Cette
nuit-là, il avait réussi à maintenir un sommeil léger malgré l’envie de pisser.
Autant dire qu’au réveil, l’envie était furieuse. Mais au moment où il allait
entrer dans les WC, sa chérie ensommeillée réclama une tasse de café et il
obtempéra, entamant un dialogue assez compliqué avec sa machine à café. Elle ne
s’exprimait qu’au travers de voyants lumineux dont la logique ‘’robusta’’
s’accommodait peu avec sa sensibilité ‘’arabica’’ dès potron-minet…
Contact… Là,
il fallait attendre… si on commençait à tripoter le moindre bouton on n'était
pas prêt de boire sa première tasse. Deux minutes après, éveil de la
machinerie, production de divers couinements et bourdonnements tirant vers le
tremblement contrarié. C’était bon signe. La bête s’ébrouait. Check-up général,
tous les voyants s’allumèrent tour à tour en une ronde verte et rouge. Le
chien, qui dormait dans le garage avait entendu et aboyait copieusement. Il
alla lui ouvrir pour qu’il ne réveille pas la maisonnée dont son fils, l’adulescent
nyctalope qui rentrait à peu près à l’heure où il s’éveillait… bienheureux
étudiant… il jeta un regard circulaire, c’était bon, le chien n’avait pas pissé
partout.
La machine à café,
elle, si. Il avait oublié de glisser sous la buse, la tasse qui permettait de
récolter la vidange de la pompe initiant le prochain café… Sur son tableau de
bord, le point d’exclamation était rouge et clignotait rapidement : plus
d’eau dans le réservoir. Son remplissage par le glouglou du robinet accroissait
encore son envie de pisser…
Le
voyant restait rouge mais clignotait plus lentement… Le fixant, il tenta de
réfléchir au sens de ce nouveau signal… il pensa qu’il fallait vidanger le
compartiment recueillant les marcs de café… il s’exécuta tandis qu’un autre
voyant apparaissait… celui-là il le connaissait, il demandait à ce que la bête
soit détartrée… mais durant cet avertissement la machine restait fonctionnelle.
Il rajusta le compartiment à marcs, se saisit de la tasse préférée de sa chérie,
règla son dosage – 2 pour le café, 3 pour l’eau, jeta deux petits sucres en
forme de cœur comme il jetait ses billes à la récré - et appuya enfin sur le bouton, glissant in
extremis sa petite cuillère préférée, très girly, tellement petite qu’il n’arrivait
pas à l’attraper avec ses gros doigts d’homme.
Mais,
Niet. Ça voulait pas. Il avait vraiment envie de pisser et l’autre mal nommé d’automate
qui ne voulait pas démarrer… Il fila une claque rageuse sur le compartiment à
marcs, à l’instinct, et aussitôt, la machine démarra ! Au bruit
caractéristique du moulin il comprît tout de suite que le broyeur n’avait rien
à moudre, le réservoir à grains était vide, ce qu’aucun voyant ne signalait… la
tasse s’emplit d’une eau beigeasse qu’il jeta vite avant que le sucre fonde. Fallait pas gâcher. Il empoigna son
‘’Planteur des Tropiques’’ qualité hôtellerie, délicieux, super bien équilibré
– 85% arabica 15% robusta – et quarante fois moins cher que son équivalent en
dosettes d’aluminium colorisées ce qui à raison de cent cinquante tasses par
mois, remboursait son automate deux fois l’an à peu près…et remplit le moulin,
relançant la machine. Aaaaah le bruit du moulin nourri de bons grains huileux soudain
broyés dans cette bonne odeur...
Avez-vous
déjà traversé une maison, une tasse de café brûlant remplie à ras bord où
trempe une ridicule petite cuillère, avec une furieuse envie de pisser ? Sa
trajectoire mal définie pour négocier le virage du couloir lui gicla une liche
de café bouillant sur le dos du pied gauche qu’il fut obligé d’accueillir avec
le même stoïcisme que José Tomas une cornada, sous peine d’augmenter le
désastre.
