vendredi 12 février 2010

L'Hemingway 2009 à paraître le 18 février




Survoler l’ouvrage du prix Hemingway, Le Frère de Perez avant sa prochaine parution, c’est côtoyer les écrivains connus et les autres, c’est rechercher des nouveautés dans l’écriture et le contenu des nouvelles dont le thème est imposé. Imposé, mais avec souplesse, puisque les participants utilisent au maximum leur imagination sur des chemins éloignés des plus rebattus, et cette liberté honore « Le Diable Vauvert ».

Pas que la corrida ne soit effacée. Mais les grandioses descriptions où le spectacle se déroule en direct sous le regard du lecteur sont rares.
Réduite parfois à une esquisse rapide à la manière directe, dense et sobre de Régine Detambel (Féria de glace) « double exercice, sport et prière, bifurcations de trajectoire, intersections de tous les traits de la vie et de la mort, de l’ombre et du soleil » ou à des traits poétiques jaillissant à tout propos, au fil du temps, dans un journal rempli de souvenirs (Mon Frère d’a d’Yves Charnet ou Pentecôtavic de Manu Causse), elle fascine toujours, renaît pour un rien dans des pages tirées de l’Histoire, déportation des Gitans ( El Nino Azul de Gérard Gruhn, déportation de républicains espagnols ( Le Pyjama de lumière de Georges Girard ). Dans le camp de Mauthausen, par exemple, un prisonnier la mime : « un sac de ciment vide retaillé devint cependant la muleta idéale…il retrouva peu à peu, la souplesse du poignet, de la ceinture, l’ouverture du compas, le rythme…Il toréait « de salon » et son rêve… l’amenait loin très loin, sur le sable doré de quelque arène souvenir… Il enroulait autour de sa taille, lenteur absolue du geste, râle profond de gorge doucement retenu. Folie ». Pour l’amour du flamenco, les souvenirs d’Espagne, de férias qui l’accompagnent, un SS ajourne la mort du petit gitan.
Le plus souvent, dans le recueil des souvenirs taurins se recréent chez des narrateurs nostalgiques, éloignés du Midi et de leur jeunesse, exilés à Paris, (Corrida parisienne, François Perche), dans les Ardennes (Le vieux Taureau, Nicolas Ancion). Quand on essaie de l’évoquer ou de la reconstituer avec les moyens du bord, de la mimer, cela nous vaut de beaux passages, émouvants de nostalgie, inquiétants ou amusants.
Dans Corrida parisienne, à 6h 30, dans la rue St-Jacques à la lueur d’un réverbère et de la vitrine du narrateur libraire, un ancien torero se laissant appeler Manolete même s’il n’a pas son habit de lumière, opère avec un bout de tissu rouge et un morceau de balai. « je ne reconnaissais plus le petit coursier…Il se donnait totalement, il s’exprimait sans que ses pieds quittent un point fixe…Il visait un point imaginaire… puis il se jeta en avant… >>
Dans Le Vieux Taureau, le protagoniste, ancien amateur de catch va laisser son neveu organiser une corrida sur la place du village près de sa salle de combat. Les neveux des oncles (!) sont nombreux dans le recueil pour que leurs idées novatrices bousculent les maturités ronronnantes des aînés et lancent le récit. Donc, ici, le neveu avait préparé les affiches, les noms, les gradins, emprunté la bétaillère et le taureau, il s’était loué un costume de lumière, ses valets avaient revêtu des tenues de skate-board. Il y avait grande foule, les voitures encombraient le village et la sangria se vendait bien ; l’animal s’est précipité sur le bar, les gradins et la serveuse jusqu’à ce que l’ex catcheur le maîtrise et se retrouve en clinique après un fiasco de rodéo.
Dans Taureau, Taureau, Aurélie Champagne use d’un style très alerte, vif, endiablé, tourbillonnant, pour animer des personnages jeunes de langage et de mœurs, shootés (taz et frac), bourrés, qui improvisent la nuit, une corrida dans la rue « ce couillon de mariole s’est mis à faire la corrida »


