national. Un peu comme si toute la France bouffait de la tête de veau sauce gribiche pour célébrer Victor Hugo. Mais nous sommes moins poètes que les Ecossais, je pense.