Son
arrivée triomphante dans la chambre fut ternie par la constatation que la belle
s’était rendormie… le bruit de la tasse sur le verre du chevet la réveilla à
nouveau et lui inspira un étirement général en torsion de son mètre soixante et
dix qui induisit une descente de couette la découvrant jusqu’à la ceinture. Que
c’était beau… ça valait bien une brûlure.
Il
repartit dans le couloir, en route pour les WC, lorsqu’il entendit un
gémissement qu’il ne connaissait que trop bien. Son chien était devant la porte
et gémissait tous clignotants rouges allumés dans les yeux : il avait très
envie de pisser. En pareil cas, il avait cinq minutes avant qu’il n’arrose
toute la maison… il repartit fissa dans la chambre s’habiller à toute allure,
lui enfila son harnais limiteur de traction sans lequel il n’était qu’un
traîneau perdu sur l’asphalte et se projeta dans la rue. Trois mètres après le
portail, Iron leva la patte et vidangea de longues minutes… comme il l’enviait…
il avait froid, n’avait pas bu de café, celui pour lequel il avait perdu un
temps fou devait refroidir sur le chevet car prenant possession de toute la
surface du lit, la belle avait du se rendormir… Durant une minute l’effleura l’idée
qu’il allait imiter son chien, là, dans la rue… Nous étions le samedi de
Pâques, pas une voiture, pas un piéton, rien…. Il descendit sa braguette, des
volets s’ouvrirent, des cloches retentirent, au loin une moto se rapprochait, tout
s’animait soudain ! Il remonta sa fermeture éclair prestement dans
laquelle se coinça un pan de sa chemise qui s’avérait boutonnée de travers ;
de plus il avait une chaussette bleue et une autre grise qui le serrait
beaucoup, tandis que ses lacets traînaient au sol ; il eût la vague
impression que tous les conducteurs croisés ce matin avaient été très souriants.
Car il avait prolongé la promenade jusqu’au gros caca de Pâques dont Iron gratifia
le voisin qui le haïssait, juste devant son portail : y avait-il une
relation de cause à effet ? C’est vrai qu’il avait une tête de cul ce
voisin.
Quand
ils rentrèrent, Iron fila à son panier prolonger sa nuit et sa fille était
‘’PTDR’’ sur le canapé sans raison apparente… jusqu’à ce qu’il constate le banc
de poissons qu’elle lui avait collé dans le dos… Il ne pouvait quand même pas
lui reprocher l’espièglerie qu’elle tenait de lui, si ?
Sa
vessie semblait lui accorder un répit, il fila donc au garage reprendre la
construction de ses ‘’chevets cubains’’, sorte de boîtes rectangulaires sur
pied, en planches de palettes récupérées, sciées, poncées, traitées, collées,
clouées, vissées, rebouchées, à nouveau poncées et enfin teintées.
L’appellation ‘’cubaines’’ seyait à merveille à un type aussi peu bricoleur que
lui vu que là-bas c’était tellement la débrouille intégrale qu’on ne pouvait en
vouloir à des approximations aussi poétiques que des planches mal aboutées par
exemple…
Il
officiait donc d’urgence – il n’avait que ce week-end pour les réaliser - dans
le froid du garage où le romantisme de ses petits meubles sans plan ou côtes
préalables, n’avaient d’égal que l’improvisation des techniques qui espèraient
mener à leur érection pittoresque dans la chambre du nyctalope dont la vie
montpelliéraine en semaine permettait une déco ‘’Spécial Cuba quand tu n’es pas
là’’ grâce à son fond propre iconographique, le tout taraudé par une envie de
pisser qui reprenait. Personne ne pourra jamais se rendre compte de la
difficulté à obtenir quatre pieds parfaitement ajustés dans ces conditions, pour
que le petit meuble ne soit pas bancal, personne…
Certains
grincheux objecteraient que cette histoire n’était pas crédible, que pisser
ne prenait que deux minutes, etc… c’était sans compter sur son entraînement
journalier au travail, où il n’avait quasi pas le temps, où sa remarquable
résistance à la rétention liquidienne s’exerçait à plein temps, pas encore
polluée par une prostate indisciplinée.