C’est aussi le choix de l’animal qui nous amuse dans toutes ces fausses corridas de salon et de papier. Célébré avec amour et respect dans les textes de Causse ou Charnet, il peut être réduit à des cornes qu’un personnage promène, ou fait rouler, ou alors, le rôle est assumé par un personnage qui se déplace, se baisse et ouvre les bras. Toutes les fantaisies sont permises.
Voici celui de J-F Chaigneau,(L’Aficionado) dans ses anecdotes de rencontres familiales : « gonflant la poitrine, arrondissant les épaules pour se faire aussi massif que la bête, il se mit à vaciller bouche ouverte, cherchant à respirer. Il roula des yeux au ciel… Il fit quelques pas, s’écarta de la table et tomba à genoux, solennellement comme ploient les héros vaincus, puis roula sur les gravillons et rendit son âme de toro, les quatre pattes en l’air, allongé dans l’allée du jardin…La foule de la famille applaudit. »
Dans la nouvelle lauréate, « Le Frère de Perez », le personnage taureau d’Antoine Martin plus occupé à boire qu’à élever ses enfants accepte le rôle de taureau, vraiment secondaire, en attendant de toréer ; l’attente remplit sa vie comme les verres de pastis qui successivement ponctuent les chapitres de l’histoire au fil de ses déconvenues. Preuve que cette fonction n’est pas des plus glorieuses. On la réserve souvent à des femmes. Un progrès cette année, elles sont représentées pour cette fonction secondaire, une sœur, une cousine, une épouse parfois soumises à des consignes précises : « un bon taureau ne part que lorsque le torero le veut, un bon taureau s’engage tête baissée et toujours à la même vitesse. Un bon taureau ne mugit pas. Un bon taureau ne gratte pas le sol avec ses sabots… » (Corrida parisienne (F Perche)
Ici, l’épouse se sacrifie, en bonne Espagnole se pliant au fantasme machiste, sexuel voire zoophile de son époux qui abuse d’elle sous les quolibets du valet d’épée, quand elle est à quatre pattes, ce dont elle se vengera en le tuant. C’est cru, dur, raconté avec la vigueur dont use la femme à couper les oreilles de l’époux, avant de se retrouver triomphante, en prison pour assassinat. (Maestros y mozos de Marcus Malte)
Ailleurs, le taureau est un enfant terrifié : « la fourchette était pointée sur moi comme une épée. Droit entre mes deux yeux. Tout ça devait être pour rire, après tout ! Mais il y avait cet instinct de mort que je voyais très nettement dans l’œil noir de mon oncle. Je toussotai deux fois pour lui faire comprendre que j’acceptais d’être le toro, sans cesser pour autant d’être son neveu. Il m’inquiétait… Jamais auparavant je n’avais eu peur d’une fourchette… » (Chaigneau)
Quant au personnage de Taureau Taureau, son rôle est une réussite « j’ai roulé des yeux noirs, j’ai chargé … Le dos courbé, râblé. Les doigts comme des piques, le corps une caillasse. J’ai chargé de toutes mes forces, tout ce que j’avais. En plein trip, j’étais taureau, les cornes m’étaient poussées…à dévaster n’importe quoi, emplafonner n’importe qui…Emporté par mon élan, …je me suis empêtré dans les caisses et mon genou a cédé. »
Enfin, il y a dans le recueil un taureau animal particulier, un vrai, protagoniste de la nouvelle, Abelardo. (Cela n’est pas rare chez l’auteur, A. Martin). A la manière picaresque, s’abandonnant à une fantaisie débridée, il en narre les aventures... Il faut préciser que, comme Romain Gary avec « Ajar » A. Martin a utilisé un deuxième nom pour produire une deuxième nouvelle. Dans son inconscient s’est-il imaginé, ouvrant et clôturant l’ouvrage ?. A-t-il voulu tester ses lecteurs ? A-t-il hésité dans le choix de ses textes à présenter ? Ou s’est-il laissé emporter par le plaisir d’écrire… et de gagner ? Car, on peut se demander pourquoi Abelardo n’aurait pas mérité la première place.
Bref, nous assistons pas à pas sous la conduite d’un sympathique narrateur omniscient, à la façon dont Abelardo surmonte son état d’eunuque, autrement dit, de bœuf pour devenir la star des spectacles taurins en acquérant l’art d’ éliminer de la piste les taureaux de corrida graciés, - et il y en aura de plus en plus dans les corridas du texte-, marketing oblige, car pour les spectateurs, de plus en plus nombreux et enthousiastes, c’est lui, le bœuf, qu’ils veulent acclamer.

Quant au torero, si l’on excepte Régine Detambel qui, en quelques mots, le renvoie à la réalité de ses études, il reste, vrai ou faux, beau et admiré.
Il en est un très romantique, mort d’amour après une étreinte qui le laissa tellement rêveur sur la piste de l’arène au moment d’affronter le fauve, qu’il en mourut. (Sanctuaire de J-P Didierlaurent) Sa maîtresse, gardienne des toilettes, gratifiée de l’élégance du hérisson, ne montre aux utilisateurs, que son assiette à piécettes, pas son ordinateur ni sa fidélité au héros régulièrement célébré dans un coin des arènes.
Dans la nouvelle érotique de Natyot, l’héroïne se contente d’un gardian camarguais objet de tous ses désirs exacerbés par la rusticité du cadre et du personnage, ses odeurs, sa force musculaire, ses veines en saillie. La vie sexuelle de l’héroïne, détaillée comme chez Catherine Millet, progresse en phrases brèves dans des paragraphes courts, rapides, bien délimités, d’une satisfaction médiocre avec usage de barrière pro-clitoridienne puis de corne vachement vaginale, vers une plénitude à la lisière de l’animalité.

Parcourir ces nouvelles avec leur réalisme ou leur poésie, leur gravité ou leur humour, la variété des écritures, les évocations de figures taurines, de grands noms de la tauromachie, de chants espagnols, de flamenco, d’ambiances festives, c’est un bonheur. Toucher, regarder les pages de couverture, les dessins, les couleurs, la recherche, le soin, c’est une envie de posséder d’autres ouvrages du Diable-Vauvert.

Et puisque c’est l’hiver, qu’il fait froid, on mérite bien ces lignes de Chaigneau :

« Le cigare de mon oncle sentait le cheval, le miel et les épices, et ses volutes bleues allaient se perdre dans la crinière de l’olivier derrière lui. Il y a avait mon frère aîné, mon petit frère, mon père, ma mère, mes deux cousins, mes tantes et mes deux oncles, dont le torero… Les hommes buvaient le pastis fait maison, les femmes et les enfants, du sirop d’orgeat glacé. On croquait les olives et on jetait les noyaux par-dessus le mur du jardin. Le concert des cigales en était au final. La fraîcheur du soir l’emportait enfin… Je m’en souviens comme si c’était hier… dans le Midi, le toro est notre lion à nous... >>
GINA


19 commentaires:

Marc Delon a dit…

Oh ! Mais je rêve ou Gina fayote auprès du diable ? Veut entrer au comité de lecture ou quoi ? Aaaaah... non... ayé j'ai compris... L veut faire partie du jury pour me faire gagner... Aaaah la kokine ! Mais ayé... (ben oui mé 2pui la pratik sms gécri comça...fonétik...l'ot jour g envoyé 1 msg à un jeune en bon français, et il a rien pigé...), c'est bon, je leur ai envoyé la nouvelle gagnante... ele est sur leur chevet et tous les soirs ils la relisent pieusement, découvrant de nouveaux sens cachés, des génialités induites à la Rafael de Paula, des carences sublimes à la Curro Romero, d'adorables détails émouvants, des... ok, je vais me chercou.

el chulo a dit…

gina, vous avez une bien jolie plume.
ceci dit me semble t'il,en matière de toros, il faut se garder et d'esthétisme, par rapport à la beauté ou l'art, et de verbiage, par rapport à la profondeur.
ponce pour moi est verbeux.
ne pas oublier non plus, qu'avant d'etre un produit de marketing à usage des gogos, la corrida fut espagnole, "atrincherada".
chère gina ce qu'on vous donne a voir est un tampax par rapport aux glorieuses couches en triangle qui bouillaient loguement dans une lessiveuse avant d'etre glorieusement pendues au jardin.
ou encore, la seule façon de s'exprimer d'un populo rendu muet par la franquisme.
maintenant, c'et le football et nos penseurs censeurs de la corrida veulent atteindre cette qualité remarquable intellectuelle.
la corrida inspire beaucoup de mots, (maux,), génère beaucoup de profits, est la seule institution qui fonctionne encore sur un mode "caciquil" c'est à dire à la fois je dirige et je m'adapte tout en sauveguardant mes seuls intérêts, dans l'historiographie espagnole, on parle d"acidentalismo".
pour le reste, admirable gina, je souhaite que vous puissiez encore croiser beigbeder, ou je ne sais qui. a nimes évidemment, peut etre bientot à mont de marsan.
mais au fond de moi, je pense vraiment que vous n'avez nul besoin de ces tuteurs.
bravo en tous cas pour ce beau texte, très académique.

Anonyme a dit…

et pourquoi vouloir jouir d'un gardian ne serait pas ambitieux ? Pourquoi serait-ce se ''contenter'' de peu ?
Passer ses journées sur un étalon, être un spécialiste des chevauchées endiablées, des cavalcades échevelées, faire corps avec cette puissance symbolique entre les jambes, c'est assez bien trouvé, non ? Le gaucho, le cow-boy, le gardian ne sont pas les figures les moins viriles pour une jeune pouliche désirant être enfin montée, prise au lasso de l'amour !
L'odeur du cuir, du foin, des cordes, du feu de bois, du fer qui brûle le cuir de la bête, autant de phéromones capables d'éperonner le désir, non, Gina ? Après qu'il vous ai fait rouler dans les touffes de salicorne de la pointe de son trident...
Le gardian de Beauduc...