Toutefois,
tout exploit ayant ses limites, il rentra à nouveau dans la maison pour se
soulager lorsqu’on lui fit soudain remarquer qu’il était midi passé et qu’à
part lui, personne ne savait s’y prendre pour transformer ce cylindre congelé
en juteuse épaule d’agneau roulée, confite aux petits légumes…
Bifurcation
immédiate en cuisine, sortie de cocotte en fonte, sortie de citron pour frotter
l’épaule afin qu’elle soit plus croustillante, taille des oignons, pommes de
terre, carottes, bouquet garni, faire revenir la bête sur toutes ses faces, l’enfourner,
enfin bref, la suite classique des trucs ultra simples que la majorité feint
d’ignorer pour qu’un autre le fasse à leur place, et si ça leur coûtait, lui,
se régalait.
Il
traita les quatre pieds du deuxième chevet au xylophène, puis, pendant qu'ils séchaient, alla fixer les
premiers déjà collés, par des vis, avant de passer
une deuxième couche, tout en contrôlant le chien qui aboyait comme un perdu
chaque fois qu’un piéton passait, tandis qu’il n’oubliait pas malgré tout d’aller
arroser le rôti, supervisant sa cuisson…
Puis
on l’intercepta pour passer à table et procéder à la découpe de l’épaule
roulée. Suivirent des fraises à la chantilly. A la fin du repas alors qu’il
pensait pouvoir boire un café bien mérité et se soulager, son fils excité lui
apprit qu’on venait de lui donner deux billets pour la première corrida d’Arles,
qu’il fallait aller chercher à l’autre bout de Nîmes. Pour voir qui ? El
Juli, Roca Rey, Bautista.
Branle
bas de combat, changement de tenue, faire le plein de carburant, toréer la
déception des filles de la maison qui ne sont pas invitées… et en route pour
Arles…
C’est
quoi les toros ? lança-t-il plein d’espoir… El Freixo ! Oh putain,
trop tard pour faire demi-tour et s’abstenir… du Daniel Ruiz Garcigrandé… la
plaie de l’aficionado, le régal des vedettes… En fait, Arles avait acheté à El
Juli une prestation clef en main, je torée et j’amène mes toros… elle est pas
belle la vie ? Sorteo mon luc ! Il est possible/probable que l’année
prochaine nous voyions une empresa se mettre au cartel pour toréer ses propres toros
avec sa mère à la taquilla, sa sœur à la com, ses cousins dans la cuadrilla,
ses neveux à la buvette et petits neveux dans les gradins pour l’écoulement des
chouchous et autres micro bouteilles d’eau à 3 euros pièce… Quoi ? ça
existe déjà ? Ah bon…Quel amateur ce Fillon. Quand il est bon le filon,
faut l’exploiter.
En
tout cas, s’il s’était agit de démarrer une carrière de piquero, il pensa que c’est
devant des El Freixo qu’il fallait se lancer. Un boulot vraiment pas cassant ni
effrayant : invalide le premier, grand concours de génuflexions pascales
pour les quatre suivants, avec tous des têtes ‘’commodes’’, y’avait vraiment
pas intérêt à pousser sur le manche mais plutôt à être un bon mime.
Seul le sixième et dernier pouvait justifier d’une condition de ‘’toro bravo’’
prenant deux vraies piques, longues et rechargées.