Anonyme a dit…

El Chulo,
merci pour vos propos sinon mérités mais chaleureux et encourageants.
J'accepte volontiers et fort modestement toutes les remarques que vous dictent passions et nostalgie. Merci

Gina

Maja Lola a dit…

Le Frère de PEREZ
Quelle belle présentation de l'ouvrage.
La corrida vue sous tous les angles. Pas seulement celui des aficionados (ou bien même les pseudo-aficionados mûs par un snoblisme opportuniste -local ou parisien-) mais aussi par tout amateur (trice) de cette messe qui ne se réduit pas au spectacle de l'arène mais ouvre bien d'autre horizons ... Celui du toro dans l'espace universel et humain : fascination de sa puissance animale, de son osmose avec la nature, de son mystère sensoriel et complice avec l'Homme.
Bruits, odeurs, sensations, tout entraîne vers une FETE DES SENS sans limite d'époques, de lieux, de rêves ...
Chère GINA ... cette invitation à la lecture de l'ouvrage devient une exigence incontournable !
Merci

Anonyme a dit…

Non, M. le Gardian de Beauduc, le gardian malgré toute son altière virilité équestre, ne sera jamais un torero en chaussettes roses, moulé dans ses paillettes, petit et seul devant un taureau qu’il domine et une foule qu’il soulève.

Anonyme a dit…

C'est vrai, que plutôt qu'un bouffon souvent tricheur, qu'une marionette colorée, qu'un nomade de bordel de bord de route aux amours tarifées, le gardian peut, pour des femmes plus intelligentes et profondes, être une figure solitaire héroïque et attirante. Heureusement que toutes les femmes ne sont pas des putes uniquement attirées par le rang social et la fortune ! Et vive les gardians sex-toys de camargue !!! Qui n'a pas été chevauchée hardiment dans une roubine au milieu des toros m'envoie la première escouade de mosquitos....
Le gardian de Beauduc

Marc Delon a dit…

Ah oui.... le point "G" : le point gardian ?

Anonyme a dit…

Le gardian est vexé.
Marc dérape.
Oublions tout ça, vautrons-nous dans le recueil.

Gina

Marc Delon a dit…

Déraper sur le point G ...

Maja Lola a dit…

Décidément, on reste embourbés sur le point G ... peut-on décoller de là ?
Cher gardian de Beauduc, oui, une femme profonde peut être attirée par un gardian solitaire héroïque mais, petite précision : l'attirance des femmes pour le rang social et la fortune n'en fait pas des "p..." pour autant.
Cette attirance peut être tout simplement qualifiée d'ambition et les femmes sont capables de l'assumer sans le concours des hommes (sex-toys ou pas).
Signé : une femme qui aime la beauté altière d'un beau mâle moulé dans un costume flamboyant et se cambrant avec volupté autour d'el "bicho".
Pas besoin d'escouade de mosquitos cher gardian ... ils sont naturellement attirés par les vilains jaloux.

el chulo a dit…

beauduc ou trouduc?

Marc Delon a dit…

Non c'est Beauducois pour les cabaniers et Beauducul pour les touristes. Tout ça est maintenant noyé par les Kite-Surfeurs de l'espace Schengen.

Anonyme a dit…

Je suis l'auteur ( natyot ) de la nouvelle qui vous fait tant parler... J'espère que le jury l'a apprécié pour d'autres valeurs que son sujet, sinon je meurs.
Je trouve la critique du recueil trés bien écrite et je m'immisce entre ces commentaires pour demander à Gina si elle m'autorise à reprendre quelques lignes de sa présentation de ma nouvelle pour des lectures qui s'annoncent.
Merci par avance.

Marc Delon a dit…

Merci Nathalie de venir faire un tour par ici et ne mourrez pas pour si peu. Elle viendra le confirmer elle-même, mais je suis sûr que Gina accèdera à votre requête car "aider son prochain" tel est le credo de Gina. Surtout, vu son amour de la littérature, si le prochain écrit...

el chulo a dit…

gina!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Anonyme a dit…

Aurais-je, assimilé auteur et personnage?
Défendez-vous Nathalie.
Le plaisir de lire m’aurait-il emportée?
On reste longtemps après la lecture de votre nouvelle, subjugué par l’harmonie de cet ensemble cadre, personnages, sens forme, et rythme.
Gina

Anonyme a dit…

Bien sûr Nathalie, utilisez les commentaires comme vous voulez
Gina

Anonyme a dit…

Merci pour cette autorisation, c'est toujours difficile d'analyser ses propres écrits. L'assimilation peut largement se faire dans le sens ou j'aime la rusticité physique ( tout simplement la virilité ) chez les hommes, et dans l'intimité, les odeurs fortes, les veines, les poils sont un vrai stimulus du désir. Bon, je m'arrête là mais je reviendrais fréquemment lire ce blog très riche et très ouverts.
A bientot Gina, Marc et les autres.
natyot