La
course commença bien sûr par un hommage à Luc Jalabert dont les obsèques
avaient eu lieu la veille. Alors qu’il s’attendait à une minute de silence, il
fut demandé au micro un moment de recueillement musical qui lui inspira
diverses émotions mais vu les notes jouées, pas le recueillement qui
motivait le truc. De nos jours, c’est terrible, même la mort n’arrive pas à faire
cesser le bruit… A ce stade, l’envie de pisser était telle qu’il n’entendait
plus que des bruits de cascades, de torrents dévalant des pentes abruptes où
des truites soyeuses se faufilaient…
Deux
fois deux oreilles pour Bautista, comme il était attendu, bon, sans doute pour
lui dire qu’ils l’aimaient et étaient peinés pour lui. Encore moins justifiées
au second où désarmés et tentatives ratées à l’épée ne parachevèrent pas ce qui
doit être un œuvre rare et exceptionnelle pour motiver l’octroi de deux
trophées. C’est vrai qu’il fut facile et réussit ses enchainements en changement
de main devant les collaborateurs ralentis.
Un
public toujours plus incompréhensible très centré sur la quête de ‘’Musica’’ ce
qui donne il est vrai l’occasion de dire un mot en espagnol, et une présidence
encore plus incompréhensible qui attend deux heures pour donner ‘’son’’ oreille,
accréditant donc bien par là, que….. ce n’est pas la sienne… !
Assister
à tout ceci réuni, outre que cela ralentissait la réalisation des chevets
cubains, aboutissait à une sorte de malaise qu’il s’interdisait de partager
avec son fils dont la jeune aficion avait besoin de l’enthousiasme des débuts.
Bien sûr, émettre la moindre réserve sur les réseaux sociaux déchainait
immédiatement les foudres de norias d’admiratrices béates d’autant que le
torero local, flanqué de sa pequelette à la main droite et de son bezuquet à la
main gauche donnait une vuelta qui, inconsciemment bien sûr, ressemblait un peu
à la présentation de l’éventuelle nouvelle empresa puisque lui-même venait d’en
hériter automatiquement…
Soleil
disparu, la fin de course avait été frigorifique, comme l’attente sur le grand
escalier d’une célèbre buraliste du Moun venue avec des acolytes depuis
Roquefort les Pins tous vêtus avec des habits qu’il n’avait pas aperçu depuis
1982 ou peut-être 84 mais pas plus, qui donnaient vachement envie d’aller
pisser et confirmaient que le Sud-Ouest rural était vraiment la fin de la terre
sous cette latitude. Elle lui avait la veille posé cette question incongrue :
es-tu toujours aficionado ? Il fallait se rendre à l’évidence, pour 99%
des courses, la réponse était non.
Il
repartit sans pisser, peut-être trois bars de pression à contenir, ayant appris
qu’Isa du Moun voyageait en bus Pullman avec WC et, sur la route non loin de
Nîmes, il apprit aussi que les places de corrida offertes émanaient d’une
société qui fournissait à la ville d’Arles les cabines urinoirs. Si avec tout
ça il n’y avait pas moyen de pisser copie malgré le triste spectacle de toros
dégénérés sortant au pas précautionneux de leur atonie, c’était à désespérer de
tout.
Photo Anthony Maurin
6 commentaires:
ah je pleure de rire !!!! Il ne t'a pas plu mon anorak vintage? Eh bien moi au moins je n'ai pas eu froid!
Sinon cette course t'a paru vraiment longue, car je ne t'avais pas posé la question la veille mais le jour même... Mais bon, la réponse est pour moi identique. Comme quoi, tu es si élégant, mais au fond si semblable aux ploucs landais...
Pleurer, pisser, éjaculer, saigner, écrire, la vie ne s'écoule-t-elle pas goutte à goutte ? Ton blouson vert pomme fluo était le moins pire...
On s'amuse et on aime ce texte écrit au rythme de quelqu'un d'impatient, planté derrière la porte des toilettes.
Qui eût pensé qu'un homme peut s'occuper à tant de choses en même temps ? Un cas !
Y aurait-il aussi des neurones logés dans la vessie ?
Gina
En fait j'avais pris le blouson dont je me sers pour faire du vélo: coupe vent et visible. J'étais effectivement bien visible aux yeux des provençaux... :D
Excellent oui....y aurait il des neurones dans la vessie.....
Moi j'aurais plutôt demandé s'il y avait des flux dans le cerveau, mais bon, je ne suis pas une fille...